Publié le 26 Jul 2021 - 16:56

Entre espoir, craintes et inquiétudes

 

Alors que la pêche génère des milliers et des milliers d’emplois, il est attendu de l’exploitation gazière très peu d’emplois.

 

Dans l’expectative, Saint-Louis attend toujours des réponses à une multitude de questions. Quelles seront les retombées de l’exploitation gazière pour la ville ? Quel impact sur l’économie, l’emploi, la pêche, etc. ? Première adjointe au maire, Aida Mbaye Dieng ne se fait pas d’illusion par rapport à la création d’emplois. Elle déclare : ‘’Pour nous, il faut tout faire pour préserver la pêche qui est une activité vitale pour Saint-Louis et pour nos populations. Pour le moment, nous sommes partagés. Il y a, d’une part, des experts qui nous font croire que le bruit et la pollution vont chasser les poissons. D’autre part, il y a ceux qui estiment que les plateformes vont attirer davantage de poissons. Dans tous les cas, cette question reste l’une de nos principales préoccupations. Nous n’avons pas encore de réponse claire.’’

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ville mise plus sur la pêche que sur le gaz pour la résorption du chômage. Alors que la première génère des milliers et des milliers d’emplois, particulièrement dans la langue de Barbarie où le rêve de toutes les familles est de disposer d’une pirogue, la seconde générera certes beaucoup de devises, mais pas assez emplois. Aida Mbaye Dieng : ‘’On sait déjà que les plateformes ne peuvent pas utiliser beaucoup de travailleurs. On nous a dit que la plateforme ne peut pas avoir plus de 100 personnes. Et c’est pour l’essentiel des métiers dédiés. Ce ne sont donc pas nos populations qui en seront les principaux bénéficiaires.’’

En conséquence, soutient-elle, il faut préserver cette activité vitale et, en même temps, préparer les populations dans les métiers connexes du gaz et du pétrole, notamment à saisir les opportunités offertes par le contenu local.

Des impacts déjà perceptibles avec le rétrécissement des zones de pêche

Avec l’exploitation gazière, certains pêcheurs se plaignent déjà du rétrécissement de leur zone de pêche. ‘’Depuis nos ancêtres, fulmine Makhou Sène, nous pêchons dans cette zone où il y a la plateforme. Quand on chasse quelqu’un de son lieu de travail, la moindre des choses est de le dédommager. Nous, nous ne connaissons que la pêche. Nous ne connaissons rien, ni du gaz ni du pétrole. Nous espérons donc que les gens vont s’arranger pour nous laisser mener nos activités tranquillement. Il y va de la survie de nos populations et de la quiétude de tout le pays. Pour le moment, il y a certes des impacts, mais cela ne nous empêche pas de continuer à travailler’’.

Embouchant la même trompette, Ndiack Fall précise : ‘’En fait, la langue de Barbarie est l’une des localités les plus avancées dans le domaine de la pêche au Sénégal. Au-delà de la pollution qui va chasser les ressources, il faut savoir qu’il y a très peu de pêcheries dans cette zone. Ce qui nous sauve, c’est les licences données par la Mauritanie pour que le nombre important de pêcheurs puissent tenter sa chance. D’autres vont en Gambie. Il y en a aussi qui vont dans les autres localités du Sénégal, parce que les côtes saint-louisiennes ne peuvent pas contenir tout ce beau monde. Avec l’exploitation, ce sera encore plus grave, parce que la seule zone de pêche est menacée de disparition.’’

Dans la langue de Barbarie, tout le monde vit au rythme de la pêche. Même les enfants. De fait, l’école est reléguée au second plan, dans bien des familles. Ce qui révolte Baye Boly Fall, qui ne décolère pas contre l’Etat et certains parents. ‘’On avait deux écoles auparavant : Cheikhou Touré et Ablaye Mbengue Khaly. A cause de l’érosion côtière, on a perdu ces deux établissements. Aujourd’hui, il n’y a plus d’école formelle sur le territoire de Guet-Ndar. Les enfants sont, depuis lors, en double flux. Et la majorité a abandonné, parce qu’il n’y a personne à la maison pour les encourager. Au moindre échec, c’est la mer qui les attend. Seuls les parents les plus téméraires bravent la distance pour amener leurs enfants, soit dans l’ile, soit à Goxou Mbacc ou dans d’autres quartiers’’.

Et d’ajouter : ‘’A Guet-Ndar, il n’y a rien pour les enfants. Pas de jardins d’enfants, pas de salles de loisirs… Rien. Je pense que c’est là un des grands défis de l’Etat pour sauver l’avenir de Guet-Ndar et de la langue de Barbarie. Il faut non seulement construire des écoles, offrir aux enfants et aux adolescents des vies autres que la pêche, même s’il faut aussi préserver cette activité, seule pourvoyeuse d’emplois de masse dans la région.’’

Motifs d’espoir et de craintes

Loin de ce pessimisme ambiant chez les communautés de pêcheurs, le chef du Service régional de pêche, Lamine Diagne, tente de rassurer. Louant la démarche inclusive de BP et de ses partenaires depuis le début du projet gazier, il prend le contrepied de ceux qui affirment que le poisson va se raréfier avec le démarrage de l’exploitation.

Ingénieur des pêches, il explique : ‘’Les gens ont tendance à parler surtout de raréfaction des poissons à cause de l’exploitation. Mais il pourrait surtout se produire un phénomène contraire. Autour de ces plateformes, il peut y avoir une chaine trophique et le poisson pourrait être très abondant dans la zone, si les risques environnementaux sont bien pris en charge. On l’a vu au niveau d’autres plateformes dans le monde. Une plateforme, c’est un peu comme le mécanisme des récifs artificiels. Avec la plateforme, viennent les algues, ensuite les poissons pour se nourrir…’’ Et de prévenir : ‘’En pareil cas, le danger est que les pêcheurs aillent dans ces zones pour pêcher avec tous les risques qui vont avec. Je pense qu’il faudra beaucoup communiquer à ce niveau avec les acteurs, pour parer à toutes les éventualités.’’

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Les chiffres de la pêche

Avec des milliers de travailleurs, 60 000 tonnes de poissons extraites chaque année, pour des milliards de recettes directement injectés dans l’économie, la pêche est difficilement détrônable à Saint-Louis.

Selon les chiffres de la Direction régionale de la pêche, pas moins de 5 000 pirogues ont été identifiées, en 2020, à Saint-Louis, dans le cadre du Programme national d’immatriculation des pirogues. Pour un nombre de travailleurs difficilement estimable. Le directeur explique : ‘’C’est difficile de donner le chiffre. On peut dire que dans la langue de Barbarie, l’ensemble des populations sont mobilisées par la pêche. Il faut juste enlever les enfants qui n’ont pas encore la force d’aller en mer et les élèves. C’est une activité qui mobilise énormément de main-d’œuvre, en genre comme en nombre. Il en est ainsi de janvier à juillet.’’      

Le long du fleuve et de la mer, ce sont des dizaines et des dizaines de pirogues qui sont amarrées. Pour des investissements de plusieurs centaines de millions F CFA, pour ne pas dire des milliards. Les acteurs évaluent jusqu’à 40 millions les dépenses pour mettre certains types de pirogue à l’eau. Pour les fils à tourner par exemple, il faut deux pirogues, à raison de 7 millions par pirogue, soit 15 millions F CFA ; 11 millions pour les filets ; au moins deux moteurs de 3,800 millions chacun ; sans compter les tenues de l’équipage qui coûtent jusqu’à 80 000 F CFA l’unité, les frais de nourriture qui vont jusqu’à 1 million de francs, le carburant avec 700 mille F CFA, entre autres.            

Chaque année, environ 60 000 tonnes de poissons sont débarquées à Saint-Louis. A titre illustratif, le directeur de la Pêche régionale donne le mois de mai durant lequel 5 107 tonnes ont été débarquées au quai pour une valeur commerciale de 1 394 115 000 F CFA. ‘’Pour la consommation locale, détaille-t-il, c’est autour de 595 tonnes. Pour le poisson expédié vers les autres grands centres de consommation, c’est autour de 3 364 tonnes. Pour la transformation industrielle, c’est autour de 88 000 tonnes, pour 210 tonnes pour la transformation artisanale. Entre autres. C’est comme ça toute l’année. On a une baisse que pendant l’hivernage, de juillet à septembre, par exemple’’.

Quant à la municipalité, elle tire un bon pourcentage de son budget de l’activité. Chaque camion qui sort de la ville, en effet, paie 3 000 F CFA de taxe municipale. C’est certes important, mais la mairie espère bien plus avec la manne gazière pour booster son budget de 2 milliards.

Au nom de la redevabilité 

Pour le président du Comité local de pêche, on ne saurait ramener tous les maux de la pêche à l’exploitation du gaz qui n’a même pas encore démarré. A l’en croire, la plus grande menace actuelle reste les licences opaques octroyées aux bateaux de pêche, sans aucun contrôle. Oumar Dièye : ‘’On parle du gaz, mais avant même le gaz, la pêche était dans des difficultés à cause de la surpêche. C’est valable pour toutes les localités du Sénégal. Pour moi, le combat premier, c’est de faire cesser les autorisations octroyées aux bateaux étrangers sur les ressources dont nous avons besoin. D’autres pays comme la Mauritanie le font. Pourquoi pas le Sénégal !’’, dénonce le président du CLPA.

Selon lui, en tant que membre de l’organisation Fiti (Fisheries Transparence Initiative), le Sénégal a l’obligation de publier certaines informations, comme la Mauritanie le fait. Hélas, c’est loin d’être le cas, d’après notre interlocuteur. Il peste : ‘’L’organisation Fiti dont nous sommes membres au même titre que la Mauritanie exige la publication de toutes les ressources issues du secteur. Aujourd’hui, la Mauritanie publie le nombre de bateaux à qui elle a donné des contrats, le nombre de tonnes issues de ses côtes, combien elle gagne. Mais au Sénégal, personne ne peut dire avec exactitude le nombre de bateaux…. C’est l’opacité totale.’’

Par rapport à l’exploitation du gaz, il nourrit les mêmes craintes que ses collègues, mais salue la démarche inclusive de BP. Il déclare : ‘’Je dois avouer que BP nous associe dans tout ce qui se fait et qui nécessite notre information. Même quand des bateaux doivent venir, nous sommes informés. Mais sur le projet proprement dit, ses tenants et aboutissants, nous n’en savons absolument rien. Nous en voulons surtout à l’Etat qui doit informer ses populations, leur tenir un langage de vérité sur ce qui va concrètement se passer, en termes de risque, d’impact et de retombée. A ce niveau, il y a beaucoup à faire.’’

Et de renchérir : ‘’Il faut savoir que les côtes sénégalaises sont très étroites. Avec l’installation de la plateforme, elles vont davantage se rétrécir. Raison pour laquelle nous sollicitons des deux présidents l’aménagement d’une zone commune de pêche, soit dans la zone mixte soit en territoire mauritanien pour compenser les pertes. Autrement, les pêcheurs risquent de rôder aux alentours de la plateforme avec tous les risques qui vont avec. Nous comptons vraiment sur le chef de l’Etat mauritanien qui, jusque-là, a fait montre d’une grande générosité envers les pêcheurs sénégalais.’’ 

Mor AMAR

 

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