Publié le 8 Mar 2021 - 22:04
QUOTIDIEN FEMMES AU FOYER

Une vie plus compliquée qu’on ne l’imagine

 

Les ménagères sénégalaises ont chacune son histoire. Mais, dans la plupart des cas, ces femmes ont en plus une petite activité génératrice de revenus, au risque de se retrouver totalement dans la misère.

 

Le soleil a dardé ses rayons depuis belle lurette. Dans les ruelles sablonneuses de cette partie de Ouakam (cité Avion), les gargotes se remplissent peu à peu. Non loin du carrefour transformé en terminus de ‘’cars rapides’’, Mère Ndiaye est affairée à ranger son étal de légumes. Trois gamins en partance pour l’école s’amusent à lui demander les prix de ses marchandises. Une scène qui lui arrache un sourire. Derrière elle, à la porte de sa demeure, plusieurs bassines remplies d’eau sont disposées. Le tas de vêtements sur le sol laisse présager que la lessive sera longue.

‘’Nous (les femmes) sommes naturellement disposées à faire plusieurs choses à la fois. Il faut juste être bien organisée et en avoir l’habitude’’, affirme-t-elle en retroussant les manches de son pull. C’est parti pour deux heures de lessive entrecoupée par la vente de ses légumes. Si, pour certains clients, elle est obligée de se rincer les mains et d’assurer elle-même le service, les habitués, eux, se servent directement en prenant le soin de déposer l’argent dans un coin de la table.

Maman de cinq garçons, elle a fait de l’éducation de ces derniers une priorité. Rester à la maison est un choix qu’elle assume pleinement, même si elle reconnaît qu’avec l’âge, certains travaux ménagers deviennent pénibles. L’air taquin, elle raconte : ‘’L’autre jour, je me suis affalée sur les carreaux, en nettoyant. Heureusement que l’un de mes fils était à la maison. A 50 ans, les os ne sont plus aussi solides.’’ Vu le niveau de ressources financières de son mari, Fatou Ndiaye ne peut se permettre de s’attacher les services d’une femme de ménage. Le foyer en a juste assez pour subvenir aux besoins primaires.

La prochaine étape de la journée consiste à préparer le repas de midi. Le pas lent, elle s’assure de s’entourer de tout ce dont elle a besoin. Bols, riz, légumes, bouteille de gaz, mortier... Tout y est. Deux repas au menu. En effet, la mère de son époux, en raison de son état de santé, suit un régime spécial. D’un autre côté, Il faut garder un œil sur le petit commerce dehors. Dans ce ménage à trois, elle s’occupe de pratiquement tout. Sa coépouse est caissière dans une banque de la place et n’a donc pas assez de temps à consacrer aux tâches ménagères. Une jeune fille s’en charge pour elle. Et ses travaux se limitent à la chambre de sa patronne. ‘’Il arrive souvent qu’on nous compare, pour la simple raison qu’elle gagne bien sa vie. Ce qui fait qu’elle offre souvent de l’argent ou des cadeaux à la belle-famille. Ce n’est pas facile à gérer, mais ce qui m’importe, c’est que mes garçons réussissent’’, confie notre interlocutrice à l’étape de la grillade des poissons.

‘’La femme, à la rigueur, aidait son mari dans les champs’’

Certains commentaires dévalorisants à l’endroit des ménagères sont, de son point de vue, le fruit de l’ignorance. Elle en veut pour preuve la vieille époque pendant laquelle la femme représentait le socle de la famille. A ce moment, il n’était pas question d’une participation financière ou même d’une indépendance financière, mais plutôt de l’éducation des enfants. ‘’La femme, à la rigueur, aidait son mari dans les champs, défend-elle. Mais la plupart du temps, il s’agissait, pour elle, de s’assurer du bien-être du foyer. Aujourd’hui, les temps ont changé, la quête d’argent a pris le dessus sur la vie de famille. La femme autant que l’homme participe aux charges de la maison. Il y en a même qui font plus que participer. Je suis d’avis qu’il faut s’adapter. Mais l’erreur, c’est de minimiser celles qui restent à la maison’’.

Les heures de la journée passent, mais il y a toujours quelque chose à faire. De retour de l’école, ses deux derniers enfants sont incontrôlables. La quiétude de la matinée a laissé place à un vacarme qu’elle a du mal à stopper. Ses ordres de mère ne servent à rien. Les gamins ne seront maîtrisés qu’à l’arrivée de leur père, au crépuscule. Heure à laquelle elle en profite pour les laver. En cette fin d’après-midi, place au repassage du linge. Sur les carreaux de sa chambre, elle étale un grand drap vert, s’asseoit lentement et entame la nième tâche de la journée. Les traits tirés de son visage témoignent de sa fatigue.

Ce jour-là, un incident a fait déborder le vase. Amadou, son époux, pique une colère noire en se rendant compte qu’elle avait oublié de laver un de ses boubous ; son préféré visiblement. Sorti en flèche de sa chambre, il la trouve au salon et l’abreuve de remontrances devant le regard stupéfait de ses frères. ‘’Qu’est-ce que tu faisais durant toute cette journée ? Cela te coûtait quoi de me laver cette tenue ? Si tu ne voulais pas le faire, tu n’avais qu’à me le dire, je l’aurais donné à la servante d’Astou’’, hurle-t-il. Fatou aurait préféré garder le silence, mais la coupe était pleine. Renouant son foulard marron sur la tête, elle rappelle à son mari qu’elle est la seule à effectuer toutes les tâches de la maison : ‘’Tu n’as jamais cherché à savoir ce qui se passe à la maison en ton absence. Je ne reste pas assise à ne rien faire. Quand tu rentres, tout est propre, ton repas est servi. Regarde ces bassines de linge ! J’ai passé la journée à laver et à repasser. Sûrement que les choses seraient différentes, si j’avais les moyens de me faire aider par une servante.’’ Un lourd silence s’ensuit.

‘’Sans l’aide des domestiques, beaucoup de ménages voleraient en éclats’’

‘’Si on m’avait dit un jour que je serais mère au foyer, jamais je ne l’aurais cru’’. La vie de Marianne (28 ans) a basculé depuis mai 2020. La jeune Thiessoise est l’épouse d’un émigré qui, en raison de la crise sanitaire, a perdu son travail. Auparavant, ce dernier lui payait ses cours de marketing-communication. L’argent qu’il envoyait chaque mois a également servi à bénéficier des services d’une fille de ménage. Sa nouvelle vie lui a imposé un changement radical : rejoindre la cour familiale de son mari sise au quartier Nguinth de Thiès. Du luxueux appartement de Mermoz, elle a atterri dans une bâtisse aux règles très claires. ‘’J’ai vraiment réalisé que les choses ont changé, quand je suis arrivée ici. Je devais moi-même faire le ménage et faire la cuisine. Les parents d’Habib sont de la vieille école. Donc, au début, franchement, c’était difficile, on ne se comprenait pas. Etant chez mes parents, j’aidais de temps en temps ma mère, mais il y a certains travaux que je ne faisais pas’’, nous confie-t-elle.

Dès l’aurore, sa journée commence. Elle prépare ses deux filles de 5 et de 2 ans pour l’école. Commerçante de friandises au marché central de la ville, elle s’y rend deux fois dans la journée. Le matin, entre 9 h et 12 h, et juste après le repas de la mi-journée jusqu’en fin d’après-midi. Ses études ne sont plus à l’ordre du jour et son nouveau statut de ménagère ne lui a pas donné l’occasion de se tourner les pouces. Bien au contraire ! La jeune fille n’a eu d’autre choix que le commerce, en vue de pouvoir subvenir à ses besoins et prendre soin de ses enfants.

De retour de sa première séance de vente, Marianne se presse dans la cuisine pour le repas ; l’heure n’attend pas.  Ce nouveau planning a affecté sa santé dès les premières semaines. ‘’Je n’en avais pas l’habitude ; on faisait pratiquement tout pour moi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est moi qui fais tout pour les autres. C’est vraiment pénible parfois, surtout qu’Habib n’est pas là. Je dirais même que le fait d’être une ménagère est beaucoup plus difficile qu’avoir un job, parce qu’ici c’est non-stop’’, témoigne la jeune femme prenant à la va-vite son petit-déjeuner. Elle en est arrivée à la conclusion que les domestiques méritent un meilleur traitement. Tant au niveau salarial qu’humain. Car, sans leur aide, estime-t-elle, beaucoup de ménages voleraient en éclats.

OUSTAZ ALIOUNE SALL

‘’Le salaire du mari appartient au couple’’

Si, d’un point de vue juridique, en Europe, on se bat pour que ses tâches ménagères passées sous silence soient officiellement reconnues, en Afrique, particulièrement au Sénégal, le débat n’est pas à l’ordre du jour. A en croire, l’Association des femmes juristes du Sénégal, il n’existe, à ce jour, aucun élément allant dans ce sens.

En cette journée du 8 Mars, Oustaz Alioune Sall rappelle que la femme est naturellement prédestinée à prendre soin de la famille. Sur ses épaules, repose la stabilité du foyer et que sa grandeur réside dans sa capacité à pouvoir gérer une maison, en dépit des multiples fonctions qu’elle peut avoir.

‘’Quelle que soit l’évolution de notre société, il y a des aspects qui ne changeront pas. L’éducation des enfants est généralement assurée par la femme. Je ne dis pas que l’homme n’y participe pas, mais c’est elle qui passe le plus de temps avec eux ; elle est plus apte à leur faire connaître le droit chemin. Les gens, malheureusement, pensent que les femmes ménagères ne travaillent pas, qu’elles passent leur temps à dormir.

C’est tout le contraire, car ce n’est pas tout le monde qui peut gérer une maison. Du matin au soir, elles sont en activité ; on ne doit pas négliger cela. Et certains vont jusqu’à dire qu’elles n’apportent rien, d’un point de vue financier, au ménage. Je voudrais rappeler une chose : le salaire du mari appartient au couple. Dès l’instant qu’on épouse une femme et que celle-ci reste à la maison pour une raison ou une autre, il revient au mari de prendre soin d’elle. La femme n’a pas à supplier son époux pour avoir de l’argent, puisqu’il appartient aux deux. C’est cela la norme. Le travail qu’elle abat en étant constamment dans le foyer est inestimable. On ne peut pas le comparer à un emploi ou à de l’argent. La femme donne de son temps, de sa personne, de son énergie et cela pour toute la famille. Il ne faudrait pas tout ramener à l’argent, même si notre société a évolué’’.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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