Publié le 18 Jul 2025 - 12:45

Et Diomaye reprit la main !

 

Au lieu de crier avec les loups,  j'ai préféré prendre le temps d'une réflexion lucide dépouillée de tout subjectivisme et de parti pris afin de délivrer une froide analyse de la situation actuelle tout en précisant que ma sensibilité politique n'a pas déteint sur ce travail.

Alors, j'emprunte au jeu d’échecs, son vocabulaire ésotérique.

"Reprendre la main”, dans le contexte de la règle "pièce touchée, pièce à jouer", signifie que si un joueur touche une pièce, il doit la déplacer si un coup légal est possible.

Cependant, comme toute règle, il existe une exception : si un joueur déplace une pièce et la maintient dans sa main, il peut changer d'avis et la déplacer sur une autre case avant de la lâcher et ainsi, “adouber’.

C'est cette technique connue des joueurs d'échecs que Diomaye a utilisée à l'occasion de la remise du rapport final du Dialogue national. Par un discours hautement républicain, il a “adoubé” pour répondre indirectement à son Premier Ministre qui a frontalement remis en cause son autorité.

En effet, depuis plusieurs semaines, un malaise s’installe pernicieusement et s’amplifie au sommet de l’État. Tout simplisme  primaire penserait à une divergence d’opinion entre les deux éléments du binôme issu d'un même mouvement contestataire. A mon avis, il s'agit plutôt d'une profonde divergence idéologique  entre le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko, qui débouchera très probablement sur une tension qui reflète des conceptions profondément différentes du pouvoir, de l’État et de la gouvernance.

Contrairement à ce que le Premier ministre a déclaré, ce ne sont pas “d'aucuns” qui spéculent sur la fracture entre les deux hommes. C’est le Premier ministre lui-même qui, par ses prises de position virulentes, inconvenantes et  répétées en public, revendique une rupture systémique hic et nunc,  incompatible avec vision du Chef de l’État qui a décidé d'occuper le fauteuil et habiter la fonction en tant que clé de voûte des institutions et maître du jeu.

En revanche, le discours du Président Diomaye Faye, sobre mais ferme, a été un moment de clarification. En mettant en avant la nécessité de la réconciliation nationale, la priorité aux urgences économiques et sociales, et l’indépendance absolue de la Justice, il a réaffirmé son engagement pour un État républicain, soucieux de l’intérêt général, au-delà des passions partisanes.

À l’inverse, Ousmane Sonko a multiplié les déclarations marquant une volonté d’instrumentaliser les institutions au service d’un projet politique radical qui s'articule autour de trois axes fondamentaux :

  1. L’exigence d’une Justice "révolutionnaire", mise au service de la cause Pastef ;
  2. La primauté du parti sur les structures républicaines en d'autres termes l'État-Parti ;
  3. La remise en cause des principes de neutralité administrative et du pluralisme politique, des acquis démocratiques et de la liberté d'expression.

Ces positions tranchées alimentent un clivage de plus en plus visible et posent une question de fond : peut-on gouverner ensemble dans un bicéphalisme de fait lorsqu’on ne partage ni les méthodes ni la philosophie d’action ? Edouard Balladur a tranché la question dans son ouvrage post-cohabitation avec Mitterrand: “Le pouvoir ne se partage pas”.

Face à ces nouveaux défis que beaucoup d'observateurs avaient vu venir, le Président Diomaye Faye dévoile une stratégie présidentielle de maîtrise et de responsabilité. Dans sa dernière sortie il a

opté pour une ligne d’équilibre. Il évite la confrontation directe, mais rappelle clairement les limites de ce qu’il accepte comme cadre d’action. Il se positionne comme garant de l’unité nationale et du respect des règles républicaines, sans se laisser enfermer dans la logique de camp ou d’appareil, quand bien même il réaffirme par convenance son “amitié” avec son “Président” de Premier ministre.

Emmitouflé d'un manteau de rassembleur et par un discours policé, il laisse à son Premier ministre la responsabilité pleine et entière d'un choix : s’adapter à l'option stratégique de l'apaisement et du rassemblement du Président ou s'entêter à réaliser son rêve d'une “révolution patriotique” et assumer une rupture préjudiciable à Pastef et à son leader. Car Diomaye a pris goût à la fonction présidentielle et ne compte céder ni à la pression partisane ni aux postures idéologiques. C'est à Sonko de choisir entre le pouvoir et la contestation.

Tous les républicains patriotes dans le sens positif du terme, ne souhaitent pas que l'histoire se répète; car comme “il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants.”

En effet, derrière cette confrontation, c’est tout Pastef qui vacille sur son propre positionnement. De parti d’opposition radicale, il est passé au pouvoir sans une période de transition et de réajustement idéologique suffisants. Il doit désormais choisir :

  • Soit devenir un parti de gouvernement, capable d’agir dans un cadre républicain avec des compromis nécessaires ;
  • Soit rester dans une posture insurrectionnelle, même au sein du pouvoir, au risque de la paralysie institutionnelle.

Depuis, le Premier Ministre s'est déplacé à l'aéroport pour saluer au départ, son “ami” Diomaye après moultes bouderies. Drapé d'un kaftan immaculé et le chef dépourvu de sa toque indonésienne à la mode chez ses partisans, le Premier Ministre s'est imposé une accolade en mondiovision. Certains y voient déjà les signes d'une décrispation. Ousmane Sonko est-il guéri de la dissonance discursive à laquelle il a habitué l'opinion publique ? Le cas échéant, ce serait tout bénéfice pour la sacralité de l'État et la quiétude des Sénégalais.

Qui va “roquer” ? Les semaines à venir seront déterminantes. Le pays n’a pas besoin d’une guerre de tranchées au sommet. Il a besoin de sérénité, de vision et de résultats. Si le Premier ministre persiste dans une logique de défiance vis-à-vis de l’arbitrage présidentiel, une clarification s'impose pour une gouvernance plus harmonieuse et républicaine.

Pour l’heure, Diomaye Faye gère “leur” crise avec une maîtrise rare dans un contexte de reddition des comptes pour les uns et de règlement de comptes pour les autres, d'arrestation et d'emprisonnement des voix discordantes. Mais, il est à redouter le moment où l’autorité présidentielle ne pourra plus cohabiter avec une dissidence gouvernementale organisée.

Le Sénégal vit un moment crucial : le binôme Diomaye-Sonko saura-t-il transformer l’espoir né de l’alternance en une gouvernance stable et crédible ? Ou sombrera-t-il dans une division interne aux allures de cohabitation impossible ?

Le peuple, seul détenteur du droit de vie et de mort sur les élites politiques, veille au grain.

Aujourd'hui au Sénégal, urge la gestation d'un front républicain de convergence citoyenne autour des valeurs de la République, de la Démocratie et de notre commune volonté de vivre ensemble dans la stabilité pour  qu'une crise institutionnelle ne vienne compliquer une situation économique, financière et sociale déjà inquiétante. Encourager la posture actuelle du Président de la République dans un contexte de montée d'un fascisme partisan, n'est pas un reniement idéologique ou politique, encore moins un acte d'allégeance intéressé ; c'est faire preuve d’altruisme quand les piliers de la République vacillent.

 

Babacar Gaye

Analyste politique

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