Publié le 17 Apr 2020 - 00:39
CRISE CORONAVIRUS

Les mille et un problèmes des artistes  

 

Touchés de plein fouet par le nouveau coronavirus qui a tout chamboulé, les acteurs du monde du spectacle comptent sur le fonds Force Covid-19 pour atténuer l’impact de cette épidémie. Mais le recensement pose un véritable problème. En attendant, si certains sont complétement terrassés par la crise, d’autres trouvent des astuces pour joindre les deux bouts ou pour surmonter le stress. 

 

La culture fait partie des secteurs les plus touchés par la crise due à la Covid-19. A cet effet, les préoccupations des acteurs culturels sont prises en compte par le président de la République Macky Sall, à travers l’initiative Force Covid-19. Un fonds de riposte et de solidarité contre les effets de cette pandémie.

Mais si répertorier les acteurs évoluant dans les autres secteurs qui subissent les impacts du coronavirus et évaluer leur perte n’est pas chose difficile, ce n’est pas le cas dans le milieu de la culture. Les recettes des acteurs et travailleurs de la scène et du spectacle sont variables et il n’est pas facile de lister ceux qui endurent les annulations de concerts ou de contrats, vu que les rassemblements de tout ordre sont interdits et un couvre-feu de 20 h à 6 h est de rigueur.

L’Association des métiers de la musique du Sénégal (AMS) reconnaît que cela peut être un obstacle, mais pas insurmontable. Avec ses partenaires, l’AMS compte franchir cet écueil. ‘’Le manque à gagner est certainement considérable. Ne disposant pas de statistiques fiables, nous avons lancé, depuis le 23 mars, avec la Sodav et nos partenaires de la culture, un questionnaire en ligne à l'intention des acteurs du spectacle, afin de collecter des informations chiffrées sur l'impact causé par l’arrêt de travail dû à la pandémie’’, renseigne Daniel Gomes, le président de ladite association, joint au téléphone d’‘’EnQuête’’.

Au bout du fil, M. Gomes a détaillé la stratégie adoptée pour que les artistes et autres personnes évoluant dans le monde de l’art puissent bénéficier de cette aide. Il informe que le groupe constitué à élaborer, sur la base des différents avis et des réponses au questionnaire, un document concerté dans lequel, ‘’d'une seule voix’’, ils émettent des propositions au comité chargé de la gestion du fonds Force Covid-19. Ce, pour espérer, comme tous les acteurs des autres secteurs, une attribution juste pouvant prendre en compte les besoins vitaux du monde culturel.

Il le faut bien, parce que les pertes sont considérables. Cheikh, du duo Pape & Cheikh informe qu’ils ont dû tout mettre en suspens. Ils constituent l’un des groupes les plus réguliers de la scène sénégalaise. Le duo se produisait au moins une fois par semaine. ‘’On a dû arrêter tous nos spectacles. Cela a effectivement un impact économique, parce qu’on va rester pendant encore un temps indéterminé sans nous produire, sans gagner de l’argent. Donc c’est dur’’, a avoué Cheikh. Wally Ballago Seck était également de ceux qui se produisaient toutes les semaines. Régulièrement, il jouait au Barramundi les vendredis soir, au Penc Mi les samedis et au club Vogue les dimanches. D’après le manager et responsable administratif du Raam Daan, M. Koné, le premier soir du week-end, il faisait une recette comprise souvent entre 2,5 et 3 millions de F CFA, le lendemain 4 à 5 millions de F CFA et le dimanche entre 3,6 et 7 millions de F CFA. Faites le calcul et vous verrez que le Prince des Faramaren perd en ce moment et toutes les semaines au moins 15 millions de F CFA. Ces prestations dans ces clubs n’ont rien à voir avec les contrats qu’il avait et qui ont été annulés. Wally devait jouer le 4 avril à New York. ‘’Rien que pour les formalités de visas pour ce voyage, nous avons dépensé plus de 3 millions’’, informe M. Koné.

A son retour, devait se tenir sa traditionnelle soirée d’anniversaire. Une soirée dont la logistique coûte, à elle seule, 60 millions de F CFA. ‘’Cela est vérifiable auprès de Khelcom Bâches et le salaire du personnel qui travaille autour de cette soirée n’est pas pris en compte, ni la communication. Au bas mot, la soirée d’anniversaire nous coûte pas moins de 100 millions de F CFA’’, affirme M. Koné.

Il regrette l’annulation de contrats de Wally à Almeria, en Espagne et à Barcelone. C’était prévu pour juin. Après, l’orchestre devait faire cap sur Milan. Auparavant, il y avait des prestations dans l’agenda du chanteur à Saint-Louis, au Fouta, à Kaolack et dans le sud du pays. Monsieur Koné, qui travaille sur un document d’estimation de pertes en ce moment, informe que depuis le début d’interdiction des rassemblements et autres, l’artiste n’a pas perdu moins de 300 millions de F CFA, entre contrats annulés, billets d’avion déjà payés, les prestations par semaine, etc. Ce qui ne va pas, cela va de soi, sans conséquences. ‘’Personne n’est payé actuellement. C’est Wally qui prend de sa poche pour aider les musiciens. Il a acheté des denrées alimentaires pour ceux qui jouent avec lui, en attendant de voir comment va évoluer la situation et ce qu’il peut faire de plus’’, renseigne M. Koné.

Chez Pape Diouf également, il n’y a ni croix ni pile. Les pertes sont énormes. Il devait organiser son ‘’Grand Bégué’’ le 4 avril dernier. Il voulait, disait-il, fêter l’indépendance du Sénégal. Il allait être le premier artiste à organiser une soirée à Dakar Arena de Diamniadio. Mais, il a dû sursoir ce spectacle à cause du coronavirus.

Joint par téléphone, son manager, Matar Diop, révèle que ce report leur a causé une perte de plus de 50 millions de F CFA. Le leader de la Génération consciente avait déjà effectué de nombreuses dépenses. Cela va de l’impression de la billetterie aux réservations de billets d’avion pour les artistes invités. Il était annoncé la participation des artistes Awa Imany, Jacob Desvarieux et Ina Modja. ‘’On avait confectionné trois formes de billet qui devaient coûter entre 20 et 25 mille F CFA. C’était des billets réservés à la prévente, d’autres qui comportent un code-barres et les bracelets qui devaient être délivrés le jour J. Ces trois formes de billet nous ont au moins coûté 7 millions pour leur confection. On voulait proposer aux Sénégalais deux répertoires différents de l’artiste. On avait prévu de jouer l’album international en live, avant que Pape n’interprète les morceaux mbalax. Pour le premier volet, des billets d’avion ont été déjà réservés pour des artistes internationaux qui devaient jouer. On a également acheté des billets d’avion pour un autre de groupe de musiciens de 20 à 21 personnes, en provenance de la Côte d’Ivoire’’, fait savoir Matar Diop. Ce, sans compter le budget déployé pour la communication de cet évènement.

Son artiste a aussi reporté d’autres évènements, à cause du coronavirus. Son agenda était surbooké jusqu’au 18 avril, mais il a dû tout annuler. ‘’C’est difficile, mais on ne peut que s’en remettre à Dieu. La pandémie a causé beaucoup de morts, donc, on ne va pas être là à nous plaindre pour de l’argent. Tant que qu’on ne s’est pas débarrassé de la maladie, on ne pourra pas programmer quelque chose’’, fait-il savoir.

Comédie et art visuel

Les acteurs de la musique ne sont pas les seuls à s’organiser. Les artistes comédiens sont aussi en train de faire ce travail de recensement, selon Kader Diarra dit ‘’Kader Pichininico’’. Et ce n’est pas un gros problème pour le Comité de relance du théâtre qu’il dirige. Seulement, l’on ne peut nier que beaucoup d’artistes sont carrément dans l’informel. Et certains ne sont même pas au courant de la mise en place du fonds Force Covid-19. L’artiste Coumba Dème, qui est à la tête de l’association Handi-Familly, une organisation de 15 personnes qui regroupe danseurs traditionnels en situation de handicap et batteurs, est de ceux-là. La plupart des artistes visuels sont aussi dans ce lot. Ces derniers ne font partie d’aucune organisation. ‘’Si l’on se base sur les associations pour répertorier les artistes, on risque de laisser en rade la majorité’’, avertit le peintre Ibou Diagne.

Basé à Ouakam, il a réalisé sa première exposition au début des années 2000. Cette année, les évènements auxquels il avait déjà prévu de participer sont tous déprogrammés, suite à l’arrêté du ministre de l’Intérieur portant interdiction provisoire de toute manifestation ou rassemblement au Sénégal. Monsieur Diagne ne sait, pour le moment, à quel saint se vouer. Désemparé, il propose à ceux qui gèrent cet argent de recenser les artistes qui ont pris part au dernier Festival national des arts visuels du Sénégal, qui s’est tenu en novembre dernier.

Joint par téléphone, l’artiste photographe Baba Diédhiou abonde dans le même sens. ’’Je crois que c’est facile. Il y a des activités qui ont été organisées récemment, comme le Salon des arts visuels du Sénégal. Des artistes ont été sélectionnés dans différentes catégories. Soit il faut prendre ces listes-là puis contacter les artistes qui sont en règle, soit aller dans les galeries’’, propose-t-il.

La crise sanitaire, économique… a chamboulé toutes les activités de l’auteur de la série de photos ‘’Goorgorlu’’. Baba Diédhiou devait participer à deux expositions collectives : Inspir’Elle et ArtShow. Si la première est tout bonnement annulée, la seconde se passera finalement en ligne. Par ailleurs, il pense se rapprocher du ministère de la Culture et de la Communication pour savoir davantage la démarche à suivre. Artiste 3D et peintre, khéraba Traoré est le binôme de Baba Diédhiou, dans le cadre de l’exposition ArtsShow. Ils ont dû annuler leur voyage en France, à cause du coronavirus. Etant dans l’informel, il n’a aucune idée sur la manière dont les artistes auront leur part dans ce fonds.

Finalisation de projets et débrouillardise   

En arrêt de travail forcé, certains, comme Coumba Dème, croisent les bras, en attentant que les choses rentrent dans l’ordre. D’autres artistes ont trouvé la parade pour ne pas être dans l’oisiveté ou éviter d’être agités par l’anxiété. Avant la crise, Baba Diedhiou était en pleine préparation de la biennale Dak’Art 2020 qui a été aussi reportée. Mais le rythme de productivité du photographe n’a pas changé. Il est du genre touche-à-tout. Dans son studio installé dans sa maison familiale, s’il n’est pas dans la photographie, il s’active dans la réalisation de vidéos ou dans la conception d’affiches. En cette période de pandémie ou la communication est un moyen de lutte, il est très souvent sollicité pour confectionner des affiches de sensibilisation. Egalement, ‘’puisque les rassemblements sont interdits, quand il y a baptême ou autres événements familiaux, les gens m’appellent ou viennent chez moi, bien habillés, pour se faire photographier’’.

Au-delà de ses activités rémunératrices, cette crise permet à Baba d’avoir le temps de finir ses projets. ‘’Ça me permet d’écrire les projets que j’ai en tête. Là, je suis en train de travailler sur l’installation de la danse diola ‘’Bugerebu’’ dont je dois présenter 107 clapettes son avec les gravures’’, explique-il. ‘’Je ne sors, dit-il, que quand c’est utile ; par exemple, pour aller tirer mes photos’’.

Même constat chez le peintre khéraba Traoré. Lui trouve dans cette crise un côté "bénéfique". Contraint de rester au Sénégal, alors qu’il devait se rendre en France, dans le cadre d’un festival, il profite de son auto-confinement pour développer d’autres projets artistiques.

Les cinéastes subissent également les désagréments de ce confinement partiel forcé. Dans une note, Fatou Kandé Senghor, qui tourne une série sur le hip-hop, partage son astuce. ‘’Après mûre réflexion, nous avons opté pour la poursuite du tournage en mode confinement. L’équipe technique sera réduite à 5 personnes et seules les scènes en intérieur ne rassemblant pas plus de 3 acteurs seront tournées’’, indique-t-elle. ‘’Nous patientons, comme tout le monde, pour le reste. Le décor de tournage regroupant tous les espaces où nous voulons tourner, nous avons aussi choisi d’y aménager une partie logement pour y vivre, le temps du tournage. Nous sommes en confinement. Avant de nous rassembler, nous prendrons nos températures et prendrons bien soin de respecter les recommandations d'hygiène. A la fin de nos 3 semaines, nous continuerons notre confinement, avant de rejoindre nos familles respectives’’, dit-elle. Une manière bien responsable d’agir contre la Covid-19.

BIGUE BOP ET BABACAR SY SEYE

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