Publié le 1 Apr 2012 - 18:01
ABDOULAYE WADE

Qu’est-ce qu’il va nous manquer !!!

 

Ses douze années de présidence resteront un souvenir en tout : l’ « informel » bousculait la norme dans la république, le résultat comptait plus que la manière pour dire autrement que la fin justifiait les moyens, les idées tenaient lieu de projets parce que tout était urgent et certainement aussi sachant que le temps lui était compté.

 

Cette manière atypique de gérer l’Etat avait fini par être tolérée et on ne s’émouvait plus de rien, ni des scandales, ni des projets mirifiques qu’on nous balançait comme des os à ronger. Tout y est passé, du projet Yakalma à la Grande Muraille verte contre le désert en passant par le projet de centrale électrique nucléaire, la route Dakar-Mombassa, le métro….

 

Durant toute sa présidence et même bien avant, sa stratégie a toujours été d’occuper notre imaginaire.

 

Nous savions depuis longtemps que nous avions un président spécial et sûr, il va nous manquer. En premier lieu, la presse pour qui, il faisait les choux gras, la une de l’actualité parce que la créant à chaque fois que l’ennui commençait à s’installer. Il était une vraie bête médiatique.

 

Le plus amusant est qu’il nous servait souvent des boutades, et la dernière est la plus succulente : « J’ignore où Dieu est passé pour me reprendre le pouvoir ». Nous ne relevons point le caractère blasphématoire d’une telle déclaration parce que certainement sa pensée a été mal traduite, nous retenons seulement le côté amusant de ses propos, celui d’un pépé qui cafouille parce que ne comprenant plus rien aux choses.

 

Il faisait partie de notre décor et on guettait ses déclarations avec la certitude d’entendre quelque chose d’inouï qui nous occupera pendant des jours. Il avait compris plus que quiconque que pour nous autres Sénégalais, la palabre est aussi essentielle que la nourriture raison pour laquelle nous l’avons institutionnalisée sous l’arbre, dans les « Gran’Places » et dans les « Pencc ». Avec lui, pas seulement la presse, nous tous étions servis et il nous suffisait juste de tendre le bras pour avoir la coupe pleine.

 

 

Qu’est-ce qu’il va nous manquer !!!

 

Que deviendrons-nous après tant d’années de compagnonnage avec un homme si imprévisible et si déroutant ?

 

Nous allons certainement entrer en classes et renouer avec les méthodes qui n’auraient dû jamais cesser de prévaloir sous une république.

 

Que deviendra-t-il lui, loin du pouvoir lorsqu’il ne pourra plus habiter notre imaginaire, nous raconter ses histoires succulentes dont il a le secret, comme ses confidences dans l’émission « Roffo » ?

 

«  Que faire quand on a tant fait et soudain plus rien à faire ? Comment vivre quand une foule bruyante accompagnait chacun de vos pas, guettait le moindre de vos gestes, gobait, comme d’oracle, le moindre propos, et que s’installent le silence et la solitude ? La retraite des actifs reste un mystère. L’énergie désormais inutile se mue-t-elle en angoisse, via l’ennui ? Ou une sérénité gagne-t-elle, mélange de fière satisfaction pour la tâche accomplie et de grosse fatigue pour tout ce qu’elle a coûté ? … Les seules certitudes sont au nombre de trois : il compte, il marche, il prie. » (*)

 

Les mêmes questions se posent pour lui, mais pour son avenir, on aimerait décrire ces certitudes-là : il anime, il voyage, il prie.

 

(*) Erik Orsenna : Portrait d’un homme heureux – André Le Nôtre (1613-1700)

Gallimard – Folio

 

Ameth GUISSE

Rufisque

Auteur du roman « Femmes dévouées, femmes aimantes »

Edition : L’Harmattan Sénégal –

Nouvelles Lettres Sénégalaises - Octobre 2011

Email : amathguisse@yahoo.fr

 

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