Publié le 12 Sep 2017 - 21:09
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

Une certaine presse et son lexique douteux

 

Certains journaux sénégalais usent de notions fort douteuses pour annoncer la nomination d’un individu à la tête d’une société ou d’une institution importante par son poids financier surtout ou, accessoirement, économique, politique… ‘’Juteux’’, ‘’balèzes’’, ‘’fromages’’… Les nominations survenues lors de la formation du nouveau gouvernement Dionne et les promotions et limogeages de personnalités ont été l’occasion, pour cette presse, d’user (et même d’abuser) de son lexique habituel favori et quelque peu argotique : ici, c’est Abdoulaye Diouf Sarr crédité d’avoir hérité d’un ‘’juteux strapontin’’ au ministère de la Santé, et là, c’est Cheikh Kanté, ci-devant directeur général du Port autonome de Dakar, qui perd un gros ‘’fromage’’ ou encore Aminata Angélique Manga qui a hérité d’un poste ‘’balèze’’  suite à son avènement au ministère de la Micro-Finance et de l’Economie solidaire.

Cet usage populaire et populiste n’a pas échappé à l’indignation du journaliste Pape Sadio Thiam dans sa réflexion publiée sur sa page Facebook : ‘’De telles expressions toutes faites dans l'espace médiatique, renseignent sur notre rapport jouissif avec le pouvoir.’’

C’est tellement vrai, devrions-nous renchérir ! C'est comme si le ministre ou le cadre appelé à des fonctions peut se servir à pleines louches dans le budget et les prérogatives du ministère ‘’fromage’’  ou ‘’balèze’’. Et s’il ne le fait pas, ses proches lui diront que "boul niak fayda", ainsi font-ils tous. ‘’Si tu ne bouffes pas le fromage balèze, un autre te succèdera et le fera’’.

Et, sous cette pression, on cède à la tentation de la malversation, du détournement de deniers publics, de l'enrichissement illicite. Voire de la concussion et de la corruption. Et ce sont des journalistes qui y auront incité. Appelez cela "incitation au vol, au détournement de deniers publics, à l'enrichissement illicite". Ce n'est pas là le rôle d'un journaliste qui ne doit pas user d'un langage qui pousse au mal, à la malhonnêteté, à la prévarication…‘’

Cette presse au vocabulaire argotique, si elle ne m’influence pas, traduit le ‘’rapport jouissif’’ que le bon peuple se fait de l’exercice par un citoyen de responsabilités impliquant de l’influence politique, économique et surtout financière. En fait, ce langage si détestable a fait son apparition dans la presse écrite ‘’people’’ et devrait être banni par les garants rigoureux de lignes éditoriales et d’orthodoxie professionnelle. Au journaliste, il est toujours recommandé, dès l’école de journalisme ou alors dès les premiers jours au sein d’une rédaction, de bannir dans son écriture les mots, formules et expressions tout faits, argotiques, pédantesques… Et ‘’balèze’’  et ‘’fromage’’  entre bien dans ces catégories.

Relisez les journaux paraissant jusque dans les années 2000, vous n’y verrez point de telles grossièretés lexicales.

Peut-être qu’il est concevable qu’un article souligne l’importance de la nomination faite à tel cadre en faisant remarquer (juste en passant) le poids de l’institution, de la société ou de l’entreprise qu’il est appelé à diriger. Mais jamais il ne devrait être question d’interpréter cette nomination comme l’appel à déguster un fromage, ni donner le sentiment d’un poste ‘’lourd’’ à un point tel que la personne qui y est appelée va user et abuser des prérogatives que confèrent ces responsabilités.

Tant que l’éthique et la  déontologie de sa profession le lui permettent, le journaliste devrait plutôt promouvoir la bonne gouvernance au lieu de promouvoir (par ses insinuations) des antivaleurs.

Des tuyaux crevés et non pas des sources : La formation du nouveau gouvernement Dionne aura révélé combien des journalistes sont forts en pronostics faux. D’abord, annoncer qu’il y aura un remaniement n’est plus vraiment une information, tant est inévitable cette occurrence. Il y aura toujours remaniement, le défi est de savoir dire avec exactitude quand et avec quels noms. Et en ce qui concerne les personnes, les pronostiqueurs ont vraiment pilé de l’eau, tant leurs ‘’certitudes’’  se sont révélées fausses. Certains annoncés pour limogés sont maintenus au gouvernement et aucun des nouveaux n’avait été vu arriver. Les ‘’capteurs’’, les ‘’agents infiltrés’’, les pseudos ‘’sources dignes de foi’’  et autres n’y ont rien fait.

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