Macky Sall, de la crise à la…crise
Le pouvoir est tout sauf une mince affaire ! Le président de la République du Sénégal, élu le 25 mars 2012, l’apprend chaque jour - à son profit ou à ses dépens – au contact des réalités qui obstruent le chemin du fameux Yoonu Yokkute, le Graal de ses engagements. Wade dégagé et, finalement, contraint de manager ses petites magouilles à milliards avec des hommes de main déjà habitués aux roulades dans la farine, les Sénégalais se retrouvent face à une situation absconse qu’ils n’avaient pas forcément prévue.
Comment donner raisonnablement du temps à un nouveau président dont l’héritage politique, économique, social et financier donnerait même des urticaires à un chat découragé et replié dans les bas fonds de la capitale ? En d’autres termes, comment faire en sorte de ne pas désespérer de Macky Sall sans plus rien espérer de Wade et de ses ouailles ?
Aujourd’hui, après dix mois de pratique concrète du pouvoir, on n’en est certes pas encore à tirer un bilan de la présidence Sall qui, on a tendance à l’oublier, a posé des actes qui traduisent une certaine volonté de respecter une part des nombreuses promesses faites aux Sénégalais. On n’en est pas non plus à supputer sur les chances de succès ou les risques d’échec d’un mandat que l’élu s’est engagé par ailleurs à ramener de sept à cinq ans. Après dix mois de présidence, la question est autrement plus grave et plus simple : Macky Sall peut-il faire mieux que Wade ?
Doute !
A bien des égards, on doute ! Des observateurs s'interrogent sur le vrai visage de leur président. Des secteurs entiers de la mouvance présidentielle se posent des questions, sans toujours savoir ou avoir les moyens d'y répondre, sur les capacités de leur chef à porter le poids des responsabilités que commandent ses fonctions suprêmes. Des Sénégalais s'alarment sur la solidité de ses convictions déclamées urbi et orbi. Tous semblent marquer une pause, en attendant d'y voir plus clair, plus net, plus précis.
Bruno le Maire, dernier ministre de l'Agriculture de Nicolas Sarkozy, a mille fois raisons : «La vérité du pouvoir ne se trouve ni dans sa conquête ni dans son bilan : la vérité du pouvoir est dans son exercice.» (Voir Nouvel Obs du 31 janvier 2013). Avec de l'entregent, des bailleurs déterminés et confiants en leurs capacités à assurer le retour sur investissement, des circonstances politiques particulières et un zeste de baraka, conquérir le pouvoir peut être moins effrayant qu'une épreuve de Sisyphe.
Avec (encore) de l'argent, une maîtrise de l'appareil d'État, un brin d'influence appropriée sur les médias essentiels et de l'audace calculée frisant le populisme, on transforme un bilan de défaite en instrument de victoire. Le drame, c'est donc l'exercice du pouvoir avec ses contraintes, inattendus, tentations, laisser-aller, mais aussi ses risques d'isolement, de banalisation et de repli sur ses fondamentaux d'origine. Macky Sall ne semble pas trop éloigné de ces abysses qui assassinent les espoirs nés de la chute de son prédécesseur.
Télé-réalité réelle
On luttait déjà contre une gueule de bois qui persiste à être quotidienne quand, un matin brumeux alourdi par un océan nerveux, le porte-parole du gouvernement replonge le Sénégal dans la folie wadienne des marchés de gré à gré. On a cru devoir pleurer, un moment, de cette ironie implacable dont les histoires sénégalaises ont coutume de nous abreuver, mais la télé-réalité était d'une redoutable réalité...
Un samedi matin, c'est le chef de l'État lui-même qui nous choque à propos des salaires des corps émergents. Déjà isolé après dix mois seulement de présidence ? Qu'en serait-il au bout de cinq ans de mandat ? Et dans le secret de son cabinet, c'est un peu comme l'uppercut de synthèse qui s'abat sur notre tempe : cet appel mystérieux aux directeurs généraux, cadres dirigeants, bailleurs de fonds connus ou occultes de préparer les élections locales de 2014 pour les gagner ici et maintenant... Honneur au parti.
Malgré tout, on comprend que le président de la République, héritier d'un pays en lambeaux, d'un État éclaté en forces centrifuges, d'une nation divisée et d'une trésorerie sous tension, soit confronté aux pires difficultés. On «accepte» même qu'il surfe – en bon politicien – sur les excroissances terrorisantes de la crise malienne à l'intérieur de nos frontières, se payant le luxe inhabituel, chez lui, d'être ultra agressif dans l'adresse aux Diambars («Exercez toute la violence nécessaire sur l'ennemi»).
Mais au final, il faudra en accepter la conséquence politique : nous avons un président de crise qui a hérité d'un pays en crise et qui va devoir surfer sur des crises multidimensionnelles d'une extrême profondeur (chômage, pauvreté, insécurité, terrorisme, etc.) avant de revenir aux suffrages des Sénégalais d'ici quatre ans. Le scénario ressemble dangereusement à une quadrature du cercle.