Publié le 27 Jun 2022 - 21:33
ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Tout sur la boucherie de Nador

 

En tentant de rejoindre ‘’par la force’’, vendredi dernier, l’enclave espagnole de Melilla, les migrants africains étaient loin de se douter qu’ils avaient rendez-vous avec les pires supplices de leur vie. 

 

Les images sont horribles ; effroyables. Des dizaines de cadavres jonchaient le sol, des centaines de blessés sans assistance, des hommes couchés à même le sol, les mains ligotées derrière le dos, entassés les uns contre les autres… Les vidéos rendues virales ce week-end continuent de susciter une vive émotion un peu partout dans le monde. Environ 2 000 migrants qui tentaient d’entrer dans la ville espagnole de Melilla, frontalière avec la province marocaine de Nador, ont connu les supplices de leur vie. Il y aurait au moins une trentaine de morts, selon plusieurs sources concordantes. Le président d’Horizon sans frontières, Boubacar Sèye, n’en revient toujours pas de cette violence inouïe exercée à Nador, au Maroc, sur des êtres humains, dont le seul tort est d’être à la recherche de meilleures conditions de vie.

‘’Ce qui s’est passé n’est ni plus ni moins qu’un génocide de migrants africains. Cela se passe au vu et au su de tout le monde. Nous demandons l’ouverture d’une enquête véritable pour situer les responsabilités…’’, s’offusque le président de l’ONG Horizon sans frontières.

Pendant ce temps, l’Espagne, qui est citée parmi les responsables de ce massacre, s’est précipitée pour mettre tout sur le dos des migrants et des ‘’trafiquants’’. À en croire le Premier ministre Pedro Sanchez, ‘’il s'est (plutôt) agi d'une attaque contre l'intégrité territoriale de l’Espagne, d’un assaut (...) violent et organisé de la part de mafias qui se livrent au trafic d'êtres humains, contre une ville qui est un territoire espagnol", a annoncé le chef de l’Exécutif espagnol, allant jusqu’à adresser ses ‘’félicitations’’ aux tueurs, les gendarmes marocains qui ont, reconnait-il, ‘’travaillé en coordination avec les forces et corps de sécurité" espagnols "pour repousser un assaut violent".

Cette version tranche d’avec celle du président (maire) de cette ville autonome de Melilla (un territoire espagnol situé au Maroc). Tout en parlant d’une tentative ‘’violente’’ des migrants d’entrer dans sa ville par la force, ce dernier a dénoncé ‘’une réponse disproportionnée des forces marocaines’’. Selon lui, ‘’le Maroc se permet certaines choses qui ne seraient pas acceptables en Europe’’.

Le silence déconcertant des dirigeants africains

Pour Boubacar Camara, il y a de quoi être révulsé par les propos du Premier ministre espagnol. Il peste : ‘’Je suis très déçu de cette réaction de Pedro Sanchez. Il faudrait vraiment qu’on arrête. Monsieur Sanchez sait très bien que ce qu’il dit n’est pas vrai. Et je pense qu’il faut que toute l’Afrique se lève pour exiger la vérité dans cette affaire. Ce qui est le plus révoltant, c’est ce silence des dirigeants africains. J’ai l’impression qu’ils ne se rendent pas compte de la gravité de ce qui est arrivé. Certains parlent de plus de 40 morts. C’est un vrai massacre’’.     

À en croire le président d’Horizon sans frontières, il est temps que le continent organise une conférence africaine pour prendre à bras le corps ce phénomène. ‘’C’est triste de voir encore autant de mesures restrictives, dans ce contexte de grande mobilité urbaine. C’est vraiment quelque chose de paradoxal et je pense que l’Europe gagnerait à adapter ses politiques’’, plaide le président d’Horizon sans frontières, non sans appeler les dirigeants, en particulier Macky Sall, Président en exercice de l’Union africaine, qui estime que ce qui se passe mériterait un deuil national dans tous les pays du continent.

Cela dit, le plus dramatique dans cette histoire, c’est que de plus en plus, l’Europe arme des pays africains, particulièrement ceux du Maghreb, pour jouer aux geôliers contre les Subsahariens. Dans un article intitulé ‘’La Libye, garde-chiourme de l’Europe’’, ‘’Le monde diplomatique’’ montrait déjà, en 2021, comment les candidats à l’émigration vers l’Europe sont capturés et incarcérés dans des prisons secrètes. ‘’Ces six dernières années, informait le journal, lasse de supporter le coût financier et politique des vagues migratoires venues d’Afrique subsaharienne, l’Union européenne a mis sur pied un système de l’ombre destiné à stopper les migrants avant qu’ils n’atteignent ses côtes...’’.

Grassement payés par l’UE, des pays comme le Maroc, la Libye accomplissent ainsi le sale boulot, en contrepartie de sommes colossales. Selon ‘’Le monde diplomatique’’, des organisations humanitaires internationales ont souvent recensé (en Libye) toutes sortes de mauvais traitements : électrocutions, viols d’enfants, extorsion de rançons, vente d’hommes et de femmes pour le travail forcé… ‘’L’Union européenne, expliquait M. Salah Marghani, Avocat spécialiste des droits humains et ancien Ministre libyen, a mûrement réfléchi et planifié son projet pendant des années : créer en Libye un véritable enfer dans le but de dissuader les migrants d’entreprendre la traversée’’. 

En fait, si l’on en croit le témoignage de l’ancien ministre libyen au ‘’Monde diplomatique’’, à travers ce système, l’Europe peut se satisfaire d’avoir réussi à faire passer ses alliés maghrébins pour les méchants de l’histoire, s’arrogeant, elle, le bon rôle de dégager des montants énormes pour lutter contre le trafic d’êtres humains. ‘’Aucun individu sain d’esprit, disait-il, ne peut être satisfait de ce qui se passe. Mais ce sont des hommes politiques qui poursuivent un objectif politique : faire passer la Libye pour le méchant de l’histoire, afin de camoufler leurs mesures. Comme ça, les gentils Européens peuvent clamer qu’ils déboursent de l’argent pour rendre cet épouvantable système plus sûr’’.

BILAN DU MASSACRE DE NADOR

Quand les autorités marocaines tentent de dissimuler les preuves

Depuis la survenue de ce drame le vendredi 24 juin, le bilan n’a eu de cesse d’évoluer. De 18 morts annoncés le samedi par les autorités espagnoles, on est vite passé à 27 morts ce dimanche. Mais pour les ONG, il y a eu au moins 37 morts confirmés.

Présidente de l’ONG espagnole Caminando Fronteras, Helena Maleno déclare sur son compte Twitter : ‘’Nous confirmons 37 victimes dans la tragédie de Melilla. Les chiffres ne sont pas définitifs et peuvent continuer à augmenter.’’ Selon les associations, cette augmentation continue du nombre de morts aurait pu être évitée, si les migrants avaient bénéficié à temps d’une assistance sanitaire.

Depuis l’éclatement de cette affaire, certaines ONG qui émettent beaucoup de doutes sur les déclarations officielles ont exprimé leurs craintes quant à une volonté de dissimuler toutes les preuves relatives à ce massacre. Et elles ont été exacerbées ces dernières heures. L’Association marocaine des droits humains/Section Nador a confirmé, hier, sur sa page Facebook : ‘’Les craintes que nous avions exprimées s’avèrent réelles. Ce matin, les autorités de Nador ont préparé 21 tombes au cimetière de Sidi Salem pour enterrer une partie des migrants morts le vendredi à la barrière (la barrière qui sépare la province marocaine de Nador à l’enclave espagnole de Melilla).’’ Un grave scandale qui vient s’ajouter à la barbarie.

Selon l’ONG marocaine, ‘’les autorités cherchaient ainsi à cacher rapidement le désastre, sans attendre les résultats d’une enquête, sans autopsie, sans même l’identification des victimes’’. Depuis vendredi, elles sont dans la même dynamique. D’abord, c’est l’accès à l’hôpital Hassani qui a été interdit aux journalistes, avec des policiers qui contrôlaient les alentours. Dans la même veine, les journalistes qui ont essayé, hier, de se rendre au cimetière pour vérifier des informations sur une volonté d’enterrer sans autopsie certaines victimes, ont été éconduits. AMDH/Nador s’indigne ‘’que le correspondant d’’’El Pais’’ au Maroc et un chauffeur de taxi ont été interdits d’accéder au cimetière par le Pacha de Nador et ont été envoyés au commissariat…’.’


MASSACRE DE NADOR

‘’L’accord Europe-Maroc tue !’’

L’instant est ‘’critique’’. Le droit à la vie en danger. Dans une déclaration commune, près d’une dizaine d’organisations de défense des droits humains se sont ainsi indignées du drame survenu dans la province marocaine de Nador. Et dans leur viseur, il y a surtout les accords ‘’mortifères’’ entre l’Europe et le Royaume chérifien. ‘’Les tragiques événements du 24 juin, fulminent les signataires, rappellent avec violence l’échec des politiques migratoires sécuritaires. Les 27 morts (un bilan qui a augmenté, selon de nombreuses sources) et les centaines de blessés du côté des migrants comme du côté des forces de l’ordre marocaines sont le tragique symbole de politiques européennes d’externalisation des frontières de l’UE, avec la complicité d’un pays du Sud, le Maroc’’.

La mort de ces jeunes Africains sur les frontières de la ‘’forteresse européenne’’, selon les signataires, doit alerter sur la nature mortifère de la coopération sécuritaire en matière d’immigration entre le Maroc et l’Espagne. ‘’Depuis plus d’un an et demi, les personnes en migration à Nador sont privées d’accès aux médicaments, aux soins. Elles voient leurs campements brûlés et leurs biens spoliés, leurs maigres denrées alimentaires détruites et même le peu d’eau potable à leur disposition est confisqué… Ces expéditions punitives ont abouti à une spirale de violence des deux côtés. Une violence condamnable, quelles que soient ses origines, mais tout en rappelant les violences systémiques que subissent les migrants à Nador depuis des années de la part des forces de l’ordre espagnoles comme marocaines’’.

Condamnant l’absence de prise en charge rapide des victimes de Melilla, les ONG ont exigé l’identification et la restitution des dépouilles à leurs familles respectives. Elles demandent, en outre, ‘’la fin des politiques criminelles financées par l’Union européenne et ses nombreux complices, les États, certaines organisations internationales et plusieurs organisations de la société civile qui assurent la sous-traitance de ces politiques criminelles’’.

Par ailleurs, les organisations de défense des Droits de l’homme n’ont pas manqué de demander aux autorités africaines de prendre leurs responsabilités. ‘’Nous appelons les représentations diplomatiques des pays africains présentes au Maroc d’assumer pleinement leurs responsabilités en matière de protection de leurs ressortissants, au lieu d’être complices des politiques en cours’’.

Mor AMAR

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