Publié le 28 Aug 2024 - 13:41
ADDICTION AUX TÉLÉPHONES PORTABLES

Quand l'appareil devient un ami inséparable

 

Aujourd'hui, le téléphone portable est indispensable à la vie de chacun. Cependant, certaines personnes, en particulier les jeunes et les enfants, en font un usage excessif. Beaucoup ne peuvent plus se passer de cet outil, même pendant une seule heure. Ils deviennent totalement dépendants, ce qui ne peut qu'avoir des conséquences désastreuses sur leur santé.

 

Le téléphone portable est un mal nécessaire. En effet, cet outil permet de communiquer, d'échanger et de partager avec des personnes à l'autre bout du monde. Il permet également à certains de gagner de l'argent. Mais, surtout en Afrique, certaines personnes en abusent. Aujourd'hui, beaucoup ne se débarrassent de leur smartphone que pour dormir. Autrement dit, ils sont complètement dépendants de cet outil technologique.

Gnilane Diouf, une jeune femme de 27 ans, trouvée dans un lieu public, totalement concentrée sur son smartphone, est la preuve vivante de cette dépendance. "Mon meilleur ami, c'est mon téléphone portable. Je suis toujours avec lui, même aux toilettes", dit-elle en souriant. Elle ajoute que même en dormant, elle place son téléphone sous son oreiller. "Il m'arrive de me réveiller au milieu de la nuit, de manipuler mon téléphone, puis de me rendormir tranquillement. Ainsi, le matin, je ne peux pas me lever sans toucher à mon téléphone", raconte la jeune femme avec enthousiasme.

Awa Touré, vêtue de noir, affirme que tant qu'elle ne dort pas, son téléphone est toujours dans ses mains. "Je ne peux pas rester 15 secondes sans mon téléphone. Même lorsqu'il est en charge, je le manipule sans cesse. D'ailleurs, il n'a jamais eu une pleine charge", confie-t-elle. Elle ajoute qu'elle ne dort pratiquement pas la nuit à cause du téléphone, car elle passe ses nuits à naviguer sur les réseaux sociaux. "Même s'il n'y a personne à la maison, je ne m'ennuie pas. Ça ne me dérange pas du tout. En fait, parfois, la présence des gens me dérange, car ils me déconcentrent", renchérit-elle.

"Mon téléphone m'a séparé de mes amis"

Souleymane Coulibaly Diémé, un apprenti chauffeur vêtu d'un t-shirt blanc, le téléphone coincé entre les dents, en train de faire un enregistrement audio sur WhatsApp, affirme être devenu accro au smartphone. "Je dépense pratiquement 2 000 F CFA en Internet chaque jour. Même si je n'ai pas d'argent pour acheter du crédit, je passe ma journée à chercher des endroits équipés du Wi-Fi. Sans connexion Internet, je me sens malade", raconte le jeune homme trouvé à son lieu de travail à Diameguène Sicap Mbao.

Avant d'avoir un smartphone, Souleymane passait de bons moments à discuter et à jouer avec ses amis. Mais, déplore-t-il, depuis qu'il possède cet outil, il n'a plus de temps pour eux. "Mon téléphone m'a séparé de mes amis. Je ne leur rends plus visite et quand ils viennent chez moi pour discuter ou faire du thé, je reste concentré sur mon téléphone. Ils le prennent comme un manque de considération, même si ce n'est pas le cas. Finalement, plus personne ne vient me voir", regrette-t-il.

De son côté, Moussa Camara, un chauffeur de taxi, soutient que même si le téléphone portable est indispensable, il peut être nuisible. "Je travaille toute la journée. Et la nuit, au lieu de me reposer, je reste sur mon téléphone jusqu'à 3 h, voire plus, pour me réveiller à 6 h. Et c'est ainsi tous les jours", explique-t-il.

Moussa Camara fait partie de ces personnes qui sont devenues dépendantes du téléphone portable. La semaine dernière, à 19 h, son téléphone est tombé et l'écran s'est cassé. Sans hésiter, il a pris une moto pour le faire réparer à Colobane, sans attendre le lendemain comme ses amis le lui avaient conseillé, car selon lui, passer une nuit sans son téléphone serait insupportable.

Quand les enfants deviennent addicts au téléphone

De nos jours, on pourrait dire que les enfants sont plus accros aux téléphones que les adultes. Dans les familles, surtout celles qui sont aisées, presque chaque enfant a sa tablette, son téléphone ou utilise celui de ses parents. Coumba Fall, une jeune maman de 31 ans, confirme : "Mon bébé de 2 ans et demi réclame le téléphone tous les jours pour dormir. Tant qu'on ne le lui donne pas, il ne dort pas, même s'il est fatigué. Il crie jusqu'à ce qu'on le lui donne", raconte-t-elle fièrement, ignorant totalement les conséquences que cela peut avoir sur son enfant.

Si certains parents laissent leurs enfants jouer avec un téléphone sans y penser, d'autres n'acceptent en aucun cas que leurs enfants manipulent ces appareils. Amadou Fall, père de trois filles et deux garçons, affirme qu'aucun de ses enfants n'a ou n'utilise de téléphone portable, malgré l'époque moderne dans laquelle nous vivons. "Aucun de mes enfants n'a de téléphone portable. Je suis strict là-dessus. Parfois, ils essaient de prendre le téléphone de leur mère, mais je lui interdis formellement de le leur donner. Je ne plaisante pas avec ça. C'est pour leur bien", explique-t-il. Monsieur Fall estime qu'il est impératif d'interdire les téléphones portables aux enfants de moins de 10 ans. "Je pense que les autorités devraient réfléchir à cette question et adopter une loi interdisant l'utilisation de ces outils technologiques aux enfants de moins de 10 ans, car ils sont nuisibles pour leur santé", ajoute-t-il.

Selon lui, aujourd'hui, la plupart des enfants souffrent de myopie ou d'hypermétropie. Au-delà des troubles de la vision, "certains parents laissent leurs enfants naviguer sur les réseaux sociaux comme Instagram ou TikTok, alors qu'il y a beaucoup de dangers sur ces plateformes. Ils voient tout, car ils ne savent pas faire la différence entre le bien et le mal", regrette-t-il.

Pour lui, "donner ces outils technologiques à ses enfants, ce n'est pas les aimer. Si l'on aime ses enfants, dans ce monde perturbé, on ne doit en aucun cas les laisser devenir accros au téléphone", analyse M. Fall.

Aujourd'hui, certaines mères, pour se ‘’débarrasser’’ de leurs enfants, leur donnent un téléphone sans surveiller ce qu'ils en font. D'ailleurs, on peut dire que cette dépendance au téléphone portable a conduit certains candidats au bac à apporter leur smartphone dans les centres d'examen, malgré les instructions des autorités, ce qui leur a valu une exclusion.

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ABIB NDIAYE, PSYCHOLOGUE- PSYCHOTHÉRAPEUTE

“Le cerveau d’un enfant n’a pas besoin d’écran”

 

Le téléphone portable fait partie de nos vies. Il est aujourd’hui rare de voir une personne qui n’utilise pas cet outil. Même les tout-petits en raffolent. Dans cette interview, le psychologue-psychothérapeute Abib Ndiaye souligne que le cerveau de l’enfant n’a pas besoin d’écran. Il est d’avis que sa plasticité cérébrale lui sert de socle d’acquisition des connaissances et compétences socioculturelles qui feront de lui un citoyen imprégné des valeurs et des réalités de son groupe d’appartenance. Monsieur Ndiaye revient, dans cet entretien, sur les différentes formes de dépendance au smartphone. 

 

Le téléphone portable est désormais un compagnon incontournable, dans la vie de tous les jours. Toutefois, de plus en plus de personnes ne peuvent plus s’en départir une seule minute. Est-ce grave, selon vous ?

La question de la cohabitation avec le téléphone portable soulève beaucoup d’interrogations, pour ne pas dire d’inquiétudes, chez un nombre de plus en plus croissant de personnes. Ce qu’il faut retenir à propos du fait de “ne plus pouvoir se départir de son téléphone portable”, c’est que le caractère grave d’un tel comportement est à apprécier au cas par cas, en fonction d’une combinaison de facteurs.

Il y a, d’abord, le contexte dans lequel est observé ledit comportement (cadre familial, milieu professionnel, interactions informelles, situation d’intimité en vie privée, etc.) : est-ce approprié dans un tel milieu de rester scotché H24 à son téléphone ? Ensuite, cela peut s’apprécier sous le prisme des normes sociales : quelle lecture en fait le groupe social de référence ? Quel jugement est porté sur un tel comportement ? Quel est le niveau de tolérance-désapprobation dudit comportement ?

Puis viennent les conséquences : quelles sont les répercussions dudit comportement sur la qualité de vie de la personne et ses rapports interpersonnels ? En quoi et dans quelle mesure cela peut-il nuire à la santé et au fonctionnement de l’individu ?

Voilà quelques considérations à prendre en compte pour une lecture éclairée du comportement en question, avant de pouvoir dire c’est grave ou pas. 

Beaucoup confessent qu’ils ne peuvent plus vivre sans le téléphone portable. Cette dépendance est-elle d’ordre pathologique ? 

Lorsque vous parlez de “dépendance”, cela renvoie à une évaluation de la situation vécue par ces personnes qui affirment ne plus pouvoir s’en passer. Donc, pour ces personnes, il y a un manque certain lorsqu’elles se retrouvent sans leur téléphone. Cela veut dire qu’ils ressentent une “absence de complétude” dont l’intensité est variable en fonction du contexte, des règles sociales en présence, des traits de caractère de la personne et de ses habiletés émotionnelles. Le manque peut être tolérable – pour combien de temps ? – et ne met pas en danger la santé ou le fonctionnement social, tout comme ce manque peut être à l’origine de comportements inadéquats.

Si “être en manque de” se comprend au sens strict de “ne pas pouvoir se passer du téléphone portable”, alors nous sommes en présence d’un “besoin jamais assouvi, par défaut d’intériorisation, de ce quelque chose’’ (Berger, 2007) qu’est le téléphone et tout ce qu’il représente. Le vide créé par l’absence du téléphone portable place la personne dans un état douloureux de dénuement et de détresse et, bien souvent, suscite en elle des comportements compulsifs destinés à apaiser les effets douloureux du manque (Berger, 2007).

Comment se manifeste cette dépendance aux smartphones et aux tablettes ?

La dépendance aux smartphones et aux tablettes se manifeste sous plusieurs formes. Il s’agit d’un état conceptualisé sous le terme de ‘’nomophobie’’ qui traduit la peur ou l'anxiété excessive d'être séparé de son téléphone portable. Cet anglicisme tiré de "no mobile phone phobia" (phobie de l’absence de téléphone) est à l’origine d’une souffrance chez les personnes concernées. 

La première manifestation de cette dépendance est la fusion avec son téléphone. L’individu, “tout le temps scotché à son téléphone”, est assujetti à cet objet. Il s’ensuit un sentiment d’“angoisse de séparation” induit par le manque que révèle l’absence du téléphone. Cette angoisse de séparation met à nu le rapport douloureux que l’individu entretient avec son téléphone. Il éprouvera un sentiment de néant loin de son smartphone, car il est assujetti à l’objet manquant à son univers.

On peut donc retenir les manifestations que sont la fusion avec l’objet, l’assujettissement, l’angoisse de séparation et les perturbations des rapports à l’autre et au monde du fait du manque ressenti.

Le problème gagne même les enfants. Des mères de famille déclarent que le smartphone ou la tablette sont les seules choses qui peuvent calmer leurs enfants, quand ils se mettent à pleurer. Est-ce sain de laisser prospérer de telles dépendances ? 

Évidemment que laisser de tout-petits avec des tablettes ou téléphones connectés n’est pas souhaitable. Le cerveau de l’enfant n’a pas besoin d’écran. Sa plasticité cérébrale lui sert de socle d’acquisition des connaissances et compétences socioculturelles qui feront de lui un citoyen imprégné des valeurs et des réalités de son groupe d’appartenance. Les écrans le soustraient aux interactions sociales qui sont le cadre d’exercice de la socialisation et de la sociabilité.

Il convient donc d’exclure, ou tout au moins de limiter l’exposition des enfants aux écrans. Leur cerveau n’a pas besoin de cette nourriture.

Quels sont les dangers pour les enfants ?

Le premier danger chez les enfants réside dans l’imitation et la reproduction d’attitudes et de comportements inappropriés copiés des contenus audiovisuels consommés. L’autre, encore plus délicat est le risque de basculer dans un autisme virtuel.

En effet, scotché à son écran, un tout-petit ne ressent pas le besoin de communiquer. Cela peut le captiver à tel point qu’il se replie dans son monde à lui, un univers à part, peuplé seulement de son smartphone, et refuse le contact avec le monde extérieur. Il perd contact avec la réalité qui l’entoure et présente souvent une incapacité à établir des contacts affectifs avec son environnement. Cette indifférence et ce désintérêt total vis-à-vis des personnes comme des objets qui l’entourent sont deux manifestations caractéristiques des dangers pour les enfants.

Une troisième manifestation des dangers pour les enfants, surtout chez les tout-petits, est l’apparition de troubles du langage ; l’enfant peut posséder un langage, mais ce dernier n’a que peu ou pas de valeur communicative (Lelord et alii, 1989).

En Occident, on admet de plus en plus que la dépendance au téléphone est problématique. D’aucuns se font même aider pour se départir de cette dépendance. Est-ce que c’est possible au Sénégal de guérir d’une addiction au smartphone ?

La nomophobie dont j’ai parlé tout à l’heure est une condition sociosanitaire liée à l'importance croissante qu’ont les téléphones portables dans la vie quotidienne. Ses répercussions sur la santé mentale provoquant stress, anxiété et autres problèmes émotionnels ne sont plus à démontrer. Il s’agit aujourd’hui d’une question de santé mentale effectivement prise en compte dans les interventions des professionnels du secteur, notamment en addictologie.  Il est tout à fait possible de guérir de cette addiction avec de l’aide psychologique soutenue par d’autres stratégies telles que la “détox digitale’’ avec la déconnexion progressive, la fixation de limites de temps d’écran, les moments sans smartphone, les espaces sans téléphone, etc. Tout ceci peut se faire avec l’accompagnement et la supervision d’un psychologue qui aidera à changer les habitudes pour adopter et consolider de nouvelles habitudes de vie avec moins de dépendance ou zéro dépendance au téléphone. Ce sera à travers un coaching structuré autour de plusieurs jalons pour lesquels l’individu s’engagera à faire des réalisations concrètes sur la réduction du temps d’exposition aux écrans, les moments d’utilisation, etc.

FATIMA ZAHRA DIALLO

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