Publié le 26 Jun 2012 - 13:58
REFLEXION

Du délit d’offense au chef de L’État

 

 

Transposition dans le droit républicain du crime de lèse-majesté d’ancien régime, en France, le délit d’offense au chef de l’Etat est aujourd’hui très controversé de par le monde.

D’aucuns vont même jusqu’à demander tout simplement son abrogation à cause de « son caractère exorbitant, disproportionné, propice à l’arbitraire et potentiellement attentatoire à la liberté d’expression et d’opinion. »

L’ambiguïté qui entoure le délit d’offense au chef de l’Etat, qui implique que l’intention délictueuse soit démontrée, tient à la difficulté de définir juridiquement l’« offense », atteinte morale très subjective, qui peut permettre de poursuivre abusivement, comme offense au Président de la République, des comportements ou des opinions critiques vis-à-vis du pouvoir politique. C’est pourquoi la justice française est très embarrassée pour instruire et juger de tels dossiers, si bien que la plupart du temps, ils ne donnent pas lieu à des condamnations et encombrent inutilement les tribunaux. Et dans le cas où la justice n’a d’autre choix que celui de rentrer en voie de condamnation, le quantum de la peine est le plus léger possible pour rester dans le cadre de la sanction symbolique.

L’usage abusif du crime de lèse-majesté par les monarques est dénoncé par Montesquieu qui lui a consacré de nombreuses pages de son livre L’Esprit des Lois. Il démontre notamment: « C’est assez que le crime de lèse-majesté soit vague, pour que le gouvernement dégénère en despotisme » (chapitre 7 du livre 12 de L’Esprit des Lois). Montesquieu montre, plus loin, dans le chapitre 18 du livre 12 de L’Esprit des Lois « Combien il est dangereux, dans les républiques, de trop punir le crime de lèse-majesté ».

 

«Bara Gaye est dans de sales draps»

 

Au Sénégal, une ancienne colonie française, dont le droit positif est inspiré de celui de la France, le délit d’offense au président de la république n’est pas inconnu de notre arsenal juridique.

 

L’article 254 (loi n° 77-87 P.M. –S.G.G.-S.L. du 10 août 1977) du code pénal sénégalais, dispose : « L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 248 [la radiodiffusion, la télévision, le cinéma, la presse, l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, les discours, chants, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public] est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement ».

 

Si ce sont les dispositions de cet article qui sont visées pour épingler le secrétaire général de l’UJTL (Union des Jeunesses Travaillistes et Libérales), une instance des jeunes du PDS de Me Abdoulaye Wade, Monsieur Bara Gaye est manifestement dans de sales draps. En tous les cas, la descente impromptue d’éléments de la Police Nationale dans les locaux de la Télévision Futurs Médias (TFM) pour récupérer la bande de l’émission « Face2Face » du dimanche 17 juin 2012 afin de la visionner, présage une volonté de l’Etat de coller au jeune leader libéral un chef d’accusation taillé sur mesure.

 

Seulement, les Sénégalais ne sauraient continuer d’accepter que la Police Nationale, à l’instar de la Gendarmerie Nationale, mais aussi du Parquet, du haut de leurs nobles missions, soient instrumentalisés par l’Exécutif pour de sordides opérations occultes qui nous rappellent les tristement célèbres polices d’Etat qu’étaient la Gestapo d’Adolf Hitler dans l’Allemagne nazie, la Securitate de Nicolae Ceausescu en Roumanie ou l’âge farouche de l’inquisition. Notre Police Nationale, qui est une des plus professionnelles du monde, mérite davantage de considération et un meilleur management que le niveau très dévalorisant où le nouveau pouvoir voudrait la rabaisser. Loin de nous l’idée de faire l’apologie de l’impolitesse ou de l’irrévérence car pétris que nous sommes dans le moule des vertus cardinales, éminemment nôtres, de « yar ak teggin » (bonne éducation), de « kersa » (discrétion), de « worma » (respect d’autrui) et de « sutura » (pudeur). Mais, force est de reconnaître que Monsieur Bara Gaye, en disant que le Président Macky Sall « yambar la » (« C’est un mollasson ») n’a pas dépassé les bornes comme les alarmistes tendent à le faire accréditer, au regard de ce qui se dit, tous les jours, dans l’autre camp, à l’encontre du président Abdoulaye Wade, de sa famille et de ses collaborateurs.

 

«Et les propos irrévérencieux des autres contre Wade ?»

 

Sans faire dans l’analogie de mauvais aloi, il nous semble utile de rappeler ici quelques propos pour le moins irrévérencieux, jetés à la figure du pauvre président Wade qui aura, au fil du temps, essuyé le summum de l’insolence verbale : Omar Cyril Touré alias Thiat du groupe Y en a marre, lors d’une manifestation du M23 tenue le 23 juillet 2011 à la Place de l’Obélisque, en présence de Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Madior Diouf et d’autres personnes « mûres et responsables», mais tous complices de la forfaiture, avait littéralement fait siffler les oreilles chastes des Sénégalais en sortant cette énormité à l’égard du président Abdoulaye Wade : « Un patriarche qui ment » (« Mak muy fenn !») ; Aminata Tall, lors de la campagne électorale pour la Présidentielle de 2012 avait laissé entendre : « Abdoulaye Wade est frappé de sénescence ». Avant de s’interroger : « Abdoulaye Wade aurait-il été allaité par le sang ? » ; Aminata Mbengue Ndiaye, à l’occasion d’un meeting pendant la campagne électorale de la présidentielle de 2012, non contente de laisser éclater sa joie quand des militants du Parti Socialiste ont présenté au public un cercueil sensé renfermer la dépouille mortelle du président Wade, aux sons de « Gorgui déena soul lèneko » (Le vieux est mort, enterrez-le), avait déclaré péremptoirement : « le premier sacrifice humain que Abdoulaye Wade a consenti à faire, c’est avec le bateau Le Joola » ; Bara Tall avait renchéri, en enfonçant le clou en ces termes : « Wade ne marche plus sur les cadavres, il court maintenant » ; Barthélémy Dias, quelques minutes après avoir assassiné Ndiaga Diouf, avait déclaré devant les caméras du monde entier : « Si Abdoulaye Wade pense qu’il a le monopole de la bêtise, qu’il… » ; Moustapha Niasse, en campagne électorale pour le premier tour de la présidentielle de 2012, avait trouvé que : « C’est ce Satan de Abdoulaye Wade qui est à la tête du pays qui est à l’origine des tiraillements dans la coalition Bennoo Siggil Senegaal » ; Moustapha Niasse, encore lui, en réaction aux accusations de Wade sur le « détournement » d’un bateau de pétrole au détriment de l’Etat du Sénégal avait asséné : « Abdoulaye Wade est un menteur » ; Moustapha Niasse, toujours lui, avait averti, à la veille du 1er tour de la présidentielle de 2012 que : « Celui qui votera Wade, rendra compte à Dieu » ; Benoît Sambou, en meeting à Ziguinchor lors de la campagne électorale en cours pour les législatives du 1er juillet 2012 ne s’était pas gêné, le moins du monde, pour qualifier Abdoulaye Wade d’« homme léger et de voyou ». Notre éducation, mais aussi la décence et le respect des Sénégalais nous interdisent de reprendre ici les écarts de langage de Amath Dansokho envers le président Wade.

 

«Prêts à y laisser nos vies»

 

On vous passe le reste de la salve d’injures servies à la famille de Wade et à ses collaborateurs, avant, pendant et après le pouvoir afin de ne pas heurter vos âmes sensibles. Nous arrêtons donc ici la liste, non exhaustive, d’insanités proférées à l’endroit du président Wade, pour ne pas donner l’impression de s’engager dans une litanie de propos orduriers qui constituent, malheureusement, l’essentiel du répertoire discursif de notre classe politique en mal de projet de société crédible et mobilisateur. Aussi, les auteurs de ces insultes publiques et propos aussi caustiques que choquants à l’endroit du président Abdoulaye Wade ont-ils été inquiétés et persécutés pour autant ?

 

L’insulte étant l’arme des faibles, nous estimons que le chef de l’Etat, Macky Sall, qui n’a rien d’un mollasson, eu égard aux nombreuses charges qui pèsent sur ses épaules, et de son statut de magistrat suprême de l’Etat, ne doit pas s’attarder sur des querelles de borne fontaine, mais se doit de prendre de la hauteur, se sublimer, se transcender et dépasser les contingences politiciennes, pour se consacrer corps et âme au sacerdoce de premier serviteur de la nation sénégalaise.

 

Cela dit, il ne faut pas rêver en pensant un seul instant que les victimes de l’acharnement d’Etat vont docilement, voire stoïquement, continuer à courber l’échine, se laisser ridiculiser et humilier, tendre l’autre joue pour se faire gifler de nouveau sans réagir. Leur honneur et leur dignité sont à ce prix. Et ils sont prêts à y laisser leur vie. Nous avec.

Nous voulons être clair une fois pour toutes, les tenants du pouvoir n’ont pas l’apanage de la vertu et ne sont pas, non plus, au dessus de la loi au point d’être les seuls habilités, fondés et autorisés à…injurier impunément.

 

Par ailleurs, les Sénégalais soucieux d’équité, de vérité et de justice sont révulsés par l’indignation sélective et l’engagement à géométrie variable des organisations de la société civile et des organismes de défense des droits de l’Homme qui semblent subitement frappés de perte de voix et de cécité depuis le changement de régime dans notre pays.

 

«Mutisme face aux dérives autoritaristes»

 

La RADDHO, la FIDH, l’ONDH, Amnesty International et sa branche locale – Transparency International – le Forum Civil, pour ne citer que ceux-là, brillent aujourd’hui par leur mutisme coupable devant les dérives autoritaristes du régime actuel, alors qu’il n’y a guère longtemps ils étaient très prompts à nous pomper l’air à la moindre peccadille de l’Administration Wade.

Tout compte fait, un chef de l’Etat qui refuse de prendre de la hauteur, de se hisser au dessus de la mêlée, qui s’immisce dans une campagne électorale qui ne le concerne point directement, qui tire les ficelles ou laisse faire quand ses sbires font dans le harcèlement et l’acharnement d’Etat contre des adversaires politiques, qui viole délibérément la constitution, dont il est le gardien, ainsi que ses engagements devant la Nation, en nommant un apparatchik de son parti au poste très politique et politisé de ministre de l’intérieur chargé des élections, et en restant lui-même à la tête de son parti-Etat, etc. ce chef d’Etat là, n’est-il pas lui-même coupable d’offense à son pays ?

 

Toujours est-il qu’un tel chef de l’Etat n’est jamais à l’abri des sautes d’humeur légitimes de ses concitoyens dont l’indignation et l’exaspération sont à la mesure de leurs propos, jugés outrageants, mais qui ne sont que l’exutoire de leur grande amertume.

 

Aujourd’hui, le chef de l’Etat détient seul les clefs de la décrispation du champ politique et, par ricochet, de l’aseptisation du discours politique. Nul doute qu’un signal fort de sa part, à ce niveau, aura l’avantage de rasséréner les différents acteurs, de quelque bord qu’ils se situent, mais aussi de redonner un surcroît d’urbanité et d’élégance dans les joutes verbales et dans les comportements.

Mais en attendant, nous disons : « Courage, Bara ! »

 

PAPE SAMB

papeasamb@hotmal.com

 

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