Publié le 28 Jan 2018 - 15:15
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

La photo qui attente à la dignité

 

Un bandit, quel que soit son méfait, a des droits. Et le moindre n’est pas de ne pas être offert en pâture via la publication intensive ou non de son image dans les médias et autres réseaux sociaux. Comme c’est le cas depuis trois jours de cet individu ayant commis l’indélicatesse d’avoir usurpé, sept années durant, les fonctions et attributs d’un officier des douanes. Et à ce titre, il a pu rançonner, escroquer jusqu’à ce que la gendarmerie le confonde et le mette aux arrêts. Et voilà que les exploits du faussaire et sa photo se répandent sur les réseaux sociaux par le fait d’abonnés qui s’en sont donné à cœur joie, publiant les photos sous presque tous les angles du malfaiteur menotté. S’en fout sa dignité et du désarroi de sa famille.

Certes, il est difficile de plaider le droit à la dignité d’une personne qui a commis tant de préjudice à tout un corps paramilitaire et à la société. Mais il faut aussi savoir raison et précaution garder. ‘’Tout individu mérite un minimum de respect de sa dignité, fût-il l'ersatz du mal lui-même, rappelle un facebooker du nom d’Abdou Slaam Guèye. Je suis atterré par cet acte ignominieux dont il est victime avec ce (dévoilement) grossier, outrageux, voire scandaleux de sa dignité. C'est ahurissant comme la société aime se délecter du malheur de son prochain’’.

M. Guèye réagissait ainsi à un message posté par le journaliste Hamadou Tidiane Sy, Directeur de l’Ecole de journalisme, des métiers de l’internet et de la communication (Ejicom de Dakar) qui, sur sa page Facebook, estime qu’’’un malfaiteur est certes quelqu'un qui a commis une faute et du tort à la société. Celle-ci peut lui faire payer ou lui pardonner. Soit. Toujours est-il que le malfaiteur reste un être humain. A ce titre, il a droit au respect de sa dignité et de son intégrité. Juste pour dire que ce qui arrive à ce faux douanier (je ne le connais ni d'Adam ni d'Eve et je ne le défends pas) me chagrine. Il subit une double, voire triple punition. Il ne mérite pas ce lynchage et cette surexposition sur les réseaux sociaux ! Aucun être humain n'étant infaillible, il nous faut, à nous citoyens ordinaires, plus d'humanisme, d'empathie et de compassion dans le traitement de ces cas-là. Mieux encore, nos institutions publiques (qui ont livré sa photo au public, je suppose) devraient toutes aller à l'école des droits humains !‘’.

Le plus à blâmer, dans cette faute médiatique, est le service public de la sécurité qui a communiqué cette photo et permis sa diffusion très large (plus que large)  sur les réseaux sociaux. A ce stade de l’affaire, l’usurpateur de fonction reste présumé innocent jusqu’à sa condamnation par la justice. Ce n’est pas pour rien que dans tous les pays occidentaux, la presse ne montre jamais un individu menotté. Dans certains cas, les mains menottées sont recouvertes d’un drap ou d’une veste ou tout autre moyen pour qu’elles ne soient pas visibles. Parce que les menottes en elles-mêmes sont accusatrices ou culpabilisantes. Leur usage contre un malfaiteur ‘’n’est justifié qu'en cas de risque avéré à la sécurité posé par la personne comparaissant’’. "Nous devons traiter les personnes avec respect et dignité, même si elles sont suspectées d'un crime’’, soulignent des juges d'appel cités par le journal suisse ‘’Le Matin’’ lu par votre serviteur.

‘’Publier la photo d'un voleur présumé, ça peut coûter cher !, avertit le journal belge ‘SudPresse’. Si vous êtes victime d’un cambriolage, ne faites surtout pas circuler la photo du voleur ! Il pourrait se retourner contre vous. En effet, d’après la loi, il s’agit d’une atteinte à sa vie privée. Pourtant, nombreux sont les citoyens qui (…) font circuler la photo d’un cambrioleur présumé sur les réseaux sociaux. Grâce aux techniques modernes de vidéosurveillance, il est facile d’obtenir un portrait précis de tout intrus. Mais ces images peuvent uniquement être exploitées par la police’’.

La cause doit donc être entendue par les facebookers qui distribuent avec désinvolture et goguenardise la photo du faux douanier Mbengue qui pourrait bien se retourner contre eux et (pourquoi pas ?) les hommes de loi ayant divulgué son visage.

Sous nos cieux sénégalais, il y a eu un cas célèbre et pire : l’arrestation, par la gendarmerie, du caïd Alioune Abatalib Samb alias ‘’Ino’’, aujourd’hui décédé, livré aux photographes et aux cameramen, et son image souriante diffusée le soir à l’heure du ‘’Journal télévisé’’ de la Rts.

De temps en temps, les policiers et les gendarmes ayant démantelé un gang se font photographier tout fiers comme un bouquet de fleurs aux côtés des malfrats et communiquent la photo à la presse ; laquelle la publie sans précaution, étant donné que toute poursuite, pour ce motif, contre les forces de l’ordre devra, au premier chef, ‘’installer dans la cause’’ le support de diffusion. Tout le monde (internautes, gendarmes, policiers et autres) est averti.

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