Publié le 2 Jul 2014 - 05:13
AMADOU BA DOCTEUR EN SCIENCE POLITIQUE ET AGENT A LA DIRECTION DES ETABLISSEMENTS PUBLICS DE SANTE

‘’Ce projet de loi ouvre des voies au népotisme et à une délinquance’’

 

Le projet de loi n°16/2014 modifiant la loi n°98-12 du 2 mars 1998 sur les Etablissements publics de santé fait l’objet de vives critiques. Dans cet entretien, le docteur Amadou Ba du ministère de la Santé fait un diagnostic sans complaisance dudit projet, tout en passant au crible de la raison critique les maux qui gangrènent le système sanitaire sénégalais.

 

Est-ce que ce projet de loi est une nécessité ?

Cette modification est impertinente, inopportune et même dangereuse. Elle ouvre des voies au népotisme et à une délinquance. C'est-à-dire qu'on peut nommer n'importe quelle personne sans tenir compte des dispositions antérieures qui disaient que le directeur de l’hôpital est nommé parmi les agents de la hiérarchie A.

Mais nous avons constaté que, dans les faits, plusieurs directeurs ont été nommés sans tenir compte de cette décision. J'ai eu à le contester vaillamment en saisissant le président de la République et les autorités supérieures sur les errements de ce cabinet, qui n'a pas cessé de nommer des agents sans tenir compte de ces dispositions.

Aujourd'hui, nous sommes tout à fait d'accord qu'il doit y avoir des accommodations suite à  l’acte 3 de la décentralisation qui a supprimé les régions et qui envisage la création des départements comme collectivités locales. Si cela est, les présidents des conseils régionaux qui étaient de fait présidents de conseil d'administration, n'existeront plus.

Il faudrait qu'on trouve un président du conseil d'administration parmi les membres du conseil qui sont au nombre de 12. Donc le président du conseil départemental en tant que collectivité locale était mieux indiqué pour être le président de cet organe de délibération.

 Il est bien dit dans le projet de loi que la présidence des conseils d'administration sera assurée par le président du conseil départemental. Où se situe donc le problème ?

 Si la modification s’était limitée seulement au choix du président de conseil départemental comme président du conseil d'administration des établissements de santé public, il n'y aurait pas de problème. Mais le problème c'est ce qui lie aujourd'hui cette accommodation à la nomination des directeurs d'établissements publics de santé. C'est là le problème. Il est dit à l'article 7 que le directeur de l’hôpital est nommé parmi les agents de la hiérarchie A. Mais  ils en  ont ajouté ''ou assimilé''.

Quand on ajoute ce membre de phrase, c'est un danger. L'autre aspect qui montre la situation dangereuse de cette modification, c'est le fait de supprimer maintenant l'avis du conseil d'administration dans le choix des directeurs, alors que l'article 7 disait que le directeur de l’hôpital est nommé parmi la hiérarchie A pour une durée de 4 ans renouvelable après avis du conseil d’administration. Si on enlève cela dans la nouvelle loi, on n’est plus dans un établissement public. Parce que par essence, un établissement public est régi par une loi de 1972 et cela n'a pas encore été modifié. Et les hôpitaux classiques  ont connu une réforme à partir de 1998, calquée sur la forme des établissements publics de 72.

Donc pourquoi enlever ce qui a été déjà fait ? Ensuite ils ont dit que le directeur peut être relevé par nécessite de service, alors qu'il est dit dans le même article 7  que le directeur peut être relevé s'il commet une faute de gestion ou des malversations. Cela va permettre au ministère de la Santé qui est une tutelle et non une hiérarchie de se substituer à une administration décentralisée, ce n'est pas normal. L'administration décentralisée jouit de son autonomie de gestion, financière, dispose de ses propres moyens et de ses propres revenus mais tout en étant un démembrement de l’État.

Donc si l’on vous comprend bien, l’urgence est ailleurs.

Un  établissement public de santé doit disposer de ses moyens financiers, matériels et humains. Ce qui n'est pas le cas. Si le ministère de la Santé avait véritablement étudié le dossier, il y en a trois sur lesquels il devait mettre l'accent. C'est  d'abord le statut du personnel hospitalier, ensuite le statut des directeurs et enfin le décret portant rémunération des directeurs d’hôpitaux.

Depuis 1998, le décret n'a pas été signé. C'est ça une urgence qu'il faut d'abord régler. La gestion dans les hôpitaux est hybride. Parce qu'on y trouve un personnel municipal, un personnel étatique, ce qui n'est normal, un personnel de l’hôpital et une autre catégorie  de personnel mise à la disposition. Si tout ce personnel n'est pas harmonisé, le directeur a des problèmes. Il ne peut pas gérer cette diversité de statut dans une seule structure.

Dans tous les hôpitaux,  il y a plus de personnel de soutien que de personnel qualifié. Et le personnel de soutien ne produit pas, il augmente la charge de l’hôpital. Recruter des spécialistes vaut mieux que recruter des aides-infirmières, des filles de salle et autres. L'autre urgence est que mes collègues directeurs d’hôpitaux sont réticents à mettre en place la comptabilité analytique dans les hôpitaux qui est une exigence du code.

Et pourquoi sont-ils réticents comme vous  dites? Ont-ils des choses à cacher ?

C'est parce que c'est une comptabilité qui permet la transparence. Avec cette comptabilité, personne ne peut tricher. Elle ressort le coût réel de chaque acte et permet de faire des prévisions budgétaires réelles. Les directeurs sont frileux à mettre en place cette comptabilité qui ne coûte rien du tout.

Il faut aussi un système d'information hospitalière dans tous les hôpitaux selon les exigences de la loi. Il permet aussi de connaître le coût de chaque acte et de pouvoir le surveiller n'importe où. Les services d'audit aussi ne sont pas intégrés dans les hôpitaux. C'est le refus de la transparence de la rigueur, du sérieux dans le travail qui plombe les hôpitaux.

Est-ce que le tout hospitalier avec ce projet ne risque pas d'effondrer notre système sanitaire?

 Le système de santé au Sénégal est malade. Nous sommes dans un système atteint d'une encéphalite. Et quand on parle d'encéphalite, c'est quand un organisme est malade à partir de la tête, c'est tous les organes qui vont suivre. Quand à la tête, il y a des gens qui ne savent pas ce qu'est le système de santé, une administration, cette administration est morte. Le système est plombé, effondré, et il risque même d'aller pire que ce que nous vivons.

Cette modification de la loi qu'ils ont introduite au niveau du conseil des ministres, malheureusement, c'est une forme de légaliser des forfaitures déjà réalisées. Des nominations ont été faites sans tenir compte de l'orthodoxie de la loi. J'ai saisi plusieurs fois le président de la République et le ministre en charge de la santé. Nous ne laisserons personne tuer ce système. Depuis son installation en 2012, le ministère n’a pas cessé de faire des forfaitures. Le système n'appartient pas à un seul individu et il ne faudrait pas que ceux qui sont là le mettent à genoux et d'autres viennent le relever. Nous devons nous lever tous comme des sentinelles pour préserver ce système.

VIVIANE DIATTA

 
 

 

Section: