Publié le 17 Jun 2021 - 20:43
POUR UN SYSTEME EDUCATIF DE QUALITE

Plus de classes et moins d’hôtels et de bureaux pour les inspecteurs !

 

Alors qu’ils devaient être dans les salles de classe pour la formation et l’évaluation des enseignants, les inspecteurs qui inspectent moins sont plus dans les bureaux, les rencontres et les hôtels pour parler de choses qui ne permettront pas forcément à l’école sénégalaise de retrouver ses lettres de noblesse. C’est la conviction de l’inspecteur Mouhamadou Ba, défendue dans ses deux ouvrages publiés aux éditions L’Harmattan et présentés, hier, au Centre régional de formation des personnels de l’éducation de Dakar.

 

Et si le système éducatif sénégalais était sorti de piste depuis belle lurette ? On serait tenté de le croire, à la suite du diagnostic sans complaisance fait par l’inspecteur de l’éducation, Mouhamadou Ba, lors de la présentation, hier, de ses deux ouvrages sur l’enseignement, publiés aux éditions L’Harmattan. Après avoir roulé sa bosse dans beaucoup de contrées, en 12 ans de service en tant qu’inspecteur, l’auteur parle aux enseignants et aux inspecteurs à travers, d’une part, ‘’L’école sénégalaise face aux enjeux de la modernité : un défi lancé à l’Etat et aux populations’’ ; d’autre part, ‘’Le maitre d’école, quelles ressources pour un enseignement-apprentissage de qualité : de l’implicite à l’explicite’’.

Revenant sur le premier livre susvisé, Mouhamadou Ba estime que malgré les multiples efforts de l’Etat, il reste encore beaucoup à faire pour une école plus performante. ‘’Ce n’est pas que du ressort de l’Etat. Il faudrait que tout le monde s’y mette. Malheureusement, dans certaines contrées, les gens rechignent encore à envoyer leurs enfants à l’école au nom surtout de croyances religieuses. L’éducation est fondamentale et on ne saurait atteindre l’émergence tant que nos enfants ne seront pas à l’école. A ce niveau, il y a beaucoup à faire pour qu’on atteigne le concept d’éducation universelle’’, a-t-il insisté.

Mais le problème de l’école sénégalaise, c’est aussi et surtout la place de l’enseignant, maillon essentiel du dispositif. Ce dernier a besoin d’une formation de qualité. Et c’est à ce niveau que le rôle de l’inspecteur est fondamental. Malheureusement, celui-ci, d’après Mouhamadou Ba, ne joue plus le rôle qui aurait dû être le sien. Il déclare : ‘’Il faut donner à l’enseignant des instruments méthodologiques, des instruments au niveau des concepts et contenus, notamment dans le guide pédagogique, pour que ce dernier puisse conduire correctement ses leçons dans les classes. Comme on le dit souvent, le système peut mieux faire au vu des nombreuses ressources financières, matérielles, intellectuelles qui y sont injectées chaque année par les parents, les partenaires et par l’Etat. On aurait pu avoir un système de qualité. Pour ce faire, il faut qu’on retourne aux fondamentaux.’’

Quand l’école dévie de son chemin

Et c’est justement là que le bât blesse, selon l’auteur. A lire l’inspecteur, c’est comme si l’école a dévié de son chemin. Selon lui, il faudrait repenser le rôle de l’inspecteur qui a un rôle essentiel dans la formation de l’enseignant. ‘’On se rend compte, dit-il, que le système est un peu dévoyé par rapport à des projets et programmes qui font que l’inspecteur ne joue plus correctement le rôle qui aurait dû être le sien. La dimension essentielle de l’inspecteur qui consiste à inspecter, à aller sur le terrain, à être avec les enseignants, à leur apporter des méthodes pédagogiques… Ce rôle n’est pas joué correctement. Aujourd’hui, les inspecteurs sont plus dans les bureaux, dans les hôtels, dans des rencontres où ils font des projets qui désorientent plus le système qu’ils ne le mettent sur les rails.’’

Selon le philosophe, il faudrait changer de paradigme, revoir le profil de l’inspecteur dont la place n’est pas dans les séminaires. ‘’Il faut changer, revenir aux fondamentaux. Le type d’inspecteur dont le Sénégal a besoin, c’est l’inspecteur pédagogue qui oriente les enseignants, qui leur montre comment faire le vocabulaire, la grammaire, l’activité numérique, la géométrie… Voilà le type d’inspecteur dont nous avons besoin…. Les inspecteurs ne peuvent plus remplir leurs fonctions d’encadrement, d’inspection, parce qu’il y a quelque chose qui les distraie de l’essentiel. L’essentiel est qu’un inspecteur doit inspecter, un inspecteur doit être dans la classe. Cela a toujours été ma conviction’’.

Revenant sur les responsabilités, l’auteur estime que c’est le système même qui a failli. Pour lui, il urge de revoir les programmes. ‘’L’Education nationale, comme l’Armée, est un ministère de souveraineté. Nous devons être en mesure de dire : nous avons mal à tel endroit. Là où nous avons mal aujourd’hui, c’est dans la pratique de classe. Comment faire de sorte que les enseignants savent c’est quoi un adjectif qualificatif, c’est quoi un adjectif démonstratif, un pronom personnel, une fraction… Comment enseigner ces notions concrètement dans les classes. C’est ce qui va changer les choses ; pas les rencontres, les plans d’action et autres rapports’’.

Par rapport aux contenus, l’inspecteur Ba a relevé qu’il y a trop de mimétisme avec le système éducatif français. ‘’En France, dit-il, ils peuvent se payer certains luxes. Mais ils ont dû travailler pour en arriver à ce stade. Il n’en a pas toujours été ainsi. Quand vous regarder le système éducatif français vers 1900, un inspecteur te produisait 326 bulletins d’inspection par année. Maintenant qu’ils ont un système performant et fort, ils peuvent se permettre certaines choses. Nous, on en est encore très loin’’. Et d’ajouter : ‘’Le système ne gagnera ses lettres de noblesse que quand on recentrera les immenses ressources, que l’Etat et les partenaires investissent, dans les classes. Il faut qu’on cesse ces rencontres dans les bureaux, les programmes, les écoles, que l’on fasse se rencontrer les enseignants, les inspecteurs et les élèves dans les formations. Ainsi, le système va produire des résultats.’’

Sur le débat autour de certaines thématiques comme l’homosexualité, il tranche net : ‘’J’aime bien le concept souvent invoqué par le président de la République à ce propos : le métabolisme. Chaque société a son métabolisme. Il y a de ces valeurs que nous ne pouvons pas accepter au Sénégal. Ce qui s’est passé récemment (lors du Bac blanc à Rufisque où un texte sur l’homosexualité avait été présenté aux élèves pour les épreuves en anglais, NDLR) est une erreur. On l’a combattue rapidement et tout est rentré dans l’ordre. Nous, on n’a pas de problème de valeurs. Notre problème c’est dans l’enseignement des matières scientifiques, technologiques… notamment en mathématiques, philosophie, physique… Mais pour les valeurs, on a nos propres valeurs. Il faudra donc contrôler les programmes et savoir ce qu’on va enseigner à nos élèves.’’ 

MOR AMAR

 

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