«Coupables présumés»
Le pouvoir veut donner des gages aux populations sur sa détermination à remplir les engagements politiques du président de la République. Mercredi, il pousse le chef du gouvernement à tenir une conférence de presse. Principalement, pour parler de ses propres dossiers d'affaires dont celui relatif à l'argent de son «ami» Hissène Habré. Subsidiairement, pour ressasser une part du contenu de sa Déclaration de politique générale. Hier, jeudi, c'était au tour du Procureur spécial près la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) de monter au créneau pour vendre à l'opinion des «coupables présumés» à la tête desquels figure Karim Wade.
Les Sénégalais sont certes demandeurs de comptes après les énormités de la gouvernance Wade. Ils apprécieraient positivement que des délinquants aveuglément arrogants hier face à l'impunité de fait instaurée par l'ancien régime soient aujourd'hui traduits devant les juridictions prévues à cet effet. Mais il n'est pas certain que le mode de communication servi hier aux journalistes, préfigure une démarche d'efficacité et d'efficience - deux concepts en vogue - sur une question aussi épineuse que l'enrichissement illicite.
Après avoir cédé aux pressions d'une opinion publique avide de justice, le gouvernement prend le risque de transformer une demande sociale sincère et juste en une démagogie judiciaire sans issue. Car, en dressant publiquement une liste de coupables potentiels voués aux gémonies tout en insistant fortement sur des possibilités de leur innocence, ne s'apprête-t-il pas à «organiser» davantage l'innocence de Karim Wade et consorts qu'à aller dans le sens d'une véritable expression de justice ordinaire, celle qui fouine, instruit, juge puis condamne au besoin sans tambours ni trompettes ?
Cette crainte semble d'autant plus fondée que le Procureur a semblé avoir théorisé la possibilité de tolérer des limites acceptables au vol de deniers de publics. En cela, il y a voleur et voleur. On a compris que des détenteurs de charges publiques coupables de détournements auraient des chances de s'en tirer. A condition de voler raisonnablement, soit aux alentours de 100 millions... C'est le Procureur lui-même qui en a fait état en s'appuyant sur le cas de l'ex-directrice générale de l'Apix. Serait-ce la jurisprudence Aminata Niane ?