Publié le 26 Jun 2019 - 19:46
DOSSIER MALVERSATIONS AU COUD

L’Ofnac met le parquet devant ses responsabilités

 

Le procureur veut-il se débarrasser de la patate chaude du dossier irrésolu du Coud ? L’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), qui a mené une enquête en 2015, estime que les carences décelées et évoquées en conférence de presse par le procureur ne sont pas fondées et invite ce dernier ‘‘à exploiter les dossiers reçus de l’Ofnac pour prendre une décision’’.

 

Elle avait pris l’engagement de faire 90% de travail et 10% de communication, de médiatisation, en prenant le relai de son prédécesseur Nafi Ngom Keita à la tête de l’Ofnac. On ne pourra pas dire que Seynabou Ndiaye Diakhaté a failli à cette promesse. Une seule sortie médiatique notable et tellurique d’ailleurs, en 2017, de son ‘‘étude de perception sur la corruption au Sénégal’’ pointant la police, la gendarmerie, la santé et l’éducation comme les corps les plus touchés, et puis la présidente de retourner dans sa carapace. Jusqu’à ce que le procureur livre une conférence de presse pour pointer le curseur sur l’organisme de lutte contre la corruption dans la lenteur du dossier des malversations notées au Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud).

C’en est manifestement de trop pour la taciturne Mme Diakhaté qui n’a pas hésité à rappeler poliment le chef du parquet à ses obligations, hier.  ‘‘J’ai beaucoup de respect pour mon collègue, le procureur de la République, mais ça m’étonnerait qu’il puisse nous retourner nos dossiers d’enquête’’, a indiqué la présidente de l’Ofnac, en marge du séminaire de validation du rapport sur la Stratégie nationale de lutte contre la corruption.  Seynabou Ndiaye Diakhaté de déplorer l’inaction du parquet, malgré une saisine qui date de 2015. Elle a rejeté la défausse de Serigne Bassirou Guèye et l’a mis devant la nécessité de prendre ses responsabilités.

‘‘Le dossier du Coud a été transmis au procureur, depuis 4 ans. Lui-même, il dit avoir reçu 19 rapports de l’Ofnac. Et aucun dossier n’a été exploité. Je l’invite plutôt à exploiter les dossiers reçus de l’Ofnac pour prendre une décision’’, a précisé la présidente de l’Ofnac. Les textes semblent plutôt donner raison à cette dernière comme le dispose, du reste, l’article 3 de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’Ofnac. L’organisme ‘‘est notamment chargé de collecter, d’analyser et de mettre à la disposition des autorités judiciaires chargées des poursuites les informations relatives à la détection et à la répression des faits de corruption, de fraude et de pratiques assimilées, commis par toute personne exerçant une fonction publique ou privée’’, peut-on lire comme la première des quatre prérogatives.

Mieux l’article 14 de cette loi semble plus explicite sur l’étendue des prérogatives. ‘‘À l’issue de ses investigations, si les informations collectées et analysées font présumer de l'existence de l’une des infractions visées au 1 de l’article 3 de la présente loi, l’Ofnac transmet au procureur de la République un rapport accompagné des pièces du dossier. La transmission du rapport au procureur de la République dessaisit l’Ofnac’’. Cette loi progressiste et assez contraignante offre une grande marge à l’Office, dans le cadre de l’exécution de ses missions. Les services de Seynabou Ndiaye peuvent ‘‘entendre toute personne présumée avoir pris part à la commission de l'un des faits prévus au 1° de l'article 3 de la présente loi’’ ; ‘‘recueillir tout témoignage, toute information, tout document utile, sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé’’ ; ou ‘‘demander aux banques et établissements financiers tout renseignement, sans que le secret bancaire ne puisse lui être opposé’’.

L’article 15 de l’Ofnac peut également proposer à l’autorité compétente d'engager une procédure disciplinaire, contre tout fonctionnaire ou agent public coupable de l'un des faits visés au 1 de l’article 3 de la présente loi. Si aucune suite n'est donnée à cette proposition, l’Ofnac informe le Président de la République.

L’argument du non-respect du ‘‘contradictoire’’

Les dispositions générales de la loi énoncent aussi clairement que ‘‘dans l’exercice de leurs missions, les membres de l’Ofnac ne reçoivent d'instruction d’aucune autorité’’. Des dispositions qui font que le maitre des poursuites se trouve de plus en plus exposé aux critiques sur sa conduite des opérations. Le procureur de la République voudrait-il se délester de sa charge pour lester l’Ofnac ? A sa conférence de presse du 12 juin dernier, Serigne Bassirou Guèye avait déclaré avoir renvoyé à l’Ofnac son rapport sur le Coud en 2015. L’affaire commence quand l’Office, dirigé par Nafi Ngom Keita à l’époque, reçoit une dénonciation anonyme de malversations présumées au Coud, et s’active comme le lui permet l’article 13 de cette loi. Des explications du procureur lors de sa sortie médiatique, il ressort que les enquêteurs, le directeur de l’enquête notamment, ont retenu un détournement présumé sur deux montants essentiellement. D’abord une somme de 127 837 530 FCfa imputable au commissaire-priseur, chargé de vendre le matériel réformé du Coud. Ensuite, un montant de 82 (Ndlr : ou 89 millions, selon les pages du rapport précisera le proc’) que l’Ofnac estime pouvoir collectivement imputer au directeur de l’époque, au chef du service de l’approvisionnement et à l’agent comptable du Coud.

‘‘Force est de reconnaître que l’exploitation du rapport nous a mis en face de difficultés assez sérieuses. L’enquêteur dit, relativement au détournement des 82 millions, que les responsables sont le directeur du Coud, le régisseur chef du service d’approvisionnement et l’agent comptable, et il situe les responsabilités. Il dit que le chef du service de l’approvisionnement a encaissé l’argent auprès de l’agent comptable et a effectué les dépenses’’, relate le chef du parquet en décelant des imprécisions sur les modalités de réception et de dépense de cet argent. Et d’enchainer par un autre manquement de l’Ofnac, puisque dans le domaine ‘‘judiciaire, il y a un principe sacro-saint en matière pénale du contradictoire’’.

Autrement dit, les enquêteurs de l’Ofnac, dirigé par Nafi Ngom Keita à l’époque, avaient publié le rapport d’activités sans recueillir la version du directeur du Coud, Cheikh Oumar Hann. C’est fort de ces griefs que le parquet a décidé ‘‘de faire un retour du rapport à l’envoyeur pour que le principe du contradictoire soit respecté’’, avait lancé Serigne Bassirou Guèye, il y a une dizaine de jours. Sa sortie a eu lieu en pleine tempête médiatique sur une affaire de corruption dans les concessions de contrats pétrolier et gazier impliquant le frère du chef de l’Etat, Aliou Sall. L’état d’avancement d’autres dossiers a été annexé à la présentation du procureur comme le meurtre de l’étudiant Fallou Sène, et ces malversations du Coud où M. Guèye a renvoyé l’Ofnac à ses ‘‘contradictions’’.

Seynaou Ndiaye Diakahté qui n’a visiblement pas gouté à la sortie du procureur de la République rappelle que ‘‘la procédure pénale en cours à l’Ofnac n’est pas celle qui est prévue dans le Code de procédure pénale. L’Ofnac ne travaille ni sous l’autorité ni sous la direction du procureur de la République. Ce sont les officiers de police judicaire et les agents de police judicaire qui travaillent sous son autorité’’, a-t-elle défendu. 

OUSMANE LAYE DIOP

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