Des maîtres coraniques veulent dicter une ligne éditoriale à la presse
Irrité par le traitement que la presse a fait du carnage à une école coranique de Thiès où un drogué a égorgé un talibé et éventré deux autres, le porte-parole de la Fédération des maîtres coraniques a, dans une interview sur la radio Sud Fm, adressé une ferme mise en garde à la presse : pas question de proposer cette affaire comme thème de discussion sur les tribunes libres des radios, pas question de la traiter sur un autre genre qui ne soit pas strictement informatif (brève et compte-rendu… Sans plus). Un ‘’point, un trait’’, a insisté le Serigne daara sur un ton qui n’admet pas la réplique encore moins la désobéissance. De quoi en boucher un coin à un défenseur de la liberté de presse.
Et personne ne dit rien, pas les organisations de défense de la liberté de presse, pas ceux qu’on appelle, de manière péjorative, les droits-de-l’hommistes, pas… pas… Tout le monde se tait devant ce qui n’est rien d’autre qu’une censure, une ligne rouge tracée devant la presse à laquelle on dénie le droit de traiter cette tragédie sous d’autres genres rédactionnels en usage dans le travail des journalistes.
En clair, tout journal qui fera un commentaire, toute radio qui donnera à ses auditeurs la possibilité d’exprimer leur point de vue sur cette tragédie, subira les représailles des maîtres coraniques. Pour le moment, le porte-parole veut limiter la rétorsion à des poursuites judiciaires, mais cela ne rassure point tant qu’un zélote ou un incontrôlé pourra s’attaquer à un journaliste ou à son journal en punition d’un prétendu non-respect de l’oukase des serigne daara. Et l’autoritaire porte-parole oublie que c’est un média qui lui a permis de faire entendre ses injonctions négatives et inacceptables.
Certes, il faut donner l’information, mais aussi (si l’inspiration leur vient, à des journalistes) de la commenter, c’est donner leur point de vue, d’analyser pour expliquer comment a été possible ce meurtre ignominieux. Si évidemment le journaliste cède à la peur et aux propos comminatoires, il ne fera rien ; et sera confiné dans les limites tracées par un serigne daara qui ne veut pas qu’on regarde ailleurs vers les déviances qui ne sont rien d’autres que les conséquences de la consommation de drogue et d’alcool à laquelle se livrait le meurtrier dont le fournisseur aurait été le propre père de la victime. Et avec cette affaire à donner le tournis, n’est-il pas pertinent d’analyser, de commenter ? Non, va sans doute objecter le porte-voix de la Fédération des maîtres coraniques.
Le journaliste est libre (pour autant que son inspiration et son professionnalisme l’y prédisposent) à traiter son information, sans contrainte… Sans subir les représailles de qui que ce soit. Dès qu’un daara risque d’être mis en cause ou l’est, les acteurs du secteur crient à la tentative de ‘’décrédibilisation’’ de l’école coranique, surtout par ces temps où la modernisation de ce secteur de l’éducation religieuse est considérée comme un combat contre l’Islam. Mais le secteur risque plutôt le discrédit à cause des pratiques de certains de ses acteurs qui sont tout sauf des modèles.
Est-il concevable de forcer le journaliste à ne rester que dans des sujets qu’il doit commenter et qui lui seraient dictés par une entité de son propre public ; qu’il doit analyser ou pas ? Le journaliste doit-il ravaler son idée d’une chronique, d’un billet, (ces genres dits « de l’opinion », puisque les usagers y expriment, par le biais de ces styles et mode), ses convictions propres ? Il ne faudrait surtout pas, surtout que se réalisent les vœux du serigne daara qui veut imposer ses desiderata à une profession très jalouse de sa liberté.
Alors que nous étions à Wal Fadjri, un disciple de second rang d’un célèbre marabout, téléphonait toujours à la rédaction, selon qu’un article n’était pas à son goût ni à celui du chef religieux, pour menacer que ‘’les talibés sont là et veulent débarquer chez vous pour mener une expédition punitive’’ (sic). Le ‘’débat physique’’, pour emprunter le terme du défunt leader syndical enseignant et critique d’art, Iba Ndiaye Diadji, était, pour ce bëkk néék, plus productif que le rectificatif (si, évidemment, ce droit de réponse se justifiait).
Ces ‘’restrictions à la liberté d’expression et d’information prévues dans plusieurs projets de loi’’ sont une menace permanente et leur persistance mérite une grande vigilance.
Il serait souhaitable que les organisations professionnelles se prononcent contre ces menaces, cette tentative d’imposer une ligne rédactionnelle ; le monstre n’est pas que les pouvoirs publics ; il est aussi dans les pouvoirs informels qui tentent de manière insidieuse ou ouverte de museler les journalistes. Disons-leur aussi ‘’non’’ !
Jean Meïssa DIOP
Post-scriptum : Il a été aussi instructif que plaisant ce reportage de Radio France internationale sur Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, créée il y a cinquante ans, de partout et nulle part dans le désert, pour servir de capitale à un nouvel Etat qui n’en avait pas (Saint-Louis du Sénégal en tenant lieu). C’est cela que raillait un de nos anciens condisciples du Cesti, rapportant que face aux appétits territoriaux de ses voisins, les dirigeants mauritaniens de l’époque disaient : ‘’La Mauritanie est comme un cadavre de mouton mort ; chaque chacal il passe, il prend son part et il part’’.
Nouakchott, le bled qui comptait cinq mille habitants, est peuplé, en 2015, d’au moins un million de personnes. Là-bas, les taxis sont appelés des ‘’tout-droit’’ (sic) et pour cette raison (et ce n’est pas Rfi qui le dit), tout virage qu’on fait emprunter au taxi serait facturé en sus et le code de la route dans son aspect informel dispose qu’il ne suffit pas à un automobiliste de clignoter à gauche ou à droite pour tourner, il faut aussi klaxonner pour signaler son intention à l’automobiliste de derrière. Tonique, vraiment, ce reportage de Laura Martel, la correspondante de Rfi en Mauritanie et diffusé dans la rubrique Cinq milliards de voisins d’Emmanuelle Bastide.