Publié le 18 Aug 2018 - 22:23
ABDOULAYE BADJI (MINISTRE CONSEILLER PERSONNEL PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE)

‘’L’affaire ABC ne crée pas la sérénité dans le parti’’

 

Le cas Alioune Badara Cissé, l’opposition, la prochaine présidentielle, la paix en Casamance… Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, Abdoulaye Badji, Coordonnateur du parti présidentiel à Bignona et ministre conseiller personnel du président de la République, dit tout.

 

L’un des fondateurs de l’Apr, en l’occurrence Me Alioune Badara Cissé, est en voie de dissidence avec le chef de l’Etat. Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette situation ?

 Je ne peux pas trouver d’explications, mais je peux apporter mon appréciation de cette situation. C’est vrai qu’Alioune Badara Cissé est membre fondateur comme moi qui suis là, presque au même niveau d’engagement depuis la création de ce parti. Il est quand même regrettable, aujourd’hui, qu’ABC, même si on lui connait, par moments, une certaine liberté de ton, mais jusqu’à ce niveau, on ne pouvait pas s’y attendre. Dans le cadre d’une collaboration dite loyale, cela ne devrait pas se produire.

Que s’est-il passé donc ?

Je ne saurais dire ce qui s’est passé. On ne fait que constater le fait qui est là. Voilà, il semble indiquer qu’il pourrait être candidat. Autrement dit, s’opposer à un camarade de parti, son responsable de parti. C’est quand même regrettable. Je l’aurais conseillé de venir à de meilleurs sentiments si, quelque part, il y a une raison quelconque qui l’a amené à ça, d’essayer d’avoir un esprit de dépassement.

Est-ce qu’au sein du parti, il y a des structures qui sont engagées pour mener la médiation ?

Pour l’instant, je ne saurais le dire. Moi-même, je suis chargé de la commission de discipline du parti. Jusqu’à présent, je n’ai pas senti, je n’ai pas vu de structures. Peut-être que c’est en coulisse, de bonnes volontés pourraient être en train de mener des actions en vue de corriger cette situation qui ne crée pas la sérénité dans le parti.

Certains responsables du parti se sont prononcés pour demander son exclusion de l’Apr. Est-ce que vous êtes du même avis ?

Je ne sais pas trop. Mais je pense qu’il faudrait chercher à rassembler tout le monde, toute la famille Apr. Evidemment, ça ne va pas être facile pour certains. Mais il faut toujours essayer. Ce dont on a besoin, c’est vraiment de fédérer toutes les forces. Si petites soient telles, il faut quand même toujours les capter, les garder. Et il faut que le parti, dans sa totalité, puisse marcher du même pas.

Au-delà du cas ABC, il y a aussi d’autres responsables de la première heure qui ne seraient pas contents du management du parti par le président Sall.   

Il semblerait qu’on ne les connait pas, on ne les a pas vus. Ce n’est pas impossible, mais ce que je dis reste inchangé. C’est-à-dire que si on arrivait à identifier les gens qui seraient dans ces postures, qu’on mette tout en œuvre pour les ramener, les maintenir dans le parti. Si on voit quelqu’un, il va pouvoir dire les raisons qui l’ont amené à le faire.

Mais, à quelques mois de la présidentielle, ne pensez-vous pas que cela constitue un danger pour la réélection de votre candidat ?

A chaque approche d’élections, c’est malheureusement souvent le cas. Il y a dans les familles politiques certains qui sont portés aux chantages.

Vous pensez que tout cela ne relève que du chantage ?

Non. Je ne dis pas que le cas spécifique de Cissé est du chantage. Je souhaite qu’il y ait de bonnes volontés pour essayer vraiment de travailler à le ramener à de meilleurs sentiments. Mais, d’une manière générale, ça ne sera pas spécifique à l’Apr, à la coalition Benno. En période électorale, c’est souvent ça. Il y en a qui estiment que…

Vous n’avez pas de craintes que cela dégénère ?

Non. Ça ne va pas dégénérer. De toute façon, ça ne pourra pas compromettre la victoire de Bby, du candidat Macky Sall. Je ne pense pas. On veut cette victoire et on la veut belle. Et pour cette raison, il faut que tout le monde soit là. Quand arrivent les moments sérieux, les gens se rendent compte que l’Alliance pour la République est un parti organisé, avec un appareil. Il faut peut-être penser à la structuration, mais déjà si l’organisation que nous avons mise en place nous permet de réussir nos conquêtes politiques, électorales surtout, je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème. L’Apr n’est pas du tout une armée mexicaine. Ça bouge, les ambitions s’expriment, mais dans un cadre organisé qui n’est pas facile à percevoir, mais qui est là.

Comment se porte votre parti dans le département de Bignona ?

Le parti se porte très bien. Il mène régulièrement des activités et en termes de performances politiques traduites par les résultats des élections, ça se passe très bien. Depuis 2012 quasiment, on n’a jamais perdu une élection.

On a aussi noté l’arrivée de Mamadou Lamine Keïta dans vos rangs. Quelle appréciation vous en faites ?

C’est une bonne chose. Mais il n’y a pas seulement que lui, il y a… Diédhiou, Malick Badji, fils de feu Malang Badji. Il y a aussi le maire Yancouba Sagna de Sindian qui nous a rejoints et beaucoup d’autres cadres du département. C’est un plus, en réalité. Si on fait de l’arithmétique pure et simple, la venue de ces personnes nous garantit une victoire certaine et une belle victoire en 2019.

Donc, vous n’avez pas de craintes par rapport à la prochaine présidentielle dans votre département ?

Non, pas du tout. Depuis 2012, nous gagnons régulièrement. Et quand je dis régulièrement, il faut aussi y mettre les performances. Parce qu’à chaque élection, les résultats sont bonifiés. Donc, ça signifie que nous sommes dans une pente ascendante. Forcément, avec la venue de ces personnes, il n’y a pas de souci. Nous cherchons seulement à figurer parmi les meilleurs départements dans le pays. 

Pendant ce temps, le maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé, a déclaré sa candidature. Quel commentaire cela vous inspire ?

 Non. C’est vrai qu’il est maire de Ziguinchor, peut-être que tout devrait se résumer là-bas. Il est très marginalement représenté dans le département de Bignona qui est le plus peuplé, le plus important. Peut-être de même plus ou moins dans le département d’Oussouye. Donc, ça ne constitue pas en soi une menace. Il suffit que les camarades de Ziguinchor rééditent ce qui a été fait lors des législatives - parce qu’ils ont gagné dans le département - pour que la candidature de Baldé soit une candidature de diversion. Localement, à Ziguinchor, il compte, quoi qu’on dise.

Est-ce que le président de la République a un bilan en Casamance ?

Ah oui ! Dans la région Sud, d’abord la Rn6, c’est important pour Ziguinchor, Kolda et Sédhiou. Sorti de ça, nous pouvons voir, pour qui connait Ziguinchor, qu’il a transformé complètement la ville. Elle est totalement remise à niveau. Il est dans un grand programme d’assainissement de la ville. Je ne parle que pour Ziguinchor. Il y a le pont Emile Badiane qui a été réhabilité, en attendant la construction du second pont. A Bignona, c’est le top. Il a réalisé la boucle du Blouf sur au moins 70 km dont la 2e phase fait environ 27 ou 37 km. C’est extrêmement important. C’est des routes goudronnées aux standards internationaux. C’est extraordinaire.

C’est une chose qu’on n’aurait pas rêvé, il y a quelques années. En plus, dans le domaine de l’hydraulique, la commune de Thionck-Essyl a été dotée d’un château d’eau, d’un double forage qui fait aujourd’hui le bonheur des populations. Parce que l’eau coule à flot. Ça, c’est général dans quasiment tout le Blouf et aussi dans beaucoup de zones du département de Bignona. A ce niveau, je crois qu’on ne se plaint pas. Et il y a le programme en cours dans la commune de Ouonck où l’engagement du président est en phase de réalisation. Le château d’eau est déjà fait, de même que la canalisation, la connexion des différents villages de la commune, entre autres. Ça, on peut le vérifier dans toutes les communes du département de Bignona.

En dépit de ces aspects positifs dans certains domaines, la paix n’est pas encore au rendez-vous. Qu’est-ce qui l’explique, selon vous ?

C’est vrai, je n’en ai pas encore totalement terminé avec le bilan du président. Il n’a pas fait que faire des routes, mais au niveau de l’électrification rurale, c’est une vraie embellie. Nous sommes parmi les mieux dotés du département. Evidemment, il y aura des poches où on constatera qu’il y a un manque, pour un certain nombre de villages. Mais, dans l’ensemble, c’est des avancées.

Mais, jusqu’à présent, la paix reste une arlésienne… 

(Il coupe) Il faut reconnaître que c’est un long processus. Depuis l’avènement du président Sall, beaucoup d’efforts ont été faits, dans le cadre de la recherche de la paix en Casamance. Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre cet objectif.

Récemment, on a constaté qu’il y a eu la disparition de 4 forestiers...

 Encore une fois, la paix, c’est un processus. Quoi qu’on dise, il y aura toujours, sur la voie de la paix, des soubresauts, des situations de ce genre. Ça peut arriver et ça va arriver. Mais force est de constater que nous ne sommes pas loin de la paix définitive.

On pensait qu’avec le départ de Yaya Jammeh, tous les fronts du Mfdc allaient être pacifiés, que la paix allait revenir en Casamance. Mais un an après on constate qu’on est toujours à la case de départ.

Oui, le Front Nord s’est calmé. Ce qui s’est passé à Boffa et certaines attaques sporadiques viennent du Front Sud. On peut penser effectivement qu’avec le départ de Yaya, ça s’est calmé. Je ne dis pas que le feu est totalement éteint, mais il y a un retour progressif au calme. On n’a pas eu d’actions d’envergure dans le Nord, vers Sindian, la zone vraiment Nord, qui avait comme arrière-pays ou base arrière la Gambie. Tout ce qui se passe présentement, c’est plutôt le Front Sud.

Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il y a aujourd’hui beaucoup de responsables du Sud qui n’ont pas intérêt à ce que la paix revienne en Casamance, parce que cette situation de ni paix ni guerre constitue un fonds de commerce pour eux ?

 Il y a toujours une économie qu’on appelle celle de guerre. Qui en profite, qui ne le fait pas ? Je ne saurais le dire. Mais il est clair que ceux qui en profitent n’auront pas intérêt à ce que ça s’arrête.

Au moment où l’on note des remous dans votre parti, l’opposition, elle, reprend du poil de la bête. La preuve en est la dernière manifestation réussie dans la banlieue. Est-ce que cela ne vous ébranle pas ?

Je ne sais pas comment on peut apprécier cette manifestation pour parler de réussite. Ce qui est sûr, c’est que nos opposants ont réussi le pari de la mobilisation dans une cacophonie totale. Je reprends les propos de ma sœur Zahra Iyane Thiam qui parlait des oppositions au lieu de l’opposition. Parce qu’à l’arrivée, si tous ceux-là doivent être des candidats, on n’aura pas en face de nous l’opposition, mais des oppositions qui deviendraient une quantité négligeable, une force marginale pour ébranler le régime, le candidat Macky Sall.

Donc, vous n’avez pas peur de l’opposition ?

Pas du tout.

Cette opposition ne cesse de dénoncer le fichier électoral et de crier à l’avance aux fraudes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est dans son rôle d’opposition ou d’opposants. Ce n’est pas nouveau. Toutes les oppositions qui sont passées ont eu forcément à dénoncer quelque chose, dans le cadre de l’organisation des élections. Et, souvent, le fichier est au centre de toutes ces polémiques. Mais nous savons de bonne foi et eux-mêmes sont convenus que le fichier est bon. Il faut bien qu’ils s’agrippent à quelque chose pour animer leur opposition.

Ne pensez-vous pas que pour ramener la sérénité et la paix, aller vers des élections paisibles, le chef de l’Etat doit nommer une personnalité neutre pour l’organisation de la prochaine présidentielle ?

Un ministre chargé des Elections, est-ce d’abord une personnalité neutre ? Pour moi, le problème n’est pas le fait de nommer quelqu’un qu’on considère comme neutre. On ne peut pas s’éterniser sur des choses en disant que Wade avait nommé un ministre en charge des Elections. Il faut que les Sénégalais acceptent une chose : que c’est le ministre de l’Intérieur qui est chargé de l’organisation des élections. Ne regardons pas le fait qu’il soit membre du gouvernement, du parti.

Apprécions les faits. On doit juger sur les faits. On ne peut pas, à priori, dire que cela ne doit pas être. Il faut qu’on évolue, qu’on avance. Si nous voulons citer notre démocratie en exemple, parmi les démocraties majeures, nous ne devons pas être à blablater sur certaines questions. Dire que le ministre de l’Intérieur ne doit pas être d’aucun parti est un débat éculé qui doit être derrière nous, si nous voulons avancer. Notre démocratie, quoi qu’on dise, a acquis de la maturité. Il faut que l’opposition accepte que le ministre de l’Intérieur puisse organiser les élections.

Par Ibrahima Khalil Wade

 

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