Publié le 3 Dec 2013 - 12:10
TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS

 Tahibou Ndiaye assène ses vérités 

 

Accusé par la Cour de répression de l’enrichissement (CREI) d’être assis sur un patrimoine de 7 milliards, Tahibou Ndiaye, poursuivi dans le cadre de la traque des biens mal acquis, démonte les accusations portées sur sa personne. En compagnie d’un de ses avocats, l’ancien directeur du Cadastre est aussi revenu sur les minutes de ses auditions par le procureur spécial près la CREI, les conditions de sa médiation pénale.

 

‘’Depuis le début de la procédure initiée contre notre client, Tahibou Ndiaye nous nous sommes tus. Mais aujourd’hui, il est temps de rétablir les faits. Car, dans cette affaire, il y a un gros mensonge, un mensonge d’Etat’’, a d’emblée lancé Me Abdourahmane Sow dit Lénine. Et le ton était donné pour Tahibou Ndiaye et son conseil pour tenter de démonter, pendant près de quatre tours d’horloge, pièce par pièce, avec des documents à l’appui, les accusations d’enrichissement illicite.

‘’Enrichissement illicite, il n’y en a pas et nous le contestons totalement car, pour qu’il y ait ce délit, il faut la concussion et la corruption’’, fulmine Me Sow. Qui poursuit : ‘’Cela suppose que Tahibou Ndiaye s’est fait remettre ou a remis de l’argent à un particulier en contrepartie d’une faveur. Or ce n’est pas le cas’’. Ces précisions faites, la "robe noire" d’asséner : ‘’C’est le premier mensonge dans cette affaire car quand ils communiquaient, ils disaient que les gens ont pillé les ressources du pays, donc si l’ex-directeur général du Cadastre s’était enrichi avec l’argent public, il serait poursuivi pour détournement de deniers publics’’

. La conviction est que Tahibou Ndiaye est victime de sa proximité avec l’ex-président Wade. Car, argue-t-il, ‘’en tant que DG, Tahibou a géré un service technique. Vous ne verrez pas sa signature sur le plus petit plan et il n’a pas géré un centime’’. Abondant dans le même sens que son conseil, Tahibou Ndiaye de renchérir : ‘’Je ne peux m’offrir le plus petit centimètre carré de terrain car je suis juste membre d’une commission qui est celle des opérations domaniales au même titre que le directeur des Sceaux, le ministère des Finances…’’.

Revenant sur le patrimoine que la CREI lui a attribué, Tahibou Ndiaye et son conseil ont déploré leur surévaluation. Dans la mise en demeure qu’il a servie à l’ex-Dg du Cadastre, le procureur spécial ‘’a mis’’ dans le parc automobile de ce dernier quatre véhicules. D’après Me Sow, quand on parle du patrimoine actuel, il s’agit de l’ensemble des biens et créances d’une personne. Or, renseigne Tahibou Ndiaye, ‘’en allant au service des Mines, ils ont suivi la traçabilité des véhicules que j’ai eus’’

. La preuve appuie Me Sow, la Laguna, le Peugeot et la Mercedes sont des voitures au nom de tiers car ils ont été vendus par mon client il y a plus de 10 ans. Mieux, argue-t-il, la Mercedes immatriculée DK 7008 AK  évaluée à 21,5 millions a été rachetée. ‘’ C’était presque une épave que je lui avais vendue à 2 millions ’’, se défend Tahibou Ndiaye. ‘’Dans cette histoire, ils font comme Dieu qui nous demandera tout ce qu’on a fait or, il s’agit juste de justifier le patrimoine actuel’’, assène Me Sow tout en déplorant l’attitude du service des Mines qui, dit-il, avait refusé de leur délivrer les cartes grises.

Le poids financier de Tahibou Ndiaye et famille...

Concernant le patrimoine financier de Tahibou Ndiaye, dans la mise en demeure, les ressources connues de ce dernier sont évaluées à 446.188.562 millions. Il s’agit là d’une grosse erreur, a fait savoir Me Sow qui fait part d’une minoration du patrimoine financier de son client. Car, d’après les différents relevés présentés, rien que les fonds communs perçus par Tahibou Ndiaye en 36 ans de carrière font un cumul de 321.635.271 francs CFA.

Il s’y ajoute des dividendes SONATEL et autres évalués à 30.237.778 francs. Sans compter les revenus locatifs chiffrés à 226 millions de francs CFA et le cumul de son salaire chiffré à 90 millions. S’agissant les biens de son épouse et ses deux filles adoptives, l’ex-patron du Cadastre a indiqué que celles-ci ont leurs activités propres. Pis, l’expert a fait le cumul des crédits des différents comptes pour les présenter comme des avoirs.

Il a été aussi prié à Tahibou Ndiaye de justifier 237 millions dans deux banques sénégalaises (101 millions à la Sgbs et 57 millions à la Bhs) et 79 millions à la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE). Mais aussi 205.894.844 autres millions trouvés dans des comptes ouverts à la Cbao, à Ecobank et à la Sgbs appartenant à ses trois filles adoptives. ‘’ Comme ils ont dit aux Sénégalais que ce sont des milliards qui ont été détournés, c’est un montage qui a été fait pour avoir un montant exorbitant’’, s’est indigné Me Sow.

Pour le conforter, Tahibou Ndiaye a indiqué que l’argent trouvé à la BMCE appartient à la Zawiya Cheikh Ahmed Tidiane de Fès. ‘’ Depuis 10 ans, il y a un ordre de virement permanent pour payer l’eau et l’électricité. L’approvisionnement vient de diverses personnes. La preuve, le compte n’a ni carnet de chèque encore moins de carte de crédit’’, a explicité Tahibou Ndiaye. Sur cette lancée, il a battu en brèche les montants avancés par la CREI concernant les deux comptes de la SGBS et de BHS.

Il a indiqué qu’au moment de la mise en demeure, les deux comptes affichaient au compteur 19.487 F. CFA et 1.446.996 F CFA. Idem pour les montants trouvés par la CREI dans le compte de ses filles adoptives. Des relevés de la CBAO en date 24 juin 2013 font état de 99.250 et 382.487 FCFA dans les comptes de Mame Fatou Thiam et Ndèye Rokhaya Thiam. C’est pourquoi, raille son conseil, ‘’les 3 milliards qu’ils disent nous avoir laissés, c’est du vent car ce qui les intéresse, c’est de permettre à d’autres personnes de transiger’’. 

Quid du patrimoine foncier ? ‘’Pour les titres fonciers, c’était des baux donc on ne peut pas dire qu’il y a une origine licite, car je ne peux corrompre les agents de l’Etat’’, s’est désolé Tahibou Ndiaye. Il n’a pas manqué de faire des déballages contre les tenants de l’actuel régime. Expliquant la manière dont il a acquis la villa aux Almadies, il a soutenu que c’était un bail avec une annuité de 600.000 F CFA. A l’en croire, c’est par la suite qu’il a procédé à une cession avec l’Etat envers qui il reste devoir 20 millions pour avoir versé un acompte de 40 millions.

Poursuivant, l’ex-Directeur du Cadastre a soutenu qu’à l’origine, le terrain faisait 500 mètres carrés qui lui ont été offerts par la personne ayant effectué les travaux de terrassement. Cette dernière dont l'identité n'a pas été donnée, révèle-t-il, a reçu le terrain de la part ‘’d’une forte personnalité’’ de l’actuel régime. ‘’Celle-ci avait fait le lotissement et ne s’était pas oublié dans le partage’’, a-t-il lancé avant d’ajouter que c’est quand il a voulu ériger une mosquée et une piscine que l’actuel ministre des Finances lui a offert 600 autres mètres carrés, sur le site contigu. 

De ''hautes personnalités'' ont eu plus d'hectares que moi''

Pour la maison de Cité Keur Gorgui estimée à 938.200.000F, son conseil parle de ‘’grossièreté’’ de la CREI car, appuie Me Sow, son client l’a acheté à 9 millions auprès de la SICAP. Par conséquent tout ce que l’Etat peut faire s’il trouve que c’est un vil prix, c’est de procéder à un redressement. Or, fait-il savoir, l’acquisition a été opérée dans le cadre d’une promotion. ‘’Tahibou n’a pas bénéficié de réduction mais il a acheté le prix du m2 à 18.000 francs’’, dit l’avocat. Conforté par son client : ‘’ Dans le cadre de son programme de logements  sociaux, la Sicap vend toujours à un prix différent et plusieurs personnes de l’actuel régime en ont bénéficié avec des superficies beaucoup plus grandes que la mienne’’.

Sur sa lancée, il a fustigé la surévaluation de ses terrains de Rufisque et Noflaye. ‘’ Il s’agit de vergers que je n’ai pas encore mis en valeur’’, précise-t-il. Et son avocat d’ajouter : ‘’ C’étaient des terrains appartenant à la SOCAS. Après son retrait, l’Etat a procédé à une réaffectation. J’ai bénéficié de 2 hectares alors qu’une personne très placée dans l’actuel régime a obtenu 9 hectares’’, sur le même site. Aux yeux de Tahibou Ndiaye et de son conseil, on a fait une surévaluation du patrimoine foncier, en confondant la valeur du foncier et le coût de la construction.

Pis, dans une correspondance aux conseils de Tahibou Ndiaye, l’expert du nom de Pape Abdoulaye Malick Yade, est inconnu au sein de l’Ordre national des experts et évaluateurs agrées du Sénégal (ONEEAS). Il n’est inscrit ni dans la section expertise immobilière, ni dans la section évaluation immobilière. Toujours est-il que d’après les conclusions de l’expert Amara Touré désigné pour le compte de l’ex-Dg du Cadastre, la valeur à neuf pour les immeubles est très en deçà de l’évaluation de la CREI. C’est le cas de la maison Impôts et domaines évaluée à 111.900.000 F. ‘’ C’est un immeuble construit en 1980  que j’ai acquis à 800.000 F payable sur 20 ans’’, indique Tahibou Ndiaye tout indiquant que la valeur à neuf se chiffre aujourd’hui à 29 millions.
 

''J'ai signé une médiation pénale parce que j'avais un couteau à la gorge…''

Autant de ''contradictions'' et de ‘’contrevérités’’ relevées par Tahibou Ndiaye et son avocat qui sont revenus sur les conditions de la médiation pénale signée après l’expiration du délai de mise en demeure. Etouffant de colère, l’ex-Dg du Cadastre est d’abord revenu sur sa garde-à-vue à la Section de Recherches de Colobane. ‘’Les gendarmes avaient reçu des instructions fermes. Comme quoi, il devait m’isoler pour éviter tout contact avec l’extérieur sauf ma femme autorisée à m’apporter mon repas.’’, ressasse-t-il avant que son conseil n’acquiesce ses propos en indiquant que son client a dormi à même le sol dans une cellule infectée de moustiques.

La suite, le lundi, il a été déféré au parquet spécial de la CREI. ‘’De là, ajoute avec étonnement Tahibou Ndiaye, vers 20 heures, l’on m’a noté un retour de parquet alors que je n’ai jamais négocié d’autant que nous avions passé des nuits blanches à préparer notre mémoire en défense’’, révèle-t-il. ‘’On n'a jamais été demandeur d’un retour de parquet’’, confirme son conseil. Malgré cela, Tahibou a été reconduit à la gendarmerie.

Là, l’affaire a pris une autre tournure car il a été contraint d’accepter finalement une médiation pénale. ‘’ Je vais vous dire pourquoi j’avais un couteau à la gorge. Car lorsque j’ai été ramené à la gendarmerie, deux personnalités qui m’ont décrit un sombre tableau de chez moi’’, narre-t-il. Ses visiteurs lui ont dit qu’une de ses filles a failli se suicider et l’autre était paralysée, donc il ne devait pas sacrifier la cohésion de sa famille pour des biens matériels.

Pis, ses visiteurs dont il n’a pas voulu dévoiler l’identité, lui auraient aussi suggéré de négocier parce qu’il a la garantie du Palais. ‘’ C’étaient des menaces, donc j’ai signé avec en tête la situation qui prévalait chez moi car je ne voulais pas que les gens disent que j’ai sacrifié ma famille pour des biens terrestres’’, s’est indigné Tahibou Ndiaye. Qui est également revenu sur son dernier face-à-face avec le procureur spécial. ‘’ Alioune Ndao m’a fait savoir qu’il voulait ma collaboration car la direction des Impôts ne pouvait pas muter mes terrains’’, a-t-il révélé.

''Je ne négocierai plus…''

Selon son conseil, Alioune Ndao a buté sur un obstacle parce que si le conservateur de Grand-Dakar a muté la villa de Cité Keur Gorgui et les deux villas de Mermoz, les autres ne se sont pas exécutés. Car, explique Me Sow, non seulement le procès-verbal de médiation pénale ne peut pas servir de base de mutation mais aussi les 1 /3 n’ont jamais signé pour une quelconque mutation, or la signature de Tahibou ne saurait engager les biens des tiers.

Le second motif de refus, c’est le fait que certains terrains soient des baux, donc des biens de l’Etat. C’est à cause de cet obstacle que Alioune Ndao a sollicité la collaboration de Tahibou Ndiaye. Ce que ce dernier a refusé avant de subir les menaces d’emprisonnement du procureur spécial. ‘’Je lui ai dit que je ne signerai pas mon arrêt de mort pour la seconde fois. Il a menacé d’emprisonner mon épouse puis mes filles et je lui ai fait savoir qu’il pouvait emprisonner toute ma famille puisqu’elle était déjà préparée’’, a renseigné avec hargne Tahibou Ndiaye.

Ousmane Sonko, syndicaliste : "nous avons une liste de 15 personnalités que nous publierons…''

Selon lui, sa famille est déjà préparée à son arrestation et même son placement sous mandat de dépôt. ‘’Je m’attends à être arrêté à tout moment. J’ai préparé ma famille et mes enfants sont aguerris’’, a-t-il confié tout en affichant sa détermination à ne plus négocier pour quoi que ce soit. ‘’Tous les compteurs sont plats. Je ne négocierai plus car je n’ai rien volé de ma vie.

J’ai été un fonctionnaire qui a servi loyalement son pays donc je ne vais pas perdre la face devant le procureur spécial’’, avise l’ex-Directeur du Cadastre. Il estime que si tant est qu’il doit aller en prison pour les biens qu’il a acquis de manière licite, d’autres personnalités de l’actuel régime devront aussi y aller avec lui. A ce propos, Ousmane Sonko, secrétaire général honoraire du syndicat des impôts, renseigne que la traque contre Tahibou Ndiaye se poursuit, avec des déballages sur le patrimoine de certaines autorités. ‘’Nous avons une liste de 15 personnes que nous publierons dans la presse avec tous les détails de leur patrimoine’’, a menacé le syndicaliste.  

FATOU SY   

 

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