Publié le 8 Feb 2018 - 09:07
GAMBIE

Que sont devenus les malades que Yahya Jammeh prétendait guérir du sida ?

 

Décès, mauvais traitements, interdictions sévères... Pendant près de dix ans, quelque 9 000 personnes séropositives ont fréquenté le centre de traitement alternatif créé par l’ex-président gambien Yahya Jammeh. Après des années d’omerta, plusieurs survivants témoignent.

 

Des potions vertes, parfois jaunes, mélangées à du lait ou du miel, à boire cul-sec dans des bouteilles d’un demi-litre. Des ingrédients mystérieux mais toujours amers : tels étaient les  ‘’remèdes’’ concoctés par l’ex-président gambien Yahya Jammeh, guérisseur autoproclamé du VIH.

Pendant près de dix ans, près de 9 000 patients passeront les portes de la ‘’maison de verre’’, le centre de traitement alternatif que le dictateur aujourd’hui déchu avait installé dans l’enceinte même du palais présidentiel.

La plupart des malades traités dans le centre sont séropositifs. Des centaines d’entre eux n’en sortiront pas vivants, victimes d’infections ou succombant après avoir obéi aux instructions présidentielles les contraignant à interrompre leur traitement antirétroviral.

Un an après la fin du règne de Jammeh, exilé en Guinée équatoriale, les langues d’une poignée de survivants, la cinquantaine bien entamée, commencent toutefois à se délier.

‘’Ce sont des personnes malades et les abus qu’elles ont subi continuent d’avoir des conséquences aujourd’hui, explique Sarah Bosha, chargée de la Gambie pour l’ONG AIDS-Free World. Il faut absolument qu’elles soient entendues, et ce de manière urgente’’.

En octobre 2017, un groupe d’organisations soutenant les victimes de l’ancien dictateur, notamment celles du  ‘’traitement miracle’’  contre le sida, ont lancé l’initiative #Jammeh2justice : une campagne pour que l’ancien président soit jugé pour les crimes commis durant son mandat.

Car si le centre de traitement controversé est aujourd’hui fermé, ses anciens pensionnaires sont toujours hantés par les expérimentations qu’ils y ont subies.

Cobayes

En 1995, c’est par un simple coup de fil que Fatou Jatta apprend qu’elle est atteinte du VIH. Malgré la psychose qui règne à l’époque autour de la maladie, la jeune femme de 28 ans décide d’annoncer publiquement son état.

Avec plusieurs proches, elle fonde un groupe de soutien qui organisera des campagnes de prévention et des marches de sensibilisation. Ces efforts leur valent l’attention du chef de l’État, à la recherche de volontaires pour son traitement expérimental.

Un jour de 2007, Yahya Jammeh en personne contacte l’association par téléphone, porteur d’une demande pressante : dix cobayes sont requis pour tester un nouveau traitement présidentiel contre le sida. Habitué des déclarations à l’emporte-pièce, le dictateur vient d’annoncer à la presse qu’il a découvert un remède miracle contre la maladie, à base d’herbes médicinales, pouvant également guérir l’asthme et l’hypertension. Reste encore à le prouver.

‘’Je suis le président qui guérit le sida’’, clame alors fièrement Yahya Jammeh, qui se fait appeler Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya AJJ Jammeh’’.

Invitée à participer au programme présidentiel, Fatou ne se fait guère d’illusions sur l’hypothèse qu’elle puisse en ressortir guérie. ‘’Mais avoir le président au téléphone et lui répondre non, ce n’était pas possible, confie la quinquagénaire à Jeune Afrique. On aurait pu avoir des problèmes, nous ou notre famille. C’est pour ça que la plupart d’entre nous y sommes allés’’.

Pendant six mois, les patients doivent ingérer des mixtures à base de plantes, pendant que le président les masse avec des huiles mystérieuses tout en récitant des versets du Coran. Ils sont par ailleurs entourés de vidéastes qui diffuseront les images de l’expérience au reste du pays par le biais de la télévision d’État.

Une panoplie de règles régisse également leur quotidien : interdiction de fumer, de boire de l’alcool, de s’accoupler, de mâcher du chewing-gum ou de boire le thé local, l’attaya.

Lorsque les caméras ne tournent plus, ce que les Gambiens ne voient pas, ce sont les ravages causés par le traitement. Les patients souffrent de vomissements fréquents et de diarrhées sévères, et beaucoup d’entre eux se retrouvent considérablement affaiblis en quelques semaines (…)

Pour les victimes du traitement présidentiel, reste un autre défi : obtenir justice pour les tourments subis, ce qui pourrait prendre des années. L’ancien dictateur gambien jouit d’un exil doré en Guinée-équatoriale, sous la protection du président Teodoro Obiang Nguema Mbasongo. Celui-ci affirmait récemment à la télévision nationale qu’il ne donnerait pas suite aux demandes d’extradition visant Yahya Jammeh, le dictateur qui prétendait guérir le sida avec des potions…

Jeuneafrique.com

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