Publié le 18 Nov 2013 - 14:06
ASSEMBLÉE NATIONALE

 Pour des ruptures au-delà du bien-être des parlementaires !

 

La Déclaration de politique générale de la Première ministre a été l’occasion, pour le président de l’Assemblée nationale, de prononcer un discours dont les accents de sincérité ne font pas dans la théâtralité quotidienne. Cependant, quand les hommes politiques parlent, ils en disent plus qu’ils ne le croient… C’est pourquoi, sur ses vérités assénées sur la rupture qui est en train de s’opérer au sein de l’hémicycle, seul l’avenir sera juge.

Cette rhétorique de la rupture ad nauseam tourne à la saturation quand ce n’est à une forme de paranoïa (nous préférons l’annonce des faits aux effets d’annonce). On serait mieux inspiré, fidèle en cela à une immémoriale sagesse populaire, de faire preuve de relativisme d’autant que la direction d’une Assemblée nationale peut être comparée à celle d’un paquebot : les tournants, ça prend du temps...

Du reste, des faits récents, entre autres, viennent brouiller le discours précité : non-application de la parité dans le bureau pour le moins pléthorique de l’Assemblée nationale, excommunication arbitraire de députés au sein de la coalition majoritaire (c’est inouï comme l’histoire a de ces pieds de nez), accusation de mise à l’écart des parlementaires par le ministère des Finances, lors de l’élaboration du budget de l’Assemblée, formulée par le  président de la formation politique Tekki , un vrai député du peuple, lui.

Par ailleurs, la législature précédente ne nous a pas laissé un souvenir impérissable quant à la prise en charge des intérêts du peuple, instrumentalisée qu’elle était par ce triste Savonarole des temps modernes, véritable ventriloque du pouvoir qui inspirait ses moindres décisions. La riposte populaire en date du 23 juin 2011, restera à jamais gravée dans l’imaginaire collectif comme réponse à la plus grave forfaiture, démontrant ainsi, comme l’a soutenu le général De Gaulle, que ''le meilleur Conseil constitutionnel, c’est le peuple''. Puisons dans le champ lexical médical pour suggérer à ceux qui ont une attitude schizophrénique (au point de narguer les Sénégalais en soutenant qu’ils regrettent l’ancien régime) d’observer les paons qui dansent : à chaque fois qu’ils regardent leurs pieds, ils ne peuvent pas s’empêcher de défaire leur roue...

La nouvelle législature doit prendre conscience de la défiance entre le peuple représenté et la classe politique représentative. Le président de l’Assemblée nationale devrait user de tout le talent politique qu’on lui (re)connait pour réduire cette ligne de fracture afin de réhabiliter cette institution.

C’est, encore une fois, pourquoi cet idéal de rupture au niveau de l’Assemblée nationale passe nécessairement, d’abord par le rétablissement de ''l’ethos de confiance'' entre le citoyen ordinaire, les hommes politiques en général et les parlementaires en particulier. Ensuite par une transformation profonde des façons de gouverner et de représenter. C’est bien Clemenceau qui soutenait que ''la guerre est une chose trop grave pour la confier aux seuls militaires''. Pour le parodier, on dira que la politique est une chose trop sérieuse pour la confier aux seuls politiques. Mais comment imaginer que certains professionnels de la politique (nous nous gardons de généraliser), tels des essaims d’abeilles qui ont du miel sur la langue et non dans l’oreille (pour reprendre la belle formule de l’honorable député M. Sy Djamil), qui peuplent gouvernement et Assemblée, uniquement obnubilés par leur reproduction endogamique, puissent prendre des risques et avoir l’audace que la situation exige ? Ne savent-ils pas que ''la chose publique'', Res publica, une fois partagée, est de nature à participer à l’approfondissement de la démocratie et à une mélodie sociale plus dynamique.

Il nous revient cette frilosité des hommes politiques devant les candidatures indépendantes (hommage au mouvement ''Ci laa bokk''), mais aussi de tous ceux qui ont une conception à la fois réductrice et erronée de la politique dont il faut faire une chasse gardée pour les seuls ''politiques''.

En réalité, ce qui menace la démocratie ne vient pas des citoyens, mais de cette oligarchie politique qui se croit destinée par essence à régner sur tous les autres. Il reviendra à ces derniers de contester cette doxa, de prendre enfin la parole pour modifier l’ordre de cette réalité sociale.

En effet, la démocratie a pour fondement le consentement du citoyen. Son essence même, l’élection au suffrage universel, se joue entre une offre politique et une demande citoyenne qui doivent entrer en résonance. C’est pourquoi il importe, nous semble-t-il, de revoir la relation État/Parlement/Citoyen.

Faut-il rappeler qu’à l’origine, on est passé de l’idée de la démocratie directe pour imaginer la représentation de la volonté du peuple par des représentants qu’il choisirait. Ce transfert de la volonté générale se traduisant dans le fait que les représentés (le peuple), choisissent leurs représentants parmi ceux qui méritent leur confiance. Les politiques n’ont pas ce monopole.

Ce schéma idéal a connu des effets pervers. Le corps électoral qui s’est élargi, complexifié, est devenu plus diversifié et pluriculturel. C’est ainsi qu’apparaît la notion de représentativité, qualité reconnue à une personne de représenter les intérêts d’un groupe de personnes. Cet ajustement entre représentants et représentés se fait de plus en plus, au détriment de l’intérêt général. Le représentant n’est plus celui qui porte l’intérêt général de la nation, mais les intérêts particuliers d’une partie du corps  électoral, quand ce n’est d’un parti. Le fait que des voix dissonantes s’opposent au credo ''la patrie avant le parti'' est suffisamment illustratif à cet égard.

En outre, depuis quelque temps déjà, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (médias interactifs, internet, blogs, Facebook, sondage etc.) est entré en concurrence et avec le système représentatif et avec le système universel. Le règne des partis a été longtemps l’expression achevée de ce double système. Il touche à sa fin. D’où les frustrations de certains à l’idée que c’est l’opinion qui est en train de devenir ''la reine du monde''. En tous les cas, on peut y voir le passage progressif de la démocratie ponctuelle du passé à la démocratie permanente. Après tout, comment imaginer que les citoyens puissent se satisfaire d’être des spectateurs passifs entre deux longues échéances électorales quand leur avenir se joue ?

Tout l’enjeu est donc de faire coexister la démocratie représentative, que nous ne remettons nullement en question, mais qui, dans notre pays, s’exprime un jour tous les cinq ans et cette démocratie participative, inclusive, qui doit s’exprimer tous les jours.

On peut même aller plus loin dans cette relation mandataire/mandant, en relevant ce qu’on pourrait qualifier de quiproquo. En fait, la démocratie représentative a été conçue dès l’origine comme un rempart contre le suffrage universel. Or ici, la démocratie repose aussi sur l’hypothèse absurde de l’élu compétent, lequel, par définition, peut se substituer à tout citoyen. On considère qu’une fois que les citoyens ont élu leurs représentants, leur devoir c’est de se taire. Il y a aussi ce que les sociologues appellent ''Le mythe du peuple'' assemblé fictivement en la personne des représentants choisis.

Qu’on nous comprenne bien : nous ne sommes pas en train de faire l’apologie d’une démocratie d’opinion à la petite semaine, où le politique serait incapable de proposer des analyses, des actions et où la société serait l’arbitre final de tout. Il s’agit plus simplement de tenir compte de l’hétérogénéité de toutes les opinions, en un mot de faire des citoyens les acteurs des décisions qui les concernent, si nous voulons qu’ils soient des vecteurs du changement.

On ne réalise pas toujours qu’un projet politique, quels qu’en soient  la forme et le contenu, doit, pour s’inscrire dans la longue durée, faire l’objet d’une réappropriation par ses destinataires. A titre d’exemples, les différentes lois telles celles sur les gaspillages lors des cérémonies familiales et l’excision, qui posent un problème d’effectivité, sont emblématiques à cet égard. En effet, une loi sociale ne peut être acceptée que si elle a subi une double ratification, celle du parlement, mais aussi celle de la population et des groupes concernés.

Du reste, on peut constater de manière évidente un déficit de représentativité non seulement dans le débat public d’une bonne frange de l’élite intellectuelle qualifiée improprement d’apolitique, mais aussi au niveau des instances de décision où se nouent et se dénouent les grands enjeux sociétaux. Leur prise de parole pourrait constituer, à l’évidence, une contribution importante d’une bonne partie de la société au débat démocratique. C’est pourquoi, il faudrait redonner au champ du politique sa dimension plurielle et ne pas croire l’avoir épuisé en l’ayant limité, comme le font les politiciens professionnels, à la lutte pour le pouvoir.

Pour l’essentiel qu’attendons-nous comme ruptures ?

Pour nous en tenir à quelques points critiques, nous savons qu’au Sénégal, les aspects institutionnels souffrent d’une overdose rhétorique, mais une solution simple existe, elle a pour nom régime parlementaire. Cela consisterait à confier au seul Premier ministre et aux ministres qu’il aura librement choisis et en toute responsabilité, la détermination et la conduite de la politique de la nation sous le contrôle d’un parlement qui refléterait la pluralité des voix des citoyens. Ce n’est qu’à ce prix qu’il lui sera opposable une culture du résultat et de l’évaluation.

Mais arrêtons de rêver en couleur et soyons réaliste en nous focalisant sur ce qui existe. Il faut un exécutif politiquement ''light'', capable de renoncer à la posture archaïque de l’hyperpuissance d’un exécutif au détriment du législatif. Le parlement doit aider l’exécutif à mieux gouverner ; le préalable c’est de muscler le premier et dégraisser le dernier. La séparation des pouvoirs passe nécessairement par la rationalisation de l’hyper présidentialisme et le renforcement du pouvoir du parlement. Il convient de faire de la séparation des pouvoirs une réalité tangible. On parle souvent de l’indépendance de la justice, mais il y a tous les autres pouvoirs : législatif, administratif, économique, religieux, médiatique. En outre, la démocratie a pour exigence de les rééquilibrer dans des ''check and balance''.

C’est pourquoi, l’exécutif doit prendre en compte les propositions de loi (propositions de loi relevant de l’initiative parlementaire), bien davantage qu’il ne l’a fait dans l’autre législature. L’efficacité de son action n’en serait que raffermie. Il faut aussi renforcer l’opposition parlementaire dans sa fonction d’interpellation du gouvernement, dans sa capacité à mobiliser les instruments de contrôle, d’investigation et d’évaluation des politiques publiques.

Qu’attendons-nous comme ruptures ?

Pour un autre type de participation citoyenne, il importe de retourner à l’esprit de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel, les citoyens ont le droit de concourir personnellement à la formation de la loi. Il faut donc surmonter les féodalités politiques, élargir l’espace politique aux simples citoyens en leur proposant de nouveaux outils participatifs et délibératifs (forums citoyens, entre autres), des modalités de co-conception, co-élaboration et co-évaluation des politiques publiques. Une large capacité (au besoin en renforçant leurs potentialités) d’interpellation des pouvoirs quels qu’ils soient, en prenant soin à chaque fois d’articuler décision et participation. Cette démarche devrait permettre, de notre point de vue, de mettre fin qu’on le reconnaisse ou non au discrédit dont souffre l’institution parlementaire et de renouer la confiance par le dialogue au plus près des réalités, à travers  une grande diversité de solutions.

Dr Cheikh Tidiane Ba , Sociologue

Ctba03 @yahoo.fr

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