‘’L’escrime est en train de mourir à petit feu’’

Le président du Lion Fencing Club, Mbagnick Sène, a relevé, avec regret, hier, le recul constaté de l’escrime au Sénégal. Selon l’ancien international sénégalais et vice-champion du Sénégal en 2008, la situation va s’empirer avec la délocalisation de l’Ecole internationale des maîtres d'armes (EIMA) de Dakar vers une autre ville africaine.
Quelle lecture vous faites de l’état actuel de l’escrime sénégalaise ?
La discipline est en train de mourir à petit feu. C’est la même remarque dans les autres pays africains. Vous pouvez le constater à travers les résultats. La cause de cette situation est structurelle. Je l’ai toujours clamé : il nous faut un bureau fédéral. Depuis 2012, l’escrime n’a pas eu de bureau digne de ce nom. Il n’y a que deux à trois personnes qui sont en train de tout gérer. Et c’est impossible. A ce niveau, il faut élire un bureau fédéral afin que les gens puissent se mettre au travail et redresser l’escrime.
Comment se porte la pratique de l’escrime au Sénégal ? Y a-t-il des compétitions régulières ?
Oui ! Il y a le championnat national. Auparavant, on avait des compétitions comme le tournoi feu Wahab Ba, la Coupe du ministre des Sports. Il y avait également le tournoi de Saint-Louis. Cette année, celui-ci ne s’est pas tenu, faute de moyens. Or, c’est une compétition qu’on ne devait pas rater. C’est important pour les jeunes. Un athlète a besoin de compétitions. Le championnat national seulement, c’est insuffisant. On n’arrive même pas à avoir de clubs d’escrime dans la banlieue dakaroise.
Quand est-il des régions ?
Ça ne marche pas dans les régions. On a une ligue à Thiès qui ne fonctionne pas. Il en est de même de Saint-Louis, Louga et Foundiougne. A Diourbel, ils commencent aussi à baisser les bras, parce qu’ils ne bénéficient pas de l’aide du CNP (Comité national provisoire, NDLR). Avant, le président Mbagnick Ndiaye déployait des moyens pour leur assurer le transport et l’hébergement afin qu’ils viennent participer au championnat. Mais depuis qu’il a été nommé ministre, il n’y a plus ces actions-là. On ne peut pas faire de l’escrime sans matériel et il n’y en a pas au Sénégal.
Pourtant, Mbagnick Ndiaye est toujours le président du CNP d’escrime…
Il est toujours ministre. On ne peut pas être en même temps juge et partie. Avec sa fonction ministérielle, il n’a pas le temps pour tout gérer. Ce sont les personnes qui assurent l’intérim qui ne font pas le travail nécessaire. Une équipe qui n’apporte pas de résultats, il faut la changer. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’assemblée générale. Avec les nouvelles réformes, le ministre des Sports a préconisé que les instances dirigeantes des différentes disciplines soient constituées en fédérations. Si ma mémoire est bonne, l’AG a été programmée pour le 29 juin. C’est à la dernière minute qu’ils ont décidé du report. Moi, c’est la veille, la nuit, que j’ai vu le mail annonçant le renvoi de l’AG à une date ultérieure, sur la demande du président du CNP. C’est moi qui ai informé les présidents de clubs des régions parce qu’ils n’ont pas toujours accès à Internet. C’est regrettable.
C’est carrément l’organisation de l’escrime sénégalaise qu’il faut revoir ?
Tout à fait, c’est l’organisation qu’il faut revoir. La base de la réussite de toute entreprise, c’est la structuration. C’est la présidente intérimaire (Cécile Faye, NDLR) du CNP d’escrime qui m’a enseigné le mangement du sport. Et cela m’étonne qu’elle ne soit pas en mesure de structurer l’instance dirigeante de l’escrime. Je me demande ce qui se passe. C’est faute de bonne volonté ou quoi ? Si on n’arrive pas à se structurer, c’est voué à l’échec. On ne peut pas prétendre faire des résultats dans ce cas.
L’Ecole internationale des maîtres d'armes (EIMA) sera délocalisée de Dakar vers une autre ville africaine. N’est-ce pas une perte pour le Sénégal ?
Malheureusement ! J’avais l’habitude de dire que rendre hommage à feu Wahab Ba, ce n’est pas de verser des larmes à chaque fois qu’on cite son nom. C’est plutôt de continuer le travail qu’il avait entamé ici au Sénégal. Je sais qu’il ne doit pas être content où qu’il soit. Je peux même dire que l’EIMA, c’est sa fille. C’est cette école qui a formé tous les maîtres d’armes d’Afrique. C’est d’ailleurs le seul centre du genre en Afrique. Wahab avait réussi à l’obtenir et à la faire implanter à Dakar. C’est à la suite de ses combats qu’on a obtenu la présidence de la Confédération africaine d’escrime (CAE) avec Mbagnick Ndiaye. Là, on est en train de perdre l’école. Ils n’ont pas donné les raisons. Mais je suis convaincu que c’est à cause de la mauvaise gestion. Ça ne peut pas être autre chose.
La délocalisation de l’EIMA pourrait-elle avoir un impact négatif sur l’escrime sénégalaise ?
Tout à fait. Il y a quelques années de cela, tous les maîtres d’armes formés au Sénégal sont partis à l’étranger pour monnayer leur expertise. Car ici, il n’y a pas les moyens pour les payer assez. L’alternative qu’on avait trouvée, quand j’étais dans le CNP, c’était d’utiliser les maîtres d’armes pour appuyer les dirigeants. Il y a chaque fois une dizaine de pensionnaires qui venaient des différents pays d’Afrique. Cela nous permettait de combler le manque de maîtres d’armes et de continuer à former les jeunes. Avec la délocalisation de l’EIMA, il faut s’attendre à la perte de la présidence de la confédération. J’ai quelques échos disant que l’école sera implantée en Algérie. Et l’Algérien (Raouf Bernaoui, Président de la Fédération algérienne d’escrime, NDLR) est le potentiel adversaire de l’actuel président. C’est un atout. Il va l’utiliser pour conquérir la CEA. Mbagnick Ndiaye est le premier président noir de la confédération. Et si toutefois la présidence retourne chez les Arabes, qui en avaient toujours la gestion, ce sera la mort non seulement de l’escrime sénégalaise, mais de l’Afrique noire.
Qu’est-ce que les autorités étatiques doivent faire pour éviter le pire ?
Je sensibilise le ministre des Sports à venir en appui à la jeunesse sénégalaise qui évolue dans le milieu de l’escrime. Il y a beaucoup de jeunes qui aiment cette discipline. Certains ont même abandonné leurs études pour la pratiquer. Là, ils sont dans l’impasse. Pour cela, il faut organiser l’assemblée générale et former le bureau fédéral et qu’on se mette au travail. C’est la seule solution pour ce problème.
LOUIS GEORGES DIATTA