Publié le 12 Jan 2015 - 19:24
ANALYSE

Charlie, ou les leçons d’outre-tombe !

 

Les évènements tragiques des 7 et 9 janvier derniers qui, au total, ont coûté la vie à 20 personnes ayant été fermement condamnés, il reste maintenant à les décrypter…

 

Le Président français François Hollande a sans doute raison de dire, en l’espace d’une manifestation grandiose qui a mobilisé 3,5 millions de personnes en France, que ‘’Paris est devenue la capitale du monde’’. A quelques exceptions près, le monde entier a bien communié avec la terre de Voltaire. Mais il y a quelque chose de bien gênant dans le spectacle, une sorte de sens unique de la pensée qui veut empêcher d’aller au fond de la ‘’plaie’’.

Et qui donne un arrière-goût bien amer à cette affaire. Car au-delà du caractère abject de la chose, largement dénoncée au point que nous n’ayons plus besoin d’en rajouter, beaucoup de questions trouvent leur réponse, non pas dans la religion musulmane stricto sensu, mais dans la crise que traverse le pays de Marianne. Il est aujourd’hui clair que le modèle d’intégration, fondé au fond sur le principe de la ‘’phagocytose’’ des autres cultures, est un échec.

Beaucoup d’analystes sérieux de la crise multiforme que connaît la France reconnaissent aujourd’hui que le désespoir de ces jeunes sans emploi, dont la grande majorité subit de plein fouet les effets de la crise économique, n’est pas sans lien avec les récents évènements de Charlie-Hebdo. Tout semble lié comme les différentes pièces d’un puzzle. Le profil de Coulibaly, son parcours scolaire et ses premiers pas dans le monde du travail, renseignent bien sur la fragilité psychologique du personnage qui tranche d’avec son physique bien imposant.

Qu’il ait fait preuve d’un courage presque suicidaire, jusque dans les derniers moments où on l’a vu s’effondrer sous les balles des policiers français, est sans doute l’indice qu’un travail profond a été exercé sur sa personne.  Combien de Coulibaly, nés dans les banlieues françaises, victimes souvent de racisme, mal encadrés au foyer, mal scolarisés, peu qualifiés pour la vie professionnelle sont aujourd’hui prêts à flirter avec un islam radical pour…enfin exister ? Combien sont-ils, même bardés de diplômes, à subir le filtre invisible qui les prive souvent des postes les importants dans les entreprises françaises ? A-t-on vraiment sondé le niveau de marginalité que crée  le fait de s’appeler Mohamed ou Fatima, dans la société française ? Le malaise est bien là en partie.

Il s’y ajoute  que les règles du jeu ne sont pas du tout claires au sein de l’espace public. Consciemment ou inconsciemment, on qualifie d’antisémite tout ce qui raille la communauté juive et de ‘’libre’’ toute opinion qui flingue l’islam. Dieudonné en a fait l’amère expérience qu’il a été privé de spectacle pour avoir utilisé l’humour pour caricaturer une communauté. Pourquoi Dieudonné est conspué au moment où Charlie Hebdo est idolâtré ? Qu’est-ce qui fait que le référentiel à partir duquel on apprécie les choses se détraque dès lors qu’il s’agit de l’islam ? N’y a-t-il pas une haine principielle de cette religion que les nouveaux ‘’libres penseurs’’ ou ‘’libres créateurs’’ ne veulent pas reconnaître ? Cette haine ne procède-t-elle pas d’une intolérance ou simplement d’une ignorance d’une religion qui a  surtout rayonné dans le lointain passé par son dynamisme et sa diversité créatrice ?

Il faut malheureusement croire qu’il y a cette ‘’dissonance’’ qui fausse les règles du jeu et alimente les extrémismes. L’expression de la liberté n’a pas besoin d’arrogance pour se révéler. Bien au contraire, la tradition des Lumières qui fonde aujourd’hui la République française dans tous ses plus beaux atours, a été construite non pas sur les sables mouvants d’une culture d’arrogance et de suffisance, mais de finesse, de profondeur et de galanterie.

Passé ces évènements, il faudra bien se rendre à l’évidence qu’il faut du respect pour vivre ensemble dans ce monde menacé par des périls majeurs, dont le réchauffement climatique. Le respect implique l’acceptation de la différence. Il n’y a pas de cultures supérieures aux autres. Toutes proviennent de la même mamelle humaine. Hiérarchiser, c’est simplement juger en utilisant sa propre balance. A ce titre, les 2 000 morts massacrés, la semaine dernière, par Boko Haram au nord-est du Nigeria en cinq jours (chiffres donnés par The Times au Royaume Uni et Washington Post aux Etats-Unis) méritent l’intérêt et la compassion du monde.

Qui donc s’en soucie ? Que dire de l’enlèvement des 276 lycéennes à Chibok dans le nord du Nigeria ? Comment aurait réagi la communauté internationale si elles étaient américaines, françaises ou israéliennes ? C’est dire que si nous devons raisonnablement être contre le massacre des journalistes de  Charlie Hebdo, nous ne devons pas pour autant oublier que tout être humain draine la même dignité, quelle que soit sa religion ou sa race. C’est pourtant inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, mais les ‘’puissants’’ de ce monde ont malheureusement bien tendance à…l’oublier.

M.WANE

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