Publié le 21 Jun 2022 - 20:06
JOURNÉE MONDIALE DES RÉFUGIÉS

Les générations perdues

 

Nés loin de leurs pays d’origine, ils sont nombreux, les enfants de réfugiés au Sénégal, à éprouver d’énormes difficultés à obtenir une reconnaissance juridique. Un bon nombre court de graves risques d’apatridie.

 

Ils sont aujourd’hui plus de 100 millions dans le monde. Parmi eux, des milliers d’enfants arrachés à la terre de leurs aïeux, avec des parents sans cesse à la quête d’une vie meilleure. Au Sénégal, bon nombre de ces enfants éprouvent toutes les peines du monde à accéder à certains droits fondamentaux. Quelques-uns ont été rencontrés à la devanture du Bureau régional du HCR sis à Mermoz. Sans toit, sans éducation, sans même le droit à des soins quand ils sont malades.

Réfugié ivoirien au Sénégal depuis environ 10 ans, Loua Diomande revient sur leurs difficultés : ‘’En ce qui me concerne, c’est souvent la Caritas qui me vient en aide quand j’ai, par exemple, des urgences d’ordre sanitaire. Le HCR ne veut rien faire pour nous et pour les enfants. Chaque fois qu’on les a sollicités, ils nous disaient : ‘Vous n’êtes pas reconnus.’ Ils refusent injustement de nous reconnaitre, alors que nous sommes venus au Sénégal avec des statuts en bonne et due forme. Des statuts que nous avions obtenus en Gambie, mais que le Sénégal a refusé de renouveler…’’

À l’instar d’une dizaine d’autres réfugiés qui logent devant le HCR depuis l’hivernage de l’année dernière, Loua a fui la Gambie de Yaya Jammeh, son premier pays de refuge, au début des années 2010. Traqués par le défunt régime, la vingtaine de réfugiés, coupables d’avoir osé réclamer leurs droits, avaient fui et déposé leurs baluchons à Dakar, avec leurs enfants.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Certains de leurs enfants étant nés en territoire sénégalais ne sont pas assurés d’avoir la nationalité. L’Ivoirien explique : ‘’J’ai deux filles. La première, qui a 14 ans, est née en Gambie ; la seconde, qui n’a que 3 ans est née ici au Sénégal. Je l’ai bien sûr déclarée et j’espère qu’elle n’aura pas de problème de papiers à l’avenir. Mais je ne sais pas trop pour les procédures.’’

Contrairement à la cadette, l’ainée qui est née en Gambie risque l’apatridie. ‘’Elle est née en Gambie. Je l’avais déclarée là-bas, mais avec les difficultés que nous avions avec des autorités de l’ancien régime, ils avaient saisi et détruit tous nos bagages, y compris nos documents dont les papiers de ma fille. Aujourd’hui, cette fille devenue adolescente n’a aucun document juridique. Juridiquement, je ne peux pas dire si elle est ivoirienne, gambienne ou sénégalaise, puisqu’elle a grandi ici, elle ne connait qu’ici’’.

Chez les Dainkeh, les enfants ne sont guère mieux lotis. Le risque d’apatridie est encore plus élevé. De parents ayant fui leur pays la Sierra Leone, à cause de la guerre, ils n’ont aujourd’hui aucun document juridique, même pas des extraits de naissance. L’air désemparée et inquiète, la mère de famille revient sur leurs difficultés : ‘’Ce sont deux jumeaux âgés de 19 ans et leur cadette de 12 ans née au Sénégal. Je m’inquiète beaucoup pour eux, surtout pour les filles. Avec l’insécurité, le banditisme, les abus sur les enfants, je me fais tout le temps du souci. Surtout avec les conditions dans lesquelles nous vivons. C’est vraiment très difficile et le HCR refuse de nous porter assistance. Nous demandons de l’aide aux bonnes volontés qu’elles viennent en aide au moins aux enfants qui ne peuvent même pas avoir un logement décent.’’

Par ailleurs, s’il y a une chose qui préoccupe le plus ces parents abandonnés par la communauté internationale, c’est surtout l’éducation de leurs enfants. Cela a été le cheval de bataille de Diomande pendant très longtemps. L’Ivoirien ne manquait pas d’ériger des tableaux de fortune, pour les aider ne serait-ce qu’à savoir lire et écrire. Il peste : ‘’Sans éducation, ces enfants n’ont aucun avenir. Aujourd’hui, ils ne peuvent même pas aller à l’école et c’est anormal. J’ai fait tout mon possible, j’ai eu même à supplier des responsables du HCR pour qu’ils nous viennent en aide, pour qu’ils paient au moins l’éducation de nos enfants, afin qu’ils sachent lire et écrire, mais ils ont refusé. À chaque fois, ils nous ont dit que c’est parce que nous ne sommes pas reconnus. Où est l’humanitaire ?’’

Étant nés pour la plupart hors de leur pays d’origine, ces enfants interrogent sans cesse leurs parents sur leur histoire. Pourquoi ils ont quitté leur pays ? Qu’est-il arrivé aux autres membres de leurs familles… Loua Diomande : ‘’Mes enfants ne connaissent que leurs parents biologiques. Souvent, ma fille m’interroge sur les circonstances de la mort de ses grands-parents. Je leur raconte pour qu’elles sachent d’où elles viennent…’’

Nous sommes au milieu des années 2000. Les parents de Diomande, membres du parti de Laurent Gbagbo, ont été tués par les adversaires au régime de l’époque. Diomande et son épouse sont eux emprisonnés. Ils ont pu s’évader pour se retrouver en Gambie où ils avaient acquis le statut de réfugié, avant d’y être chassés par la dictature, suite à une série de revendications de leurs droits. Aujourd’hui, la paix semble revenir en Côte d’Ivoire, mais Diomande, lui et sa famille n’envisagent pas d’y retourner. Il donne les raisons : ‘’Je ne peux pas rentrer, parce que ce sont les bourreaux de ma famille qui sont aujourd’hui au pouvoir. Certes, Gbagbo est rentré, mais lui peut assurer sa sécurité personnelle. Ce qui n’est pas mon cas. C’est pourquoi je n’envisage pas de rentrer en Côte d’Ivoire pour le moment.’’

Pourtant, la clause de cessation qui marque la fin de la reconnaissance des réfugiés ivoiriens va prendre effet dès ce 30 juin. Ce qui renforce davantage son inquiétude.

Sur place, à la devanture du Bureau régional du HCR, il y a plusieurs familles dont des Libériens, des Sierra-Léonais, des Congolais… Tous se plaignent de l’attitude désinvolte de l’agence onusienne envers eux et surtout les enfants. ‘’Un jour, un de mes enfants (un garçon) a été violé au niveau du supermarché du Point E.

Un monsieur l’a rattrapé et a abusé de lui. C’était en 2014. Il n’avait que 12 ans. On l’a emmené au HCR pour constater les dégâts et demander assistance (il donne le nom du responsable). Ils ont constaté et n’ont rien fait, sous le prétexte que nous ne sommes pas reconnus. Nous y sommes retournés pour leur demander s’ils peuvent nous aider à porter plainte. Là, ils ont dit qu’il vaut mieux ne pas en parler et qu’ils vont nous assister. Ils n’ont jamais rien fait. L’enfant est finalement devenu homosexuel. Et il le paie jusqu’à présent. À chaque fois, les gens le tabassent pour ce qu’il est devenu’’, nous confiait un de nos interlocuteurs.

Cet article a été réalisé avec le soutien d’Article 19 et de l’UNESCO dans le cadre du Projet ‘’Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication’’, financé par l’Agence italienne pour la coopération au développement, via le Fonds Afrique du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.

MOR AMAR

 

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