Publié le 21 Jan 2013 - 10:00
THIERNÀ LO, ANCIEN MINISTRE DU TOURISME ET MEMBRE DE BOKK GIS GIS

 ''Je demande au procureur Alioune Ndao de me convoquer »

 

 

En dépit d'un accident de la circulation – avec une jambe sous emplâtre - qui l'a cloué chez lui depuis plusieurs mois, Thierno Lo, ancien ministre du Tourisme, suit de près l’actualité nationale. Entre la traque des biens mal acquis, la gestion de l’hôtel King Fahd Palace (ex-Méridien Président), le bilan des huit mois de Macky Sall, cet ancien responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui a rejoint la dissidence libérale Convergence démocratique Bokk Guis Guis (CDGG) dirigée Pape Diop, n’a pas fait dans la langue de bois dans cet entretien.

 

 

Le président de la République a décidé d’envoyer un contingent militaire au Mali en guerre contre les islamistes. Comment l’appréciez-vous ?

 

J’ai été très content quand j’ai entendu le président de la République accepté d’envoyer des soldats au Mali. Au début, je l’avais entendu dire qu’il n’enverrait pas des troupes au Mali. J’étais resté sur ma faim et si mon état de santé me le permettais à l’époque, je lui aurai adressé un courrier pour lui dire : ''Non Monsieur le président, vous vous trompez. Ce qui se passe au Mali nous concerne.'' Le Mali et le Sénégal sont un même pays. Nous avons des frontières poreuses, nous devons combattre toutes nos forces antidémocratiques qui sont en train de semer la zizanie au niveau de la sous-région. Nous devons sécuriser nos pays, nous entre-aider de telle sorte que la paix soit de mise.

 

Certains observateurs estiment que le Sénégal a manqué de promptitude, puisqu’il a fallu que l’armée française intervienne au Mali pour que notre pays réagisse...

 

Je pense que ce n’est pas un problème inhérent au Sénégal, cela concerne toute l’Afrique et dans beaucoup de domaines. Les pays africains, indépendants, doivent se prendre en charge, aussi bien sur le plan économique que sécuritaire. Nous devons constituer une armée africaine sous-régionale, capable de prendre en charge les problèmes de territoire, de putsch. La Cedeao aurait dû, au tout début, envoyer des troupes au lieu de compter sur les puissances étrangères. Je suis convaincu que les puissances étrangères ne sont pas des philanthropes. Il y a toujours des intérêts économiques cachés. Ce n’est pas l’Afrique qui les intéresse.

 

Pensez-vous que l’argument du terrorisme ne tient pas la route ?

 

Il est vrai que dans un environnement international, les gens sont en train de lutter contre le terrorisme. Ce n’est pas la seule raison. Le Mali renferme des ressources minières et on sait qu’Areva (NDLR : une multinationale française spécialisée dans l'exploitation de l'uranium, notamment au Niger voisin du Mali) est dans la zone. Donc, il faut tout faire pour la stabiliser afin que la France puisse de façon judicieuse exploiter les ressources minières du Mali. Face aux menaces des Chinois et des Américains, la France veut redevenir l’ancienne puissance qu’elle fut. Mais, puisque les Africains n’ont pas bougé, il faut avoir l’honnêteté de saluer l’initiative du président français, François Hollande, qui a, au moins, eu le mérite de donner l’exemple, en envoyant des troupes au Mali (…)

 

Il y a quelques jours, l’Assemblée nationale a levé l’immunité parlementaire des députés Oumar Sarr, Ousmane Ngom et Abdoulaye Baldé, visés par les enquêtes sur les biens présumés mal acquis. Quel commentaire en faites-vous ?

 

D’abord, je déplore cette situation qui se passe actuellement. Nous avons connu des processus démocratiques, j’aurais aimé que le Sénégal connaisse sa deuxième alternance de meilleure façon, comme on l’a connu quand Abdoulaye Wade a appelé Macky Sall pour le féliciter. J’aurais aimé que Macky Sall fasse l’état des lieux et réponde aux préoccupations des populations, et que chaque pouvoir joue son rôle. Je suis convaincu qu’il faut rendre compte quand on gère des deniers publics. C’est normal. Mais je trouve que le pays est divisé en deux camps : ceux qui ont été avec Abdoulaye Wade qui sont présentés comme des prédateurs, des voleurs, et les autres qui sont présentés comme les vertueux. Je demande au Procureur Alioune Ndao de me convoquer, moi, Thierno Lo, pour me demander de rendre compte, afin que je puisse avoir le quitus qui prouve que je n’ai pas pillé les deniers de la République. Tant qu’on ne m’aura pas permis de démontrer que je suis nickel, quand j’étais dans le gouvernement d'Abdoulaye Wade, on me regardera comme les autres, en me disant : ''Vous êtes tous des voleurs.'' C’est quelque chose qui m’a choqué.

 

Vous n’avez rien à vous reprocher donc ?

 

Je vous demande d’écrire que moi, Thierno Lo, je veux avoir un quitus qui démontre que je suis nickel, pour qu’on ne me considère pas comme un voleur. Je n’ai jamais pillé quoi que ce soit au niveau de la République. Si on contrôle ma gestion, on n’aura rien à me dire. Si on contrôle, on verra que j'ai mis mon argent dans le social. J’étais plus riche quand j’entrais dans le système que quand j’en suis ressorti.

 

Et qu’en est-il du dossier de l’hôtel King Fahd Palace (ex-Méridien Président), qui était sous votre gestion en tant que ministre du Tourisme ?

 

Je l’ai dit et je répète, si c’était à refaire, je l’aurais refait. Quand je gérais le Méridien, c’est Starwood qui avait le contrat. Est-ce que vous avez une fois entendu les Sénégalais râler quand cette société était concessionnaire ? J’aurai pu reconduire le contrat de Starwood sans faire de tollé. Il y avait Kempinski (une multinationale étrangère) qui frappait à la porte. Et parmi les gens qui râlaient, il y en avait qui étaient des démarcheurs pour Starwood.

 

Qui sont-ils ?

 

Je ne dirai pas leurs noms, mais ils m’ont donné leurs dossiers de soumission que je détiens par devers moi. Je me suis rendu compte que leur contrat n’arrangeait pas le Sénégal parce qu’il ne donnait pas d’argent. L’État du Sénégal a empoché 365 millions FCfa à cause de moi. La première fois que les responsables de Starwood sont entrés dans mon bureau, ils ont discuté avec moi, j’ai sorti les comptes d’exploitation. Le président du groupe a dit : ''Nous aurons des problèmes au Méridien. Voilà un ministre qui sait interpréter un compte d’exploitation.'' C’est à partir de ce moment qu’ilsm’ont vu ''patauger'' dans les comptes pour montrer que l’État du Sénégal ne profitait pas du contrat.

 

Qu’avez-vous découvert ?

 

Il y avait un désordre fou. Les ministères qui organisait une manifestation ne payaient pas. Qu’est-ce que les responsables de Starwood faisaient ? Ils cumulaient les factures de toutes les activités des ministères, de la Primature, de la Présidence de la République, ils faisaient la différence, prenaient leur pourcentage et s’en allaient. L’ État du Sénégal ne recevait rien. Je leur ai signalé qu’ils avaient un problème de recouvrement. Puis je leur ai dit que si un ministère organise une manifestation au Méridien et ne paie pas, vous le privez de l’hôtel et vous allez faire le recouvrement, parce que l’État du Sénégal a voté un budget pour chaque ministère. Même quand Starwood faisait ses prospections au niveau de la sous-région, tout était supporté par le Méridien Président. Ils disent qu’ils vont faire un appel d'offres, personne d’entre eux ne peut faire un cahier concernant le Méridien Président, parce que, dans aucun pays au monde, il n'y a un appel d’offres qui permet au groupe Accor ou Starwood de gérer un hôtel partout. Partout où Stardwood est présent, que ce soit en Malaisie, au Mali, ce sont des ententes directes. Où était le CNP (Conseil national du patronat), lorsqu’on reconduisait le contrat de Starwood trois fois ? Quand je suis arrivé, je l’ai reconduit le temps de reprendre le patrimoine, de le relooker et d’en faire un hub sous-régional. Lorsque nous avons étudié la situation, le président m’a dit : ''Pourquoi on ne prendrait pas notre indépendance. On a va créer un groupe africain qu’on va appeler Les Soleils d’Afrique. Nous allons créer le Premier hôtel qui s’appelle Le Soleil de Dakar, qui est le Méridien.'' C’est-à-dire que nous allons au Mali, au Niger, etc. Ils nous donne un titre foncier et nous irons à la BAD (Banque africaine de développement) pour demander de nous financer.

 

Mais les critiques ont parlé de contrat léonin...

 

(Il coupe) Demandez, à ceux qui le disent, s’ils ont vu le contrat qui liait l’État du Sénégal à Stardwood.

 

Que dit ce contrat ?

 

Ce contrat était léonin parce que l’État du Sénégal n’y tirez aucun profit. Je précise que le ministre ne gère pas directement le Méridien Président, il est géré par un comité de gestion. Les gens parlent de choses qu’ils ne maîtrisent pas. Ce comité de gestion a été créé sur la base d’une lettre de l’IGE (Inspection générale d’État). Il devait être présidé par un représentant de la Présidence ou de la Primature, mais depuis Habib Thiam (ancien Premier ministre sous le président Abdou Diouf), il est piloté par la Primature. Il y avait un représentant du ministère de l’Économie et des Finances, le contrôle financier et le ministère du Tourisme. Ce comité de gestion a pour rôle de lancer des appels d’offres, assisté par deux cabinets. Le ministère du Tourisme ne donne pas de marché, mais veille à l’exécution des marchés.

 

Quelles sont les clauses du contrat avec Racine Sy ?

 

Dans le contrat, j’avais décidé que le comité de gestion soit dirigé par quelqu’un de la Présidence. Deuxième chose, pour éviter que les ministres aillent loger des gens gratuitement à l’hôtel, tous les 15 jours, le comité de gestion doit faire un rapport au président de la République, pour lui signifier les personnes et les factures qui ont été envoyées par les ministères. Si ces gens-là n’ont pas payé, on interpelle les autorités ou on fait payer la personne qui y a séjourné. C’est pour mettre fin à la gabégie qui fait perdre de l’argent à l’État. Pour relooker le Méridien, on a demandé à Racine Sy de faire un plan d’investissement étalé sur des années. C’est pourquoi ils ont commencé à changer la climatisation. J’ai entendu dire qu’on a donné l’hôtel à Racine Sy, c’est faux ! Racine Sy est un gestionnaire, son contrat peut être résilié à n’importe quel moment. Il y a un comité de gestion qui doit contrôler sa gestion. Dans le contrat, Racine Sy a 50% car il doit faire la promotion de l’hôtel ; l’État a 35% qui vont au niveau du Trésor, 15% qu’on met dans un compte d’exploitation pour permettre à l’hôtel de fonctionner. L’ État ne met pas d’argent dans le Méridien Président. Aujourd’hui, qu’est-ce qu'il y a de plus honteux que de confier la gestion de l’hôtel Méridien à des étrangers ? Terrou-bi et Radisson appartiennent à des nationaux, et on veut nous faire croire que les Sénégalais ne peuvent pas gérer un hôtel.

 

Et si nous revenons à la question de la levée de l’immunité parlementaire...

 

Je ne souhaite la prison à personne, mais quand quelqu’un a fauté, il doit être traduit en justice. Je ne suis pas de ceux qui vont aller manifester devant la gendarmerie parce qu’on a convoqué des Sénégalais pour leur poser des questions. Quand on n’a rien à se reprocher, il faut aller répondre et laisser la justice faire son travail. En revanche, j’estime que les explications contenues dans la lettre que le procureur a envoyée au président de l’Assemblée nationale sont légères pour lever l’immunité parlementaire d’un député.

 

Pourquoi ?

 

Cette lettre parle de présomptions. Sur cette base, on ne pas lever une immunité parlementaire (...) Rien ne presse, on aurait dû attendre d’avoir quelques éléments plausibles avant de la lever. Ce n’est pas l’immunité qui est protégée, c’est l’Assemblée nationale. Les députés qui ont voté cette levée de l’immunité ont posé des actes de jurisprudence qui, demain, vont se retourner contre eux.

 

Par le passé, on a failli lever l’immunité de Moustapha Niasse sur la base de déclaration qu’il avait faite dans la presse...

 

Je le condamne. Chaque fois que je voyais des choses anormales, je prenais des positions contraires à celles du PDS. Il y a des choses très dangereuses dans ce pays quand on se dit : ''Nous le faisons parce qu’Abdoulaye Wade l’avait fait.'' C’est parce qu'Abdoulaye Wade bouleversait des socles, posait des actes qui poussaient à bout les Sénégalais qu’on l’a défait le 25 mars (2012). Si on a changé de système, c’est pour qu’on ne reproduise pas les mauvaises choses. On parle de 1000 milliards, de comptes bancaires en France, à Dubaï. Si le dossier du Procureur n’est pas accompagné d’une pièce jointe pour étayer ce qu’il avance, cela veut dire qu’il n’a rien entre les mains.

 

PAR DAOUDA GBAYA

 

 

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