Publié le 8 Oct 2021 - 04:24
EMIGRATION CLANDESTINE

A la recherche effrénée de solutions 

 

Le phénomène de l’émigration, qui a pris des dimensions inquiétantes, n’est pas dans sa phase terminale au Sénégal. Malgré tous les drames, beaucoup de jeunes restent campés dans leur volonté de prendre le large, pour trouver un lendemain meilleur dans l’eldorado catalan, au risque de leur vie. Dans le même temps, d’aucuns sont en train de proposer des solutions pour permettre aux jeunes rester chez eux et d’y gagner leur vie.

 

Les candidats à l’émigration clandestine ont de la ressource, sont hyper motivés et ne reculent devant rien, dans leur quête d’un avenir meilleur. Ces dernières semaines, plusieurs migrants ont été interceptés par les forces de sécurité (Fds). Les plus astucieux ont voulu profiter du Magal Touba et de ce que les Fds sont hyper sollicités, pour rallier l’Espagne. On ne sait pas si d’aucuns ont réussi à passer entre les mailles des filets, mais, beaucoup ont été interceptés. Et le phénomène ne s’essouffle pas.

En effet, ce mardi, 150 migrants d'origines sénégalaise et gambienne, ont été interceptés, dans les îlots de la commune de Kafountine dans le département de Bignona. Selon les informations obtenues, ils ont été trahis par un des leurs qui a alerté les Fds.  Un jour plus tôt, une pirogue convoyant 103 migrants gambiens en partance pour l’Europe a été arraisonnée dans la nuit de lundi à mardi aux larges toujours de Kaffountine (Bignona) par la gendarmerie, en collaboration avec des agents de l’Aire marine protégée de cette localité du sud du pays.

Ainsi, le phénomène de l’émigration clandestine a retrouvé de sa vigueur et semble révéler beaucoup de réalités politiques dans la gestion du pays. A en croire certains responsables politiques, la cause réside dans l’absence d’une politique claire dans certains domaines comme celui de la pêche. C’est l’opinion de Mamadou Diop Decroix. L’année dernières, plus de 400 jeunes sénégalais avaient perdu la vie dans l’océan Atlantique, pendant qu’ils tentaient de rallier l’Espagne, afin d’y trouver un avenir plus certain.

Dans ce drame, Nianing avait payé un très lourd tribut. En effet, de la Somone à Joal Fadhiouth, en passant par Ngaparou, Saly, Mbour, Nianing ou encore Pointe Sarène, la population s’est vidée de ses jeunes qui sont prêts à braver la mer, afin de sortir de la précarité et de la misère. Ces départs massifs, pour beaucoup, sont dus à un manque de travail, alors d’autres parlent d’un problème d’employabilité.

Cependant, selon Mamadou Diop Decroix, le mal est à chercher ailleurs. « Certes, il y a un ministre de la Pêche et de l’économie maritime, mais, il n’y a pas une politique de la mer et sans cela, vous ne pouvez pas voir la problématique de la modernisation des embarcations et de notre pêche pour que les pêcheurs ne puissent continuer à pêcher comme le faisaient les pécheurs des années 1800 – 1900 », indique le leader d’And Jëf. Pour lui, « il faut un nouveau code de la pêche qui permette de protéger la ressource. Il faut redéfinir les accords de pêche avec l’Union Européenne et réorganiser le secteur de la pêche, car, il y a des conflits entre les acteurs de la pêche ».

Dans le même sillage, Decroix estime que les problèmes du secteur de l’agriculture font également partie des raisons qui poussent les jeunes à s’adonner à l’émigration clandestine. Dans ce sens, il fustige le manque de politique agricole, surtout envers les jeunes qui viennent des zones rurales continentales et qui faisaient de l’agriculture et de l’élevage. « Là aussi, nous avons une agriculture qui ne marche pas. En 2012, le poids de l’agriculture dans le Pib était de 15%, largement insuffisant, là où le Burkina était, à l’époque, 27% voire 30% et l’Ethiopie était à 47%’’, renseigne-t-il. Avant de poursuivre : « Aujourd’hui, nous sommes à 9 ou 10%. Nous avons même reculé. Alors, dans ces conditions, la terre ne nourrissant plus son homme, les jeunes quittent les zones rurales, ils viennent en ville et là ils ne peuvent plus supporter la vie et la suite, vous le savez : ils prennent les pirogues pour aller en Espagne. Donc, c’est cette absence de vision politique qui permet de décliner des mesures adéquates, c’est ça qui est à la base de cette immigration », démontre Mamadou Diop.

Cette situation inquiète d’autant plus Mamadou Diop Decroix qu’il trouve incompréhensible « le mutisme du Président de la République » devant ce qu’il qualifie de tragédie. De son point de vue, le silence du gouvernement et surtout celui du président Macky Sall est troublant. « Je ne sais pas qui a conseillé au pouvoir de marginaliser ce phénomène, de ne pas en parler ou de le banaliser, à la limite, pensant que cela va passer, que les gens vont oublier. Ce n’est pas ça ! Le président de la république doit s’adresser au peuple sénégalais pour leur dire ce qu’il compte faire. Je suis pessimiste, parce que les politiques qui ont conduit à cette situation, je ne les vois pas en train de les abandonner. Donc, on ne peut pas s’attendre à des solutions avec les politiques en cours », assure-t-il.

De ce fait, il pense que « si nous voulons régler de manière structurelle ce problème, nous devons dire aux parents : ce que ces jeunes vont chercher là-bas, ils peuvent trouver infiniment mieux ici. Ils veulent juste partir, parce que là-bas ils se sont organisés et ont fait face aux problèmes qu’ils ont pu résoudre jusqu’à un certain point et c’est ça qui fait que les jeunes vont là-bas. Donc, si nous nous organisons, ici, les jeunes vont rester. Actuellement, le vide est tellement béant que l’espérance s’est évanouie. C’est la raison pour laquelle, ils s’en vont, les jeunes n’ont plus d’oreille pour écouter les discours », martèle Mamadou Diop qui estime que l’argent de la Der et de l’Anpej devait être mis à la disposition de la jeunesse et non des politiciens.

« Avec l’argent que ces jeunes payent pour se rendre en Espagne, si l’Etat les appuient, des projets structurants peuvent voir le jour. Mais, il faut mettre des leviers pour que l’argent ne soit pas détourné ou volé. Ces projets peuvent freiner l’immigration clandestine », soutient Decroix.

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Une plateforme de soutien psychologique des rescapés

Les jeunes des principales communes de la Petite côte se sont regroupés pour créer une nouvelle plateforme ‘’Stop Emigration Clandestine’’ dont l’objectif est d’apporter un soutien moral et psychologique aux rescapés de la tragédie de l’émigration clandestine. Mais également, de déclencher un processus de recherche des autres victimes et perdus de vue.

‘’Stop Emigration Clandestine ’’ est une plateforme de soutien aux familles qui ont perdu des êtres chers dans le phénomène de l’émigration clandestine. Lors du drame qui a frappé la petite côte, en octobre dernier, avec le chavirement d’une pirogue ayant fait près de 140 morts, ces jeunes du département de Mbour avaient lancé des avis de recherche en vue de retrouver toutes les victimes de ce drame. Selon le Coordonnateur Adama Diallo, plusieurs actions avaient été déjà réalisées dans ce sens. « Nous avons rencontré la Directrice de l'hôpital de Grand Mbour, pour trouver des solutions afin d'assister les rescapés. On a subi une formation, puis, on est descendu sur le terrain pour faire des enquêtes auprès des rescapés, afin de savoir leurs besoins psychologiques et sociaux. On a eu une satisfaction, surtout avec les rescapés qui ont accepté de coopérer ».

Ils avaient concentré leurs actions à Nianing, un village ayant perdu des dizaines de jeunes dans ce drame. Il explique : « Il faut comprendre qu'il y a des gens qui ont embarqué à partir de Nianing et qui ne sont pas du village ». Ils avaient été saisis par plusieurs parents ayant perdu de vue leurs enfants et qui n’avaient aucune nouvelle d’eux. ‘’Nous avons donc lancé des messages, publié des photos, mis des numéros pour avoir des informations sur ces jeunes’’. Grâce à ce procédé, le Coordonnateur Adama Diallo informe : « Nous avons réussi à retrouver une personne, malheureusement qui a perdu la vie en cours de route. Nous avons également trouvé une autre qui était en Mauritanie et qui habite dans la zone’’.

Adama Diallo explique ruée vers l’Occident par le fait qu’à Nianing, deux secteurs économiques sont sinistrés : « c'est le secteur touristique et la pêche. Parce qu’ici, on avait des hôtels, mais, presque tous les hôtels ont fermé. Les bailleurs sont partis et il n'y a plus de bailleurs pour exploiter ces hôtels. Donc, on demande à l'État de trouver des bailleurs qui pourraient reprendre l'exploitation de ces hôtels pour que ces jeunes puissent trouver encore de l'emploi et rester au pays pour réussir ici », préconise-t-il.

Il lance un appel aux jeunes candidats à ce périple : « aux jeunes qui veulent migrer vers l'Europe ou ailleurs, on leur dit qu'il y a des possibilités de migrer, mais, par une voie normale et légale sans pour autant risquer leur vie. Ils y des solutions pour aller dans ces pays, parce qu'il y a certaines personnes dont la réussite peut être ailleurs. Donc, ce qu'ils peuvent faire, c'est de passer par une voie normale et légale et ne pas risquer leur vie », martèle-t-il. Dans ce sens, « nous demandons à toutes les ambassades et à l'État de faciliter cette tâche aux jeunes qui veulent aller dans les autres pays pour y gagner leur vie », suggère-t-il.

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Innocence Ntab Ndiaye propose la solution de la concertation

A la problématique de l’émigration clandestine, beaucoup de personnes sont en train de préconiser des solutions pour venir à bout de ce phénomène. Le Haut Conseil du Dialogue Social n’est pas en reste dans ce sens. Selon la Présidente de l’Institution, il faut plus qu’un dialogue, mais une concertation nationale autour de la problématique.

L’ampleur qu’a prise le phénomène de l’émigration clandestine continue de faire parler. Beaucoup de personnes ont proposé des solutions pour venir à bout de ce phénomène. Pour Innocence Ntab Ndiaye, la solution n’est plus qu’une médiation, mais, c’est d’abord une concertation nationale. Elle estime que la question du chômage ne doit pas avoir comme réponse l’émigration. Elle invite à réfléchir sur certaines questions cruciales qui permettront d’entrer en profondeur dans le sujet.

« Il y a des questions sociétales qui dépassent véritablement la question du chômage. Maintenant, le dialogue, il faut l’organiser aussi. Si nous prenons en charge cette question, nous devrons faire appel certainement à des organisations de jeunes. Et le haut conseil du dialogue social, également, est ainsi organisé. Nous avons un cadre, mais, nous pouvons faire appel à une expertise extérieure. Ça peut être des jeunes venus de zones de départ différentes. Nous sommes à Mbour et ils vont nous dire ce qu’ils sont allés chercher, les raisons qui les motivent. Nous allons certainement auditionner les parents également pour comprendre un peu le phénomène’’, indique-t-elle.

Dans cette lancée, Mme Ndiaye pense qu’il y a beaucoup d’appréhensions sociales qu’il faut supprimer, « une approche qu’il faut supprimer dans la société. Et ça requiert un travail de dialogue, un travail de concertation, de discussion, parce qu’il faut que les jeunes disent ce qu’ils veulent. Parce que le gouvernement, sa mission n’est pas de donner du travail, mais de créer un cadre qui puisse permettre la productivité qui puisse faire en sorte que les employeurs, les organisations d’employeurs qui sont membres du haut conseil, puissent donner du travail, mais, est-ce que ce cadre existe ? Un cadre incitatif qui puisse permettre d’avoir du travail ? », s’inquiète-t-elle.

La présidente du Haut Conseil du Dialogue Social souligne également le rôle des religieux dans la concertation nationale qu’il faut avoir sur la question. ‘’Au niveau international, poursuit-elle, il faut revisiter les accords avec les pays, voir ce que ces pays offrent aussi. Si ça ne vaut pas le coup, ce n’est pas la peine de partir », dit-elle. Avant de révéler : « j’ai été saisi par les îles Canaries. Il y a eu beaucoup de départs pour les îles Canaries et une ONG qui est dans ces îles m’a demandé si on ne pouvait pas faire quelque chose sur l’émigration. Vraiment, ma porte est ouverte toutes les questions qui peuvent aboutir à la stabilité sociale nous intéresse et nous interpelle », assure Innocence Ntab Ndiaye.

EMIGRATION CLANDESTINE

La DER, comme panacée

Dans le but de créer un cadre qui puisse permettre aux jeunes de trouver du travail ou de créer leur propre travail, l’Etat du Sénégal a mis sur pied des mécanismes qui font la promotion de l'emploi, l'employabilité et l'entrepreneuriat des jeunes, dont la DER.

« Le président de la république nous a demandé d'apporter une mesure urgente. D'ailleurs, c'est ce qu'on fait ; depuis dix jours les équipes sont sur le terrain. Que ça soit ici à Mbour, à Saint Louis ou dans le sud, pour essayer d'identifier le nombre de jeunes partis, le nombre de rescapés et le nombre de personnes potentiellement candidats au départ », déclarait Pape Amadou Sarr, Directeur Général de la DER, au lendemain de la tragédie ayant conduit à la mort de 140 jeunes migrants sénégalais.

Dans la foulée, il annonçait la ‘’mise en place de dispositifs qui permettront de les (les jeunes) accompagner. Aujourd'hui, à la demande du Chef de l'Etat, nous avons structuré 100 milliards de francs pour accompagner les jeunes et les femmes sur l'ensemble du territoire sénégalais’’. Il précisait : ‘’Ce n'est pas dédié exclusivement aux migrants, mais, ils ont tous le moyens d'y accéder à condition de répondre aux critères qui sont très simples : d'être sénégalais, être âgé de 18 ans - 40 ans pour les hommes et pour les femmes, il n'y a pas de limite d'âge ».

Il disait : ‘’Donc, on les accompagne et les forme en partenariat avec le ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi, le ministère de la Jeunesse, mais aussi, les autres ministères sectoriels, car au-delà des 100 milliards dont nous disposons, il y a le ministre de l’Agriculture qui a un programme sur le domaine de l'agriculture, de l'élevage, la pêche etc.’’

Etant entendu que ‘’l'Etat n'est pas outillé pour créer de l'emploi pour toute la jeunesse’’, il poursuivait : ‘’Nous avons deux mille qui rentrent dans le marché de l'emploi, par année et, aujourd'hui, l'auto emploi a de beaux jours devant lui, la créativité et l'entrepreneuriat. Nous sommes là pour impulser ce souffle. Nous avons eu cinq cent mille demandes en deux ans. Les jeunes savent où nous sommes. Nous avons notre site web. Nous avons l'un des sites les plus visités dans ce pays’’.

En effet, aujourd’hui, plus que jamais, un instrument tel que la Der doit être aux avant-postes, dans ce combat contre l’émigration clandestine. Amadou Sarr indique dans le même cadre que son institution reçoit annuellement beaucoup de demandes des jeunes qui veulent se lancer dans l’auto-emploi.  


DAME DIOP, MINISTRE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE DE L’EMPLOI ET DE L’ECONOMIE NUMERIQUE

‘’Il faut préparer les jeunes à s’adapter et à se reconvertir’’

Les financements pour fixer les jeunes au pays, c’est bien, mais, selon le Ministre Dame Diop, il faut d’abord procéder par une formation des jeunes. « Il faudrait que les gens aient la culture de la reconversion en fonction des opportunités économiques. C'est vrai que, dans la pêche, il y a la rareté des ressources, mais, les causes sont multiples. Les acteurs l'ont dit, mais, ce n'est pas seulement spécifique à la pêche. Je pense qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de nouveaux métiers qui naissent et qui vont naître. Il faudra préparer la jeunesse à ces métiers-là. L'employabilité dont on parle, c'est une question de préparer les jeunes à s'adapter, avoir un métier et à se reconvertir au besoin pour conserver leur travail », dit-il.

Il estime que le système éducatif fondé sur l'enseignement général a montré ses limites, aujourd'hui, par rapport aux nouvelles perspectives économiques du pays. « Nous avons besoin d'ouvriers qualifiés, de techniciens supérieurs et d'ingénieurs, donc, des gens qui ont la formation professionnelle. C'est pour cela que le président de la République a décidé, au-delà des centres qu'il a construits depuis qu'il est arrivé au pouvoir, de construire 45 nouveaux autres centres de formation dans les domaines aussi divers que variés tels que l'agriculture au sens large », souligne Dame Diop. Pour qui, le préalable à la réussite, c’est d’être formé et avoir un accompagnement financier.

Dans cette dynamique, il ajoute : ‘’Il ne s'agit pas de financer pour financer. En amont, il faut préparer les jeunes, parce que l'une des causes de départ, c'est la question de l'emploi. Il ne faut pas se voiler la face. Mais, ce n'est pas la seule raison. Nous avons pensé qu'aujourd'hui, pour régler le problème de l'emploi, c'est non seulement l'entrepreneuriat mais également l'auto-emploi. Nous devons donc préparer notre jeunesse, les former professionnellement pour qu'ils puissent avoir un métier et ensuite les encadrer pour qu'ils puissent entreprendre, enfin, de financer avec la Der pour qu'ils puissent développer leurs activités. Et après, on assurera le suivi’’.

IDRISSA AMINATA NIANG

 

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