Publié le 18 Feb 2013 - 10:05
EN PRIVÉ AVEC MC LIDA, ARTISTE

 ''J'ai vendu mes premières cassettes à 150 FCfa. . .''

La new school (jeune génération) ne connaît sans doute pas Mouhameth Lida Sall. Il est pionnier du mouvement hip-hop sénégalais, sous le speudo Mc Lida. Absent du Sénégal depuis une douzaine d'années, il est rentré pour assister au show du ''Tube de l'année'' à travers lequel on lui a rendu hommage. Donné pour ''fou'', puis ''mort'', Mc Lida revient dans cet entretien avec EnQuête sur les raisons de son absence, ses débuts difficiles, sa nouvelle orientation professionnelle...

 

Pourquoi tenez-vous à ce qu'on sache que vous êtes un des pionniers du rap au Sénégal ?

 

De temps à temps, les gens omettent mon nom en citant les premiers rappeurs sénégalais. Maintenant, je ne veux plus qu'ils le fassent. Je veux que cela soit archivé, je suis le premier rappeur sénégalais. Je veux que ce soit clair. Cela fait douze ans que je suis absent du Sénégal mais je suivais ce qui se disait ici. En comptant il faut commencer par un ; je suis le premier rappeur, la douane sénégalaise peut en témoigner, tout comme le Bsda (Bureau sénégalais des droits d'auteur). Quand je suis arrivé, ici (au Sénégal), avec mes cassettes de la production ''Teubeul ma teub'', la douane ne savait pas comment faire avec. C'était la première fois que cela se produisait. Je venais d'Italie, sans carte d'artiste. On a arrêté comme çà un prix que j'ai payé ! Quand je dis que je suis le premier, c'est écrit, c'est prouvé.

 

Combien de titres contenait la cassette ?

 

Il y avait 4 titres. En ce moment, les Sénégalais ne connaissaient pas encore le rap. On était sur un terrain inédit, donc il fallait y aller petit à petit. Quatre titres, c'était de trop pour nous. J'ai payé mes droits d'auteur.

 

Certains rappeurs disent avoir commencé à rapper depuis la fin des années 1980, alors que vous avez fait votre apparition en 1991. Vous ne pensez pas qu'ils viennent avant vous ?

 

Il faut faire attention. Ceux qui rappaient dans leurs chambres et dans leurs maisons, on ne peut les prendre en compte dans ce monde moderne où des preuves palpables existent. Je me base sur des données légales. On est dans un monde moderne. Je ne suis pas un intellectuel mais je sais que les traces sont là. El hadji Ndiaye, Aziz Dieng, Ambroise Gomis et tous les Djs de l'époque peuvent en témoigner. Ces gens hésitaient à cette époque-là à mettre ma musique à la radio.

 

Vous saviez que les Sénégalais ne connaissaient pas bien le rap avant la sortie de votre premier album. Comment avez-vous fait pour le vendre ?

 

Quand je suis arrivé avec mes cassettes, je les ai amenés à Sandaga. Nul n'en voulait. Ceux à qui je les proposais se moquaient, après avoir écouté la musique. J'ai pris le lot que j'avais apporté d'Italie et je suis allé moi-même le vendre au marché Kermel. Il fallait me voir ! Je chantais d'abord les titres aux gens avant qu'ils n'acceptent d'acheter la cassette. Et c'était à des prix dérisoires : j'ai vendu des cassettes à 150Frs ou 200 francs l'unité. Ambroise (Gomis) m'a invité à ''Midi première'' (une émission musicale sur la RTS, NDLR) ; c'est là que les gens ont commencé à s'intéresser à ce que je faisais. Talla Diagne (ancien producteur et vendeur d'album de musique) a pris le reste des cassettes et a commencé à les écouler. Cela s'est fait rapidement. El hadji Ndiaye (patron de la maison de production Studio 2000, NLDR) a proposé de faire les jackets et Talla Diagne de mettre son argent pour la duplication. Lui et moi avons partagé les charges financières. Les débuts étaient difficiles. J'ai sorti la tête de l'eau grâce à Ambroise Gomis.

 

Des rumeurs vous ont donné pour mort ou encore fou pendant votre enfance. Comment l'avez-vous vécu ?

 

C'était très difficile. J'ai fait dix ou douze ans de paranoïa. Dans la rue, quand quelqu'un me regardait, je me disais que c'était à cause des rumeurs. Je me retournais tout le temps pour voir qui a le regard rivé sur moi. Quand quelqu'un me parlait, je me demandais s'il ne se disait pas qu'il avait affaire à un fou. Nul n'a démenti ces rumeurs, cela les confirmait alors. Je n'ai fait aucun effort pour arrêter cela. C'est ma faute si les choses ont pris de l'ampleur. Pour la première fois, je dirai que c'est grâce aux journalistes que j'ai retrouvé confiance en moi. C'est grâce à l'intérêt qu'ils portent à ma personne aujourd'hui que j'ose relever la tête.

 

Ne comptiez-vous pas des amis parmi les rappeurs pour démentir ces rumeurs ?

 

Je fréquentais les olds schools mais on n'avait pas des rapports poussés. Je ne connais pas les nouveaux qui, lorsqu'ils parlent des olds schools, ne me citent pas. Mais croyez-moi, cela n'a pas de sens parce que j'en fais partie, quoi qu'on dise. Que je sois un bon ou mauvais rappeur, je suis des précurseurs de cette musique.

 

Cela n'est-il pas lié à votre longue absence ?

 

Non, c'est impossible. Les données sont là. On n'a pas besoin de ma présence pour savoir que je suis un old school. L'histoire, c'est l'histoire. Même si j'étais mort, on doit me citer. Cette histoire de premier rappeur n'est toujours pas claire. On l'attribue à quelqu'un d'autre alors que ce qu'il faisait n'est pas du rap. C'était comme du RNB. Ce qu'on appelle véritablement rap, c'est moi qui l'ai commencé.

 

Vous voulez parler de qui ?

 

Ce n'est pas important.

 

Qu'est-ce que vous fêtes depuis 12 ans ?

 

Quand je quittais, j'étais censuré. Un membre de ma famille avait demandé qu'on me censure vu que je suis issu d'une famille maraboutique. En plus, il était difficile de s'assurer une bonne promotion, il fallait payer certains animateurs pour qu'ils fassent passer vos chansons. C'était comme une mafia. D'autres refusaient de prendre quoi que ce soit. La démocratie est bonne pour un pays. Qui n'a jamais vécu une censure ne peut connaître la valeur de la liberté d'expression. Avec la diversité des radios, si tel n'accepte pas de vous passer, tel autre l'accepte.

 

Mais vous faites quoi exactement, depuis lors ?

 

Je suis dans le fashion. J'ai presque grandi en Italie et j'habitais à Milan, la capitale de la mode. Avant d'aller m'installer aux USA, j'avais un showroom en Italie. Je suis maintenant designer. Je dessine mes modèles que j'exporte en Asie dans des usines. Je veux déplacer ce que je fais, de New-York au Sénégal.

 

Des projets de label ?

 

Tout le monde m'en parle. Si les boys ne rappent pas en Anglais, je ne peux pas m'inscrire dans ce créneau. On fait du business. Je vais aider les talents si je peux.

 

Vous êtes revenu au Sénégal pour les besoins de l'hommage qu'on vous a rendu lors de la cérémonie du ''Tube de l'année''. Qu'avez-vous ressenti ?

 

Cela m'a fait beaucoup plaisir, c'est comme un retraité à qui on rend hommage. Je vais prendre l'exemple de l'armée, le grade est important dans ce corps. Alors cet hommage, c'est comme un général d'armée qui reçoit une reconnaissance de plus. Je remercie (Dj) Nicolas et je ne peux avoir un plus grand honneur ailleurs qu'ici.

 

Vous parlez de ''retraite'', alors que vous avez sorti un single en 2012...

 

Macha'allah ! quand je dis que j'ai du talent, les Sénégalais ne peuvent pas me comprendre. Je suis capable de tout faire. J'ai une mémoire auditive incroyable. Je suis parti en Chine et, en 6 mois, j'ai maîtrisé l'anglais. ''Chines talents show'' est le plus grand concours organisé dans ce pays, près de 300 millions de personnes le suivent. On était plus de 40 mille à faire le casting. J'ai fait partie des 140 choisis. Je suis allé jusqu'en 1/4 de finale avant d'être éliminé. Le plus insolite, c'est qu'avant de monter sur scène, on m'a appelé pour me l'annoncer. On m'a dit qu'un étranger n'avait jamais participer à ce concours et encore moins prétendre le gagner.

 

Lors de ce show, vous avez découvert la nouvelle génération. Quelle appréciation faites-vous de leur musique ?

 

J'ai vu le new school et le old school. Je me suis rendu compte que cette génération-là peut compétir avec l'ancienne. C'est un miracle. J'ai beaucoup apprécié ce qu'ils ont fait. Ils ont eu plus de chance que nous, avec les technologies de l'information et de la communication.

 

Quels conseils leur donnerez-vous ?

 

Je ne veux pas les décourager. Il y a des talents parmi eux. On prendrait facilement certains pour des Américains. S'ils veulent percer sur le plan mondial, il faut qu'ils misent sur l'anglais. Le Sénégal arrive à la 3e place dans le classement mondial. Notre pays se réfère trop à la France qui n'avance pas. Le français est une très belle langue mais il faut miser sur l'anglais.

 

Des jeunes ont jugé injustes les résultats et manifesté avec violence. Qu'en pensez-vous ?

 

Dans chaque concours, il y a des mécontents. On le voit même à Hollywood. Cela m'a fait mal au début. On m'a expliqué par la suite que les votes se sont faits par SMS. Je suis contre cette méthode-là qui ne fait gagner en réalité que le plus riche. Ils sont tous bons. Cela ne méritait pas cette violence.

 

 

 

PAR BIGUÉ BOB

 

 

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