ANALYSE SOUS L’ANGLE DE LA SOUVERAINETÉ ET DE LA RATIONALITÉ ÉCONOMIQUE

Le 10 septembre 2025, le Chef de l’Etat a saisi l’Assemblée nationale aux fins d’examiner le projet de Loi N°16/2025 portant Code des Investissements. Ce document déjà adopté les députés sera de nouveau retourné au Président de la République pour promulgation.
Globalement, ce texte comporte des avancées notables et salutaires par rapport la version antérieure de 2004 modifiée. Ces avancées portent notamment sur l’abaissement du seuil d’éligibilité aux incitations à l’investissement qui passe de 100 millions de FCFA à moins de 20 millions. Elles concernent également l’élargissement et la diversification des secteurs d’activités éligibles au Code. De plus, le texte propose, fort opportunément, la mise en place de zones préaménagées pour l’investissement au sein des départements, résolvant ainsi la lancinante question de l’accès des porteurs de projets au foncier. La durée des incitations est de cinq (5) ans pour les investissements dans les territoires contre trois (03) ans pour les régions de Dakar et Thiès. Cette option vise manifestement à donner lieu à une véritable valorisation des opportunités des zones périphériques afin de réduire la macrocéphalie de Dakar suivant les nouvelles options de création de 8 pôles économiques territoriaux.
Toutefois, ces innovations positives ne sauraient occulter une proposition qui ne semble pas aller dans le bon sens tant du point de vue de la souveraineté que de la rationalité économique et réglementaire. Ainsi l’article 6 du projet de texte stipule que “ il est garanti un traitement égal entre un investisseur national et un investisseur étranger dans des conditions analogues”. Cette disposition devrait être levée pour au moins 3 raisons :
Premièrement, elle est en totale contradiction avec le pari de souveraineté économique édicté dans la stratégie “Sénégal 2050 : agenda de transformation systémique” qui comporte un plan de development de capacités domestiques. Ce pari pour la souveraineté économique induit indubitablement une préférence nationale et la faveur à accorder aux investisseurs locaux qui sont les piliers de la durabilité des projets. En effet, suivant les meilleures pratiques en la matière, il est crucial sans renoncer aux partenariats extérieurs de conférer une priorité aux nationaux qui sont moins enclins à délocaliser leurs projets à l’étranger et plus disposés à s’investir dans l’occupation des espaces territoriaux. Les nationaux sont également supposés assurer le réinvestissement de croissance tandis que les autres font un rapatriement de bénéfices à l’étranger. Toute préférence économique étant asymétrique par définition, il est impossible de favoriser les entreprises nationales et de les soumettre à un régime d’égalité de traitement avec les étrangers ;
Deuxièmement, l’égalité de traitement, même si elle doit être acceptée, ne saurait être gravée dans une Loi. S’il arrivait aux pouvoirs publics de faire une discrimination positive en faveur des opérateurs économiques nationaux dans le futur, ils risqueraient de faire face à des procès que pourraient leur intenter les étrangers qui évoqueraient une illégalité pour cause de rupture de traitement égalitaire ;
Troisièmement, le Sénégal dispose déjà d’un corpus juridique favorisant l’intégration des nationaux dans les projets. C’est notamment le cas dans la loi n°2021-23 du 02 mars 2021 sur les PPP stipulant l’obligation de réserver les projets dont le volume d’investissement est inférieur à 5 milliards de FCFA aux ressortissants de l’UEMOA (article 25). Ce même texte dispose que les nationaux et ressortissants de l’espace communautaire devront détenir au moins 33% du capital des sociétés de projets (article 26). De surcroît, les autorités ont affirmé leur volonté de définir une Loi sur le patriotisme économique incluant la réservation de certaines filières économiques à des nationaux. En matière de contenu local, les étrangers pourraient invoquer cette loi et s’abstenir d’intégrer des facteurs de production et du capital sénégalais dans leurs projets.
Par le texte susvisé, il est à craindre que tous ces précieux acquis pour les nationaux ne deviennent inopérants. En effet, le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale pourrait remettre en cause, voire annihiler les efforts entrepris dans ce sens en constituant une bride pour les décideurs qui ne seraient ainsi plus capables de tenir leur agenda de souveraineté économique.
Au total, à défaut de prôner la préférence nationale dans le nouveau code, il conviendrait simplement de supprimer cette disposition d’égalité de traitement entre étrangers et nationaux qui est contraire à la stratégie de création de capacités domestiques. Pire, son application pourrait se heurter aux textes réglementaires et législatives existantes. Si l’article 6 énoncé peut constituer un produit d’appel pour les investissements directs étrangers, il resterait un facteur de contre-appel pour les nationaux moins compétitifs face aux groupes internationaux centenaires ayant épuisé toutes les étapes de l’apprentissage, de gains de productivité et d’appuis institutionnels de leur pays. Le Sénégal a déjà démontré son attractivité pour l’investissement à travers sa stabilité, ses dépenses fiscales, la profitabilité de ses projets, ses infrastructures et ses découvertes d’hydrocarbures pour rajouter des dispositions contraires à la promotion des nationaux. Les leçons récentes apprises de la guerre en Ukraine et surtout de la crise du Covid sur les risques liés à l’ouverture et la dépendance excessive de l’extérieur doivent inciter à privilégier ces nationaux pour assurer la souveraineté économique du Sénégal.
Par Abdoulaye LY
Ancien Directeur de la promotion des investissements du Sénégal