Publié le 13 Mar 2018 - 20:33
IGE, OFNAC, ARMP, COUR DES COMPTES…

Institutions domestiquées !

 

Après le problème du suivi des recommandations des organes de contrôle, il est désormais question de réception et de publication des rapports. Voilà deux à trois ans que l’Ige, l’Ofnac et la Cour des comptes n’ont pas informé le peuple des résultats de leurs enquêtes. La faute au chef de l’Etat qui n’a plus le temps des remises officielles. Mais au fond, tout cela est sous-tendu par une volonté de domestication des corps dont les publications mettent en cause ses collaborateurs.

 

‘’La transparence est une réalité dans les marchés publics’’. En faisant une telle déclaration dans un contexte de suspicion sur la gestion des deniers publics, le directeur général de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) s’est attiré les foudres d’une partie de l’opinion. Saër Niang s’exprimait à l’occasion de la publication du rapport 2016 de l’organe de régulation. Le fait que cette sortie émane d’un directeur dont le mandat est terminé depuis janvier 2017 et qui, de surcroit, est accusé de s’accrocher à son poste, n’est pas de nature à taire la polémique. Depuis, le débat est relancé sur la position de l’Armp en particulier, et de tous les organes de contrôle de la gouvernance, en général.

 S’agissant de l’Armp, le sujet n’est pas nouveau, puisqu’en 2016, l’institution avait changé la façon de présenter le rapport de synthèse (2015) pour des raisons ‘’pédagogiques’’, disait-elle. ‘’C’est ce qui explique que dans les dysfonctionnements notés, les rédacteurs de ce document sont restés dans des généralités. Ils parlent d’autorités contractantes sans citer aucune des structures coupables de ces manquements. Ils ont sans doute voulu laisser les curieux fouiller dans les nombreux rapports postés sur son site’’, ironisait le journal ‘’Le Quotidien’’.  

L’Armp a été alors soupçonnée de vouloir masquer les inconduites des ordonnateurs de crédits. Les mêmes accusations reviennent encore. Birahim Seck, membre du Conseil d’administration du Forum civil, affirme que l’organe se rend complice de la mauvaise gouvernance. ‘’Maintenant, ils font une synthèse avec certains constats qui arrangent le pouvoir politique. L’Armp a voulu, dans sa nouvelle stratégie, cacher la vérité au peuple sénégalais. C’est le moment de saluer la détermination et le professionnalisme des journalistes qui ont su contourner le rapport d’activité qui ne contient que des photos du directeur général, pour piocher sur les rapports d’audits postés sur le site’’, se félicite-il. Selon Birahim Seck, l’Armp a balancé tous les rapports sur son site, tout en se limitant à des ‘’commentaires élogieux’’ à l’endroit du pouvoir. Ce qui n’est pas sa mission. ‘’Son rôle est de communiquer sur le rapport fondamentalement pour informer les citoyens, parce que c’est l’argent du contribuable’’, dixit cet expert de la gouvernance.

Mais, hier comme aujourd’hui, la structure se défend de se départir de sa position de neutralité. Joint par téléphone, le chargé de communication de l’Armp, Serigne Adama Boye, déclare : ‘’L’Armp ne cherche à protéger qui que ce soit, sinon on n’aurait pas publié les rapports sur le site. Après des années d’expérience, on s’est rendu compte que l’accent est toujours mis sur les personnes. Nous avons donc introduit cette innovation pour qu’on retienne l’essentiel, c’est-à-dire qu’on est une appréciation globale de l’évolution du système de passation des marchés. On ne cherche ni à jeter en pâture ni à protéger’’, argumente l’ancien journaliste à l’Agence de presse sénégalaise. Cette ligne de défense a été la même, il y a deux ans.

En novembre 2015, l’Armp avait programmé la publication de deux rapports (2013 et 2014) avant de se rétracter. Certains avaient dit, à l’époque, que c’est parce que l’organe avait subi des pressions de la part des tenants du pouvoir qu’il a fait marche arrière. Les rapports ont certes fini par être présentés, mais ne comportaient aucun détail sur les noms des ministères et sociétés nationales, contrairement aux éditions précédentes. Les institutions concernées ont été invitées à la séance de restitution afin qu’elles puissent avoir droit à la parole.

Dans l’optique de se défendre des accusations, l’organe avait sorti un communiqué pour se défouler sur la presse à qui il reproche de se livrer à une exploitation biaisée du rapport. ‘’Le souci de l’Armp, dans cet exercice, est d’éviter de mettre en avant le déballage, l’amalgame et le sensationnel qui ont fini de porter atteinte à la dignité et à l’honorabilité de personnes responsables des marchés, au détriment de l’objectif d’amélioration du système’’, lisait-on dans le texte.

Cour des comptes, Ige, Ofnac : deux ans sans rapports

Par ailleurs, Saër Niang et l’Armp sont sous le feu des projecteurs, parce qu’ils font l’actualité. Mais le problème va au-delà de cette institution de régulation. En fait, au Sénégal, depuis l’arrivée de Macky Sall à la présidence, précisément depuis le rapport 2014 de l’Ofnac, on a l’impression que les organes de contrôle ont tous été domestiqués par le régime. Il y a une illisibilité de leur travail qui fait qu’on note aujourd’hui une véritable crise de confiance vis-à-vis de l’Ofnac, de la Cour des comptes, de l’Ige… pour ne citer que les plus emblématiques.

D’ailleurs, quoi qu’on puisse penser de l’Armp, elle a au moins publié son rapport. Par contre, le peuple attend toujours ceux des organes ci-devant cités. Des sources au sein de la Cour des comptes indiquent que les rapports 2015 et 2016 sont sur la table du chef de l’Etat depuis belle lurette, mais jusqu’ici, le palais n’a pas fixé de date pour la réception officielle. Ce qui fait que les documents n’ont toujours pas été publiés.

Le rapport 2015 de l’Ige est le dernier que cette entité a présenté. Là aussi, un interlocuteur indique que celui de 2016 a été bouclé, il y a longtemps. Quant à l’Ofnac, on se rappelle bien que c’est à la suite de son dernier rapport (2014) que l’ancienne présidente, Nafi Ngom Keïta, a été débarquée. Elle avait d’ailleurs essuyé les foudres des partisans du chef de l’Etat, son directeur de cabinet Me Oumar Youm en premier, avant qu’un décret présidentielle ne lui trouve un successeur, en la personne de Seynabou Ndiaye Diakhaté. Lors de sa prestation, la nouvelle présidente avait lancé un signal clair. ‘’Je compte consacrer 80 % de mon action dans le travail et 20 % de communication. On va essayer donc de concilier la courtoisie et la rigueur. Mais tout cela dans le respect’’, disait-elle.

Il faut croire qu’elle a fini par consacrer 100 % de son action au travail et 0 % à la communication, puisqu’un an et demi après, elle n’a pas fourni de rapport aux Sénégalais.

Le président n’est plus pressé à recevoir les rapports

L’Ofnac et l’Ige sont-ils dans l’attente d’une date, comme c’est le cas de la Cour des comptes ? C’est bien possible. Selon Mody Niang, ancien chargé de communication à l’Ofnac, tout cela découle de la volonté du président de la République qui ne veut plus que les rapports soient diffusés. ‘’Ses proches collaborateurs, parmi lesquels des ministres et directeurs généraux, font des fautes de gestion. Et il ne veut pas que ces fautes-là soient rendues publiques’’, indique-t-il. ‘’EnQuête’’ a contacté El Hadj Hamidou Kassé, ministre-conseiller en charge de la communication du président, pour en savoir davantage. Celui-ci dit ne pas savoir si des rapports sont déposés ou pas sur la table du président. ‘’Pour être honnête, je ne sais pas. Et je ne veux pas m’aventurer sur des choses que je ne maitrise pas’’, déclare-t-il.

Il faut dire qu’il y a de quoi conforter la thèse selon laquelle le président de la République ne se précipite plus pour recevoir les rapports de manière officielle. Ils sont nombreux, aujourd’hui, les documents qui ont duré dans le pipeline. Récemment, le médiateur de la République a été interpellé sur le rapport 2017 de la médiature. Alioune Badara Cissé a fait savoir que celui de 2016 attend toujours sur la table du président. 2017 n’est donc pas à l’ordre du jour. Or, aucune de ces entités ne compte rendre public le contenu des documents, avant la réception officielle par le chef de l’Etat.

Une option contestée par Birahim Seck, d’après qui la remise avant la publication est une question de coutume et non de droit. Selon ses dires, ces organes de contrôle peuvent légalement publier leurs rapports, à l’absence d’une remise officielle. ‘’Il appartient à l’Ofnac, à l’Ige et à la Cour des comptes de prendre leurs responsabilités et d’assumer pleinement leurs missions’’.

Une thèse également défendue par Mody Niang qui croit, lui aussi, ‘’qu’en principe’’, les institutions n’ont pas besoin de l’aval du chef de l’Etat. Cependant, un magistrat contacté a affirmé le contraire, soutenant que la Cour des comptes, par exemple, doit remettre officiellement son rapport au chef de l’Etat avant de le publier. Il n’empêche qu’il y a bien une jurisprudence à l’Ofnac. ‘’Lorsque Nafi Ngom Keïta a voulu publier le rapport 2014-2015 et que le président de la République a manifestement refusé de la recevoir, elle a pris ses responsabilités et elle a publié’’, souligne Mody Niang. L’homme se désole du fait que la dame ait été relevée de ses fonctions, alors qu’elle avait commencé ‘’un excellent travail’’. Depuis lors, ajoute-t-il, l’Ofnac est en train de dormir  comme le voulait le président Macky Sall. ‘’Il veut rendre inoffensives toutes les structures de contrôle’’, se désole-t-il.

Une allergie aux rapports critiques

Quoi qu’il en soit, Birahim Seck estime que dans un contexte où l’Etat collecte des fonds partout, c’est un devoir de rendre compte sur la manière dont l’argent est utilisé. Ce qui l’amène à regretter le fait que le pouvoir politique soit devenu un poids encombrant pour les organes de contrôle qui n’arrivent plus à faire leur travail. ‘’A ce rythme, il vaut mieux dissoudre les corps de contrôle. On ne peut pas payer de l’argent à des gens qui font leur travail et qu’au bout du compte, le peuple sénégalais n’est pas informé de la gestion des deniers publics’’, s’indigne-t-il. M. Seck demande aux autorités politiques de dire en quoi les rapports les gênent. Il les invite à faire preuve d’un minimum de respect à l’endroit des Sénégalais qui veulent savoir comment leur argent est géré.

À son arrivée au pouvoir, Macky Sall avait promis une gestion sobre et vertueuse. Les premiers rapports sur sa gouvernance ont épinglé certains de ses partisans pour des faits graves. Il n’y a jamais eu de sanction. Alors que l’opinion publique n’a pas fini de s’inquiéter et de s’indigner du manque de suivi des recommandations des organes de contrôle, voilà que se pose maintenant le problème de la réception et de la publication des rapports. Dans ces conditions, il reste à espérer que la prochaine étape ne concernera pas la production des documents. Car, il faut bien reconnaitre que le pouvoir actuel est hyper allergique à tout rapport critique, quel que soit le domaine ciblé.

Il a fallu qu’Amnesty International dénonce des restrictions de liberté, dans son rapport 2017, pour que le directeur exécutif de cette Ong, Seydi Gassama en l’occurrence, soit qualifié de ‘’politicien encagoulé’’ par le Premier ministre Mahammed Dionne. De même, les rapports Doing Business et ceux sur l’indice de développement humain, qui ont manqué de saluer la performance économique ou sociale du Sénégal, ont tous été voués aux gémonies.

Bref, si les organes non étatiques font l’objet d’un tel traitement, il est logique de s’attendre à ce que les autres, qui sont sous contrôle, parfois direct du chef de l’Etat, soient ainsi domestiqués. Au grand dam de la démocratie et du développement du pays !

BABACAR WILLANE

Section: