«J'ignorais que cet étalon pouvait donner autant de plaisir»
Premier sénégalais à remporter le célèbre Étalon d’or de Yennenga, Alain Gomis vient d'imprimer ses marques dans le cinéma africain, grâce à son film «Tey». Un film philosophique dont il explique la portée dans cet entretien accordée à EnQuête, au lendemain de son sacre burkinabè.
Après votre sacre, comment vous-êtes vous réveillé ce dimanche ?
Ce matin quand je me suis réveillé, c’était agréable. Je n’avais pas envie de me coucher hier. Je portais l’étalon qui est lourd. Je ne sais pas combien cela pèse mais il est lourd ! Après, je suis allé à la soirée (NDLR : le dîner donné par Harouna Dia) et on a fini, très tard, la fête. Ce matin, c’était agréable parce que c’est surtout le plaisir des autres. Je ne réalisais pas à quel point cet étalon pouvait faire plaisir autour de moi. J’ai fini par éteindre mon portable parce que c’était impossible ! Les nouvelles que j’ai de Dakar, c’est que c’est juste incroyable. La télé est venue à la maison et les gens du quartier aussi, de Grand-Dakar. Ces gens sont fiers parce que ce qu’on dit souvent de Grand-Dakar est rarement positif. Voir le bonheur des gens m’étonne et me porte.
Avez-vous été surpris par votre sacre ?
Les dernières heures avant la cérémonie, c’est beaucoup de bruit. Certains me disaient: je pense que c’est pour toi. Donc cela faisait monter la pression pendant un moment. Tu te dis alors : si jamais j’y crois et que cela va à quelqu’un d’autre. Alors la solution était de ne pas trop écouter. Quand cela arrive, ça reste surprenant. C’est plus que de la surprise, c’est comme un choc ou plutôt un électrochoc. C’est très étonnant. Tout se mêle.
Vous avez dédié cet étalon aux pionniers du cinéma sénégalais, mais en citant vous avez oublié le défunt Thierno Ndiaye Doss qui a joué pour vous!
Le film pour moi est dédié à Thierno Ndiaye Doss. Je m’étais dis que si jamais j’ai le prix, je finirais mon discours par ça. Mais hier (ndlr : samedi, l’entretien est réalisé hier), il y a eu tellement de choses et d’émotions que voilà c’est parti comme ça. Cela s’est passé autrement. Mais le film est dédicacé au profit de Thierno Ndiaye Doss parce que c’est un immense acteur. Et il a beaucoup fait pour les comédiens, notamment à travers l’Arcots (NDLR : Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais). Il a travaillé à la transmission et c’est quelque chose d’important. Être comédien, c’est vraiment un sacerdoce. Il faut les admirer. J’ai pensé très fort à Djibril Diop Mambéty, à Sembène (car) je n’avais pas le sentiment que c’était moi qu’on nominait. J’avais le sentiment que c’était maintenant le moment. Ce n’est pas par hasard que le film a pour titre «Aujourd’hui». C’est moi qu’on a appelé pour venir chercher l’étalon, mais finalement il y avait tout le monde à travers ma personne, la nouvelle génération et l’ancienne. Moi, je suis le jeune des aînés et le plus vieux des jeunes. Pour moi, on est en train de basculer dans autre chose : un nouveau moment à vivre, prenons-le.
Après le sacre de Saul Williams vous avez demandé plus de considérations, de la part du Fespaco, à l’égard des artistes. Qu’est-ce qui motive ce cri de cœur ?
De la production jusqu’à la distribution, c’est un ensemble. Les choses doivent se ressourcer les unes des autres. C’est bien de mettre en avant les réalisateurs. Mais le public aime les acteurs. En mettant en avant les acteurs et en les aidant à être célèbres, cela va nous aider, nous, à financer nos films. C’est un cycle et ça marche ensemble. C’est un système qui tourne. On a besoin de mettre en avant les acteurs en dehors de la qualité de leur travail. Il faut leur rendre justice.
Vous avez l’habitude de dire que ce film est philosophique et certains cinéphiles sortent des salles sans en comprendre le sens.
C’est quelque chose de très simple pour moi. Je montre un homme qui sait qu’il va mourir à la fin de la journée. Le film commence au moment où il ouvre les yeux et se termine au moment où il les ferme. Pendant la journée, il revoit les gens importants dans sa vie. Puis il engage un chemin vers l’acceptation. Au fur et à mesure, très bizarrement, il va être de plus en plus serein. Il va vivre dans le présent. Le personnage de Thierno nous dit cette chose: il dit qu’il est débarrassé du futur, donc il n'a plus de temps comme les autres parce que chaque seconde devient importante. Et quand on est dans ces dispositions-là, même le temps devient un peu élastique. Le film dit d’une certaine façon «vivons maintenant. Rien ne nous est dû. Tout le passé est dans le futur, dans cet instant-là». Demain n’existe pas. Il n’y a que des « aujourd’hui ». Quand on attend demain il ne vient jamais. Il se transforme en aujourd’hui.
Qu’est-ce qui a fait parler votre muse sur ce film-là ?
Il y a quelque chose qui nous a dépassés dans ce film. C’est venu comme çà cette idée. Je me suis demandé pourquoi j’avais envie de le faire. Tout le monde me disait : un sujet sur la mort mais tu es fou, pourquoi ? Je ne comprenais pas moi-même pourquoi je voulais le faire mais cela m’obsédait. Il y a eu tout au long de ce film des choses étonnantes. On a travaillé dur et c’était très difficile. Ça a été une bagarre intense. Depuis le début, des gens comme Omar Sall, le producteur, y ont cru. Il me disait que ce film irait loin. Je ne sais pas sur quoi il fondait sa conviction, mais il y croyait !
Parlez-nous des choses étonnantes qui se sont passées !
Quand j’écrivais ce film par exemple, je me disais que ce serait formidable de le faire avec Saul Williams. Je ne le connaissais pas. Je savais juste qu’il était un acteur et chanteur américain. Mais je ne sais pas pourquoi cette idée s’est imposée à moi alors que je n’ai vu qu’une photo de lui. J’ai continué à écrire en pensant à lui, en pensant au moment où je devrais entrer en contact avec lui. Je commence après à chercher de l’argent sur le film. Je fais déposer des dossiers à l’avance sur recettes, au Centre national de la cinématographie (CNC) en France, pour financer la réalisation du film. Dans ce dossier, j’écris que Saul Williams a donné son accord. Je mets sa photo. En ce moment-là, j’étais à Dakar. Celui qui dépose les dossiers, Mabèye, mon ami, à Paris je lui demande en dernier ressort de changer les photos. Le tirage de celles que j’avais mises n’était pas bon. Du coup, il refait un autre tirage avec douze exemplaires. Il a l’image de Saul Williams vraiment bien en tête. Il dépose et le lendemain il marche dans la rue, à Paris et tombe sur Saul Williams. Il lui dit qu'il est à sa recherche et lui donne mon numéro. Je l’appelle et je lui envoie le scénario. Deux jours après, il répond et me dit qu’il est d’accord. Il y a aussi le rôle de Thierno Ndiaye qui fait son dernier film en parlant de la mort et le fait de ne pas avoir peur de la mort. Il y a énormément de choses de ce genre.
Les Sénégalais vous attendent avec votre prix. Mais vous avez décidé d’aller d’abord en France. Pourquoi ne rentrez-vous directement au pays ?
Il y a d’abord des raisons médicales et familiales qui l’expliquent. Ensuite, je voudrais aller chercher ma femme et mes enfants et les emmener avec l’étalon à Dakar. Dans deux, trois jours je serai là-bas.
Quels sont les projets d’Alain Gomis ?
Je n’ai jamais aimé parler des choses avant qu’elles ne commencent à se concrétiser. Parce que j’ai été traumatisé par tous ces gens qui disent : je vais faire ceci ou cela et qui finissent par ne rien faire. C’est devenu presque une superstition. Vous saurez quand cela arrivera. Pour l’instant, je préfère ne pas en parler !
PAR BIGUE BOB
AVERTISSEMENT!
Il est strictement interdit aux sites d'information établis ou non au Sénégal de copier-coller les articles d' EnQuête+ sans autorisation express. Les contrevenants à cette interdiction feront l'objet de poursuites judiciaires immédiates.