Publié le 20 Sep 2017 - 06:10
MOUSSA SARR (PORTE-PAROLE DE LA LIGUE DEMOCRATIQUE)

‘’Macky Sall a reconduit Khoudia Mbaye sans notre aval’’

 

La Ligue démocratique s’enlise de plus en plus dans une crise interne qui n’est pas loin de connaitre son épilogue de sitôt. Tant les positions des uns et des autres sont divergentes. En témoignent les déclarations de son porte-parole Moussa Sarr. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, le camarade de Nicolas Ndiaye fustige la démarche des initiateurs de la LD-Debout, du nom de ce mouvement né sur les flancs de la LD. Et relève, dans la foulée, que la reconduction de Khoudia Mbaye dans le gouvernement de Dionne II s’est faite sans l’aval de la direction du parti qui aurait souhaité proposer un autre responsable.

 

Comment appréciez-vous la crise interne que traverse votre parti ?

C’est vrai que la Ligue démocratique, depuis quelque temps, traverse une crise interne. Mais si on remonte l’histoire de notre parti, vous allez vous rendre compte que notre parti est traversé par des crises depuis très longtemps. Pour ne pas aller plus loin, je me réfère à la crise de 1991 où des responsables du parti, parmi les plus grands d’ailleurs, ont posé la nécessité de revoir l’idéologie du parti. Parce que certains d’entre eux disaient qu’ils ne sont plus communistes encore moins léninistes. Le débat a été posé à l’intérieur du parti et nous sommes allés à un congrès extraordinaire en août 1991 pour discuter de l’orientation idéologique du parti. A ce congrès extraordinaire, nous avons trouvé un consensus qui nous a amenés à changer l’article 5 des statuts du parti. Par la suite, en 2006, lorsqu’il s’est agi de prolonger le mandat des députés, nous avons eu également des discussions vives dans le bureau politique. Au terme de ces discussions, un consensus avait été trouvé et nos députés sont restés à l’Assemblée nationale, sauf le camarade Abdoulaye Bathily, à l’époque.

Ces deux exemples montrent, avec d’autres naturellement, qu’à chaque fois que des questions sont arrivées à maturité, la LD s’est toujours donné des espaces de discussions et d’échanges entre ses militants, pour trouver un consensus et aller de l’avant.

La nouveauté, pour ce qui se passe en 2017 avec la mise en place de ce mouvement dénommé LD-Débout, c’est que c’est la première fois, dans l’histoire politique du parti, qu’une question de cette nature n’est pas discutée à l’interne. Les camarades qui animent ce mouvement se sont réunis le 20 août 2017. Ils ont mis en place un mouvement et ont indiqué qu’ils vont mettre, par la suite, des structures et publié un journal. Mais tout cela a été fait en dehors du parti. Ils n’ont pas accepté de discuter de ces questions qui les intéressent à l’intérieur du parti. C’est cela la nouveauté. Le problème, ici, est que la mise en place de ce mouvement n’est pas conforme aux statuts et règlement intérieur du parti. Nous sommes régulièrement allés à des congrès. En juillet 2013, nous avons tenu notre 7e congrès ordinaire. Dans notre parti, c’est le congrès qui est habilité à modifier les statuts et règlement intérieur. A l’heure actuelle, les textes du parti n’autorisent pas la mise en place de mouvement ou de courant. Ce qu’on peut reprocher à ces camardes, c’est de n’avoir pas accepté de poser le débat à l’intérieur du parti jusqu’à trouver un consensus ou constater un désaccord. Mais le fait d’aller à l’extérieur des structures du parti pour agiter des questions, créer un mouvement qui n’est pas conforme aux statuts, cela me parait inacceptable.

Vos camarades ne sont pas d’accord sur les orientations actuelles du parti. Que répondez-vous à cela ?

C’est en 2012 que le parti a décidé d’être dans Benno Bokk Yaakaar. Depuis cette date, aucune instance du parti ne s’est réunie pour faire le bilan de ce compagnonnage avec BBY. Aux dernières élections législatives, nous avons fait le tour des structures du pays pour consulter nos bases. Nous avons tenu un bureau politique le 8 avril 2017 et les camardes ont largement discuté et on a organisé un vote à bulletin secret. Une large majorité s’est dégagée pour que la LD aille aux élections législatives sous la bannière de BBY.

Mais certains responsables de la LD doutent même de la sincérité de ce scrutin…

C’est cela qui est inadmissible. Un membre du BP ne devrait pas douter de la sincérité du vote qui s’est passé le 8 avril. Parce que tous les camarades qui étaient au BP, qui l’ont souhaité, ont pris la parole et ont fait un vote à bulletin secret. Je pense qu’en tant que militants qui avons cheminé pendant plus de 35 ans, nous devons nous faire confiance les uns les autres. Moi, je ne peux admettre cette insulte à des membres du BP jusqu’à penser que certains d’entre eux étaient corrompus. J’estime qu’à chaque fois qu’un militant de la LD prend une position, il l’a faite en toute connaissance de cause. Les camarades qui ont pris majoritairement la décision d’engager notre parti dans la coalition BBY, pour moi, ont pensé en ce moment que c’est ce qui est mieux pour le pays et pour le parti. Je ne leur ferai pas l’insulte qui consiste à dire qu’ils ont été corrompus pour prendre cette décision.

Certains de vos camarades accusent la direction du parti, en l’occurrence vous, le secrétaire général intérimaire et Khoudia Mbaye de prendre en otage le parti…

Mais comment peut-on prendre en otage le parti ? Si on regarde ce qui s’est passé de 2013 à 2017, ce n’est pas Nicolas Ndiaye qui a dirigé le parti. La session du BP du 8 avril n’était pas dirigée par ce dernier, ni par Khoudia Mbaye, encore moins par Moussa Sarr.

C’est Mamadou Ndoye, mais qui a démissionné à l’issue de ce BP.

Non ! Il n’a pas démissionné à l’issue de cette réunion. Il a démissionné après. Il a tiré la synthèse du BP et c’est une semaine après qu’il a démissionné. Donc, ce n’est pas lié. On ne peut pas prendre en otage l’instance que constitue le BP de la LD. Ce BP est composé de femmes et d’hommes qui sont dignes. Ils ont régulièrement pris des décisions qui engagent l’avenir du parti. Jusqu’ici, le BP s’est normalement acquitté de ses tâches. Donc, il ne faut pas faire une insulte aux camarades de cette instance. Je pense qu’ils ont eu raison d’engager la LD dans la coalition BBY pour les dernières élections législatives.

Malgré le résultat décevant que vous avez fait avec un seul député à l’issue des législatives ?

Cela n’est pas lié à la décision du BP. Après les élections législatives, nous avons eu 2 députés. C’est à la formation du gouvernement qu’un de nos députés est promu au rang de ministre. Cela n’a rien à voir avec la décision que nous avons prise.

Est-ce normale que la suppléante de Khoudia Mbaye soit de l’APR ?

Au moment des investitures, la fédération LD de Saint-Louis s’est réunie et a souverainement décidé d’investir la camarade Khoudia Mbaye sur la liste départementale. La direction du parti n’est pas impliquée parce que les fédérations sont autonomes. Saint-Louis a investi Khoudia Mbaye. A l’occasion de ces investitures, la fédération de Saint-Louis et la direction du parti ne pouvaient pas savoir que Khoudia Mbaye serait reconduite dans le gouvernement. Parce que cette reconduction n’est pas mécanique.

Mais pourquoi faire de sa suppléante une responsable de l’APR ? Etait-ce le prix à payer pour rester dans le gouvernement ?

Je ne peux pas répondre à cette question, parce que je ne suis pas de Saint-Louis. J’aurais aimé que la suppléante de Khoudia Mbaye soit de la LD. Mais cela n’a pas été le cas. Je ne sais pas comment les investitures ont été faites. Je constate simplement que Khoudia Mbaye a été investie par la fédération LD de Saint-Louis et que BBY a accepté cette investiture.

Selon vous, qu’est-ce qui peut expliquer la démission de Khoudia Mbaye de l’Assemblée nationale, dès lors que vous étiez conscient du risque de perdre le poste de député ?

Lorsqu’il a fallu former le gouvernement, le président a appelé notre secrétaire général intérimaire, le camarade Nicolas Ndiaye, pour lui dire que la LD aura un ministre dans le gouvernement et qu’il va donner le même ministère chargé de la Promotion des investissements à notre parti. Nous, notre préférence, en tant que parti, était que nos deux députés restent à l’Assemblée nationale. C’était la décision que nous avions prise, que le camarade Nicolas Ndiaye et la camarade Khoudia Mbaye, étant élus députés, restent à l’Assemblée nationale et que nous puissions chercher un autre camarade pour aller siéger au gouvernement.

Comme qui par exemple ? Vous ?

Moi ou un autre. De toute façon, la décision avait été prise que nous allions envoyer des propositions au président de la République.  

Quelle proposition vous lui avait faite ?

Nous avions retenu le camarade Mamadou Fall et la camarade Fatima Yaye Boye Ly pour que le président de la République choisisse l’un ou l’autre pour siéger au gouvernement. Mais le président a choisi de reconduire Khoudia Mbaye au poste de ministre chargé de la Promotion des investissements.

Sur quelle base le président Macky Sall a fait son choix ?

Je ne peux pas dire sur quelle base parce que le président a peut-être des paramètres, des critères qui lui ont permis de reconduire notre camarade. Ce que je peux dire, en ce moment, c’est que la direction du parti va rencontrer le président de la République pour que nous discutions avec lui sur les raisons qui l’ont amené à reconduire notre camarade au poste de ministre et à faire perdre à la LD un poste de député à l’Assemblée nationale.

A quoi servirait-il de rencontrer le président à cet effet, dès lors que le coup est déjà parti ?

Nous sommes des partenaires dans BBY. Le président de la République, après l’avoir écouté, nous allons lui faire des propositions, nous allons discuter et nous allons constater. S’il y a accord sur cette question, nous allons en prendre acte. S’il y a désaccord également, nous allons en prendre acte.

Est-il question de remplacer Khoudia Mbaye dans le gouvernement par un autre responsable de la LD ?

Khoudia Mbaye est ministre dans le gouvernement et nous n’allons pas revenir sur cette question. Le président de la République a le droit de nommer à tous les emplois civils et militaires. C’est lui qui connait les raisons pour lesquelles il a reconduit notre camarade. Nous allons discuter avec lui afin de trouver une solution à ce problème. Parce que la reconduction de Khoudia Mbaye au gouvernement a fait perdre à la LD un député. Je ne peux pas en dire plus, en attendant que la direction du parti rencontre le président de la République afin que nous en discutions pour trouver la meilleure solution qui sauvegarde à la fois les intérêts de la LD et ceux de la coalition BBY.

On a comme l’impression que le président de la République vous a imposé le choix de Khoudia Mbaye.

En tout cas, ce n’était pas, au départ, le choix de la LD. Nous préférions que Khoudia Mbaye soit à l’Assemblée nationale.

Pour beaucoup, le président de la République tend à déstructurer les bases de votre parti, après l’avoir réussi avec l’AFP et le PS. Qu’en pensez-vous ?

C’est trop facile de penser que c’est Macky Sall qui divise nos partis. Les camarades qui divisent le parti sont ceux qui ne respectent pas ses décisions. En 2016, nous avions décidé de voter Oui au référendum. Des camarades ont battu campagne pour le Non. On ne peut pas dire quand même que ça, c’est Macky Sall. Lorsque, dans un parti, certains camarades ne respectent pas les décisions qui sont prises en interne, c’est là où commence la division. Parce que ce qui réunit les militants d’un parti politique, c’est le respect des statuts et du règlement intérieur, le respect des décisions que nous prenons. Mais si nous nous réunissons, une majorité se dégage et que la minorité ne se soumet pas, c’est un problème. Dans nos textes, il est dit qu’après délibération, la minorité se soumet à la  majorité. C’est ainsi que la LD a toujours fonctionné. Pour moi, ce n’est pas Macky Sall qui divise nos partis. Ce qui divise nos partis, c’est que la minorité ne se soumet pas à la majorité.

Selon vous, comment comprendre que tous les partis alliés de Macky Sall connaissent des crises ?

Même à l’APR, il y a ces difficultés.

Sauf que ces difficultés sont plus visibles à l’AFP, au PS et à la LD qu’au sein du parti au pouvoir.

Peut-être. Moi, j’aurais préféré que sur cette question du compagnonnage avec BBY, que nous puissions convoquer une instance dédiée au bilan de cette alliance. Puisque c’est nous qui avions décidé d’être dans BBY en 2012, il faut que nous puissions tenir une instance qui fasse le bilan. Si maintenant ce bilan n’est pas satisfaisant, nous sortons de la coalition en ordre. Au cas contraire, nous restons. Mais ce qui n’est pas acceptable, c’est qu’avant même de faire le bilan de ce compagnonnage avec BBY, certains d’entre nous, sur les flancs du parti, prennent un certain nombre d’initiatives qui ne sont pas conformes aux textes du parti.

Est-ce que la direction de votre parti ne tarde pas à évaluer ce compagnonnage ?

Ce n’est pas la direction du parti qui tarde à le faire. Nous allons faire ce bilan au moment où le parti le décidera. Jusqu’ici, il ne l’a pas encore décidé. Et ce n’est pas parce que le bilan n’est pas fait que nous allons assister à des initiatives personnelles. En attendant de faire cette évaluation, la LD reste dans BBY.

Du fait de ce compagnonnage, le SG de votre parti, Mamadou Ndoye, a démissionné. Aujourd’hui, d’autres responsables de votre parti sont en dissidence. Finalement, est-ce que la LD ne va pas tout droit vers une scission ?

Je rappelle que quand on portait Mamadou Ndoye à la tête de la LD en 2013, le parti était dans BBY. Maintenant que des camarades se sentent frustrés dans le compagnonnage avec BBY, c’est normal, c’est légitime. Je ne récuse pas cela. Ce que je récuse, c’est qu’avant même que l’évaluation ne soit faite, que certains s’organisent en mouvement en dehors du parti. Pour moi, c’est cela qui n’est pas légal. La LD a assez d’espace de discussion qu’il serait dommage qu’elle connaisse une scission. Mais ça ne sera pas la première fois. Pace que régulièrement dans l’histoire de notre parti, des camarades nous ont quittés. Mais j’ai l’habitude de dire qu’en politique, je préfère additionner les forces plutôt que de les soustraire. Même si nous perdons un seul camarade, cela pose problème. C’est la raison pour laquelle je ne désespère pas. Je pense que nous allons organiser des discussions à l’intérieur du parti, pour la sauvegarde de son unité.

Les responsables de la LD-Debout disent bénéficier du soutien d’Abdoulaye Bathily et de Mamadou Ndoye. Comment appréciez-vous tout cela ?

Je considère que si cela est vrai, ça serait dommage. Parce que les pères fondateurs de la LD ne doivent pas assister à la division de notre parti.

Vous parlez de Ndoye et de Bathily ?

Je dis que tous les pères fondateurs de la LD ne doivent pas assister à sa division. Ils ne doivent pas, en ce moment de crise, soutenir un groupe au détriment d’un autre. Je pense que la meilleure posture pour les membres fondateurs de la LD, c’est de faire tout pour sauvegarder cet instrument dont les Sénégalais ont encore besoin. C’est la raison pour laquelle, quand j’ai vu un des membres de la LD-Debout dire qu’ils ont le soutien de Bathily et de Mamadou Ndoye, cela m’a posé problème. Personnellement, j’attends de ces membres fondateurs du parti qu’ils œuvrent pour qu’on retrouve l’unité. Parce que ce n’est pas la première fois que nous traversons une crise. Et à chaque fois que la LD a traversé une crise, une solution a été trouvée.

Comment comprenez-vous le fait que le fils d’Abdoulaye Bathily soit parmi les membres fondateurs de la LD-Debout ?

Dans le parti, je ne connais pas de fils de ou de neveu de. Je connais les militants de la LD. Je considère que ceux-ci, quel que soit leur origine sociale, leur rang ou leur statut, ont la même dignité. Je traite tous les militants de la LD avec la même dignité.

Parlons à présent du dernier remaniement ministériel. Le président de la République, dans l’opposition, avait pris l’engagement de mettre en place un gouvernement de 25 ministres. Aujourd’hui, il en est à 39 ministres, sans compter les ministres d’Etat et conseillers. Parallèlement à cela, il nomme son frère à la tête de la CDC. Est-ce cela ne pose pas un problème de gestion du pouvoir ?

Pourquoi le président, qui avait souhaité en 2012, avoir un gouvernement de 25 membres, en est aujourd’hui à 39 membres ? C’est à lui de répondre à cette question. Mais je sais que dans ce pays, c’est de plus en plus difficile d’avoir un gouvernement à taille raisonnable, parce qu’il faut respecter un certain nombre d’équilibre ethnique, professionnel, religieux, etc.

Mais est-ce que cela répond aux exigences de gestion du pouvoir ?

Moi, je pense que le plus important c’est d’avoir une équipe gouvernementale efficace et efficiente. On peut avoir un gouvernement de 25 membres qui ne soit pas efficace et efficient. Si le gouvernement de 39 membres de Mahammed Boun Abdallah Dionne est en mesure de répondre aux aspirations des populations sénégalaises, moi je n’ai pas de problème. Mon problème ce n’est ni le nombre ni la taille, mais d’avoir un gouvernement efficace et efficient.

Quid de la nomination du frère du président de la République à la tête de la CDC ?

Le fait d’être frère ou fils d’un président de la République, ça ne doit pas, pour moi, être un délit. Nous avons combattu Abdoulaye Wade non pas parce qu’il avait nommé Karim comme ministre, mais contre la dévolution monarchique du pouvoir. Le 23 juin 2011, ce qui a mobilisé le peuple devant l’Assemblée nationale, ce n’était pas parce que Karim Wade était ministre. Ce qui a mobilisé le peuple ce jour-là, c’était le projet de loi qui voulait consacrer la dévolution monarchique du pouvoir. Mais mieux que ça, ce qui nous a le plus mobilisé, c’est que ce projet de loi était antidémocratique. Parce qu’au-delà de la vice-présidence qui était prévue, il était indiqué, dans ce projet de loi, qu’un candidat peut devenir président de la République au premier tour avec 25 % des suffrages exprimés. Nous avons dit que cela est inacceptable. Donc il faut que nous fassions la part des choses. Je pense que ceux qui s’opposent à Macky Sall et ceux qui s’opposeront à lui demain devraient s’opposer à ses actions, à la gestion du pays.   

PAR ASSANE MBAYE

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