Publié le 16 Jan 2023 - 19:41
DIALOGUE SUR LES MENACES CONTRE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE

"La démocratie n'est pas parfaite, elle est partielle !" 

 

Les membres de l'Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal ont engagé, ce samedi 14 janvier, des discussions pour décrypter les expériences démocratiques en cours en Afrique. Ils ont choisi comme thème les menaces contre la démocratie, afin de passer en revue les tenants et les aboutissants de cette question qui les interpelle.

 

"La démocratie, c’est l'unité du peuple", déclare Frédéric Worms, Directeur de la prestigieuse École normale de la rue d'Uls, à Paris. Il a animé, ce samedi, une conférence sur le thème ‘’Les menaces contre la démocratie’’. Il a tenté de montrer que, dans un État démocratique, le pouvoir revient au peuple, en se fondant sur la reconnaissance des différences et des désaccords qui peuvent déboucher sur la démocratie. A ses yeux, la discussion n'est pas un aspect secondaire, mais reste au cœur de la démocratie. En ce sens, Frédéric Worms demeure convaincu que "ce sont les institutions qui protègent la discussion. C'est fondamental, parce que, sur tous les sujets, les humains ont des désaccords qui peuvent aggraver les sujets. Ça devient la guerre. Des désaccords qui peuvent résoudre les sujets. Parce qu'on recherche la vérité et la justice".

Il souligne la nécessité de disposer des cadres permettant de parler et de dire des choses différentes. Que ça soit des cadres politiques qui concernent le Parlement, les élections ou des cadres scientifiques pour la formation des jugements dont l'école, l'université et la recherche garantissent. Il y a également les cadres sociaux qui donnent accès à l'information dont la presse s'est vu assigner la mission, pour permettre la diversité des points de vue.

Il insiste, cependant, sur le cadre des limites, parce que, dit-il, il y a des gens qui trahissent la liberté d'expression, qui appellent à la haine. Ce qui a favorisé l'installation des tribunaux pour créer l'équilibre. "Tous ces cadres sont importants. La démocratie s'est compliquée pour des choses simples. Parce que les humains veulent des choses très simples. Ils veulent construire le monde ensemble et, en même temps, ils sont en désaccords. Donc, on est obligé de mettre ensemble des choses compliquées. Des choses compliquées sans lesquelles on ne peut pas vivre", a souligné M. Worms. 

‘’Une institution forte, c'est une institution qui supporte la critique’’

Lors de son passage au Sénégal, à l'époque où il était le président des États-Unis, Barack Obama avait proposé à l'État du Sénégal d'avoir des institutions fortes. Frédéric Worms est du même avis. "Il ne parlait que des institutions qui parlaient du cadre de justice qu'il faut défendre et toujours améliorer. Une institution n'est jamais parfaite. Donc, on a le droit de la critiquer. Une institution forte, c'est une institution qui supporte la critique et qui la permet pour progresser", estime le professeur.

Toutefois, il souligne qu'il est aussi crucial de disposer d’hommes forts. "C'est des hommes qui sont forts contre les faibles. On a droit donc de critiquer l'illusion de la force du pouvoir qui vient de la force. Le droit du plus fort, c'est le droit qui s'impose à moi. On ne me demande pas mon avis. Le droit de l'homme juste, c'est le droit avec lequel je suis d'accord. J'obéis librement à quelqu'un qui me donne un ordre, dans le cadre d'une loi. Et donc, la loi est plus forte que la force. Parce que la loi, c'est ce à quoi on accepte d'obéir librement", déclare le conférencier. 

L’autre question est que la communauté internationale se réfère sur les rapports de force, en très grande partie. A ce propos, Frédéric Worms souligne que, malgré ce déséquilibre, il y a un début droit. "Ce début de droit n'est pas forcément dû aux Nations Unies en tant que telles. Il est dans les tribunaux internationaux qui vont juger de certains crimes graves. Des crimes contre l'humanité et les génocides. C'est là qu'on dépasse un peu le droit de la force, dans le droit international", dit-il.

Avant de préciser que certains ont tort de penser que la démocratie est parfaite. "Maintenant, les gens qui voient que la démocratie n'est pas parfaite l'abandonnent, parce qu'on leur a dit qu'elle était parfaite. Mais ils voient qu'il y a des problèmes. Il ne faut pas dire qu'elle est parfaite, mais il faut dire : elle est partielle. Il faut la faire progresser", déclare le professeur qui reconnaît que la question d'une justice mondiale est sur la table.

‘’On a eu une vision plutôt européenne, centriste, de la démocratie’’

L’anthropologue Cheikh Ibrahima Niang a, lui, insisté sur l'élargissement de la question démocratique, afin de tenir compte de toutes les expériences, de tous les aspects, de tous les acquis et de toutes les cultures démocratiques à travers le monde. "C'est que le débat a été pratiquement limité dans le sens où on a eu une vision plutôt européenne, centriste de la démocratie, alors que l'art de gérer les conflits, d'organiser le discours de sorte que le peuple décide par lui-même et que ça soit lui qui veille sur ça", dit-il.

Cheikh Ibrahima Niang rappelle aussi que les premières démocraties au monde sont des démocraties africaines. "Les systèmes politiques africains, la société et l'éducation prédisposent et fabriquent la tolérance, l'écoute, la discussion, le sens de l'empathie qui sont au cœur de la production démocratique", déclare l'anthropologue qui dénonce l'histoire d'institutions coloniales que nous avons héritées.

Dans cette même veine, il prône une démocratie africaine pensée à travers nos langues et cultures, pour ne pas avoir une démocratie qui est faite dans une langue étrangère.

Mohamadou Rassoul KANE (Stagiaire)

Section: