Publié le 21 Oct 2019 - 17:33
DÉMOCRATIE D’OPINION

“L’Etat est une Entreprise dont les Actionnaires sont les Citoyens”

 

Les démocraties modernes s’expriment en général sous forme de démocratie représentative et de démocratie d’opinion. Elles sont complémentaires dans le dialogue et le jeu politique. La démocratie représentative est basée sur les élections qui mandatent des individus à exercer des fonctions bien déterminées dans des institutions de la république durant des échéances périodiques. La démocratie d’opinion remplit une fonction de la vie politique entre deux échéances électorales en assurant la continuité du dialogue et du jeu politique entre les différents acteurs. La fin des élections ne ferme pas le cycle de la vie démocratique.

La démocratie d’opinion est à l’image d’un tribunal où gouvernements, partis, hommes politiques et publics doivent comparaitre. L’enjeu de la démocratie d’opinion pour les protagonistes est de contrôler  et d’instrumentaliser l’opinion comme une redoutable force politique de frappe. Les acteurs politiques du pouvoir comme ceux de l’opposition rivalisent de stratégies de marketing et de communication pour piéger l’opinion et la soumettre. Le processus d’influence sociale de cette opinion est un processus interactionnel basé sur des déterminants économiques, sociaux, politiques et culturels. Les gouvernements, les partis politiques, les lanceurs d’alertes, les activistes, la société civile participent à la construction de l’opinion par presse, sondages et réseaux sociaux interposés. Les actions de conquête de l’opinion transforment les citoyen-électeurs en consommateurs impulsifs de faits, d’informations, d’idées, d’évènements et de slogans le plus souvent à sensation. Les citoyen-électeurs en raffolent, en demandent et en reçoivent à satiété.

Les groupes qui contribuent au profilage de l’opinion sont la plupart du temps concurrents et intéressés. Leur travail de marketing et de communication vise à orienter l’expression de l’opinion dans le sens de la satisfaction de leurs objectifs et de leurs buts. La bataille pour influencer l’opinion est rude et impitoyable. Cette lutte devient un drôle de jeu alimenté de mensonges, de calomnies, de diffamations, de protestations, de prétentions (à parler au nom du peuple), de démagogies, d’opportunisme, de populisme, de préjugés, d’illusions, de terrorisme verbal, de contestations, de manifestations, de suspicions, de séduction, de publicité, …. Il faut abreuver le citoyen-électeur de toutes potions toxiques destinées à ternir la notoriété, l’image et l’action de l’adversaire pour le priver des faveurs de l’opinion. Il s’agit d’isoler l’adversaire et d’orienter définitivement le vote du citoyen-électeur.

L’opinion perd son jugement, sa rationalité et sa lucidité face à la puissante faculté de persuasion de ces talentueux leaders d’opinion. Elle est victime certes de sa complaisance mais également de la manipulation, de l’hypocrisie, de la confusion et de l’amalgame bâtis sur du marketing politique motivé par des ambitions non avouées. La passion, la haine, la peur, l’angoisse et l’affolement s’emparent des cœurs et des esprits pour se traduire en risques de violences et de troubles à l’ordre public et républicain.

Des innocents sont en train de mourir en Guinée à cause d’une réforme constitutionnelle qui doit permettre un troisième mandat présidentiel. La limitation des mandats est une confiscation politicienne de la souveraineté électorale. Seul le peuple électeur a le droit de limiter ou de proroger un mandat électif par son vote, tel que le consacre la loi allemande. Le président Wade a légalisé un troisième mandat que les électeurs lui ont refusé. Les politiciens ne doivent pas se servir de la constitution pour leurs propres intérêts.  Il faut éviter de retailler la constitution aux dimensions des ambitions politiciennes. N’est-il pas plus sage et plus réaliste de rendre aux électeurs leur souveraineté électorale en supprimant dans nos constitutions la limitation des mandats qui sème désordres et violences dans nos pays ?

La loi sur la parité est une invention politicienne pour satisfaire une clientèle politique féminine. L’orthodoxie constitutionnelle place le citoyen au centre de la loi, mais pas le genre ni le sexe. Notons que cette loi s’est heurtée à la réalité socioculturelle à Touba.

Un député qui démissionne de son parti perd son siège. L’orthodoxie constitutionnelle ne reconnait que le mandat du peuple et non le mandat du parti.

Les politiciens violent tous les jours la constitution en fabricant des opinions et des croyances pour justifier de tels avatars.

La démocratie d’opinion favorise aussi les votes sanction qui provoquent des alternances sans alternatives, donc qui ne changent la situation ni sociale ni économique des électeurs.

Des confusions et des manipulations orchestrées par des leaders d’opinion peuvent être notées dans les cas du pétrole et du gaz mais aussi des 94 milliards. On accuse le frère du président, Alioune Sall, de détourner 6000 milliards de FCFA. Cette information n’est ni crédible ni rationnelle. Elle est simplement débile en dépit de la croyance naïve et insouciante d’une certaine partie de l’opinion. On transforme le rapport de pourcentage de 58% contre 42% dans le contrat de partage de production et de recherche (Petro-Tim) en 28% contre 72% en défaveur de l’état en intégrant délibérément dans la base de calcul le cost oil. Des plaintes d’arnaque contre Tahirou Sarr, des plaintes de dénonciation, des plaintes de détournement de deniers publics autour de la seule somme de 94 milliards ont été déposées. Gare aux amalgames ! Permettez-nous néanmoins  de croire que cette affaire des 94 milliards dégage de forts relents de « donnez-moi ma part, sinon je vous vilipende », en attendant que le procès des 94 milliards livre tous les secrets sur le pillage du foncier et sur l’entreprise mafieuse de détournement de deniers publics qui se jouent au sein des services des Impôts et des Domaines.

La démocratie d’opinion a pris des galons dans l’échiquier démocratique moderne. On ne peut plus l’ignorer. Dans un contexte d’analphabétisme, d’ignorance, de paresse intellectuelle et d’un niveau de conscience citoyenne quasi inexistant, l’exercice de la démocratie d’opinion peut engendrer des conséquences dangereuses qui peuvent menacer la stabilité du pays. Cependant, le défi que nous devons relever est une démocratie d’opinion éclairée, bien informée, mieux alertée, inspirée par la vérité, la rigueur de la discussion, le principe de transparence et un comportement politique irréprochable. Il nous faut bâtir une opinion représentative de la majorité, outil de prise et d’éveil de conscience, de remise en cause de nos croyances, de nos doutes et de nos incertitudes pour créer un état d’esprit sain dans une société apaisée. Il est du devoir, du rôle et de la responsabilité de la presse, des patriotes et des intellectuels engagés d’éduquer, de protéger et d’éclairer l’opinion publique au risque de l’exposer aux dérives d’intentions manipulatrices malveillantes. Toutefois, il est nécessaire de se convaincre que la démocratie d’opinion ne peut ni ne doit se substituer à la démocratie représentative qui autorise à gouverner.

« L’ignorance est une source de domination, de manipulation et d’exploitation »

Dr. Abdoulaye Taye

Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey

Président de TGL (voir Tôt, voir Grand, voir Loin)

Initiateur du projet RBG-AMO

Opérateur politique

 

 

Section: