Publié le 11 Jan 2015 - 02:16
A LA DECOUVERTE DU DAHIRA SAFINATOUL AMAN

La police privée de Touba

 

L’idée de mettre en place une structure servant de sentinelle, chargée du respect du règlement intérieur basé sur la « Charia » établi par Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, a longtemps été en gestation. Aujourd’hui, le dahira « Safinatoul Aman », en charge de ce volet sécuritaire, a été créé le 14 février 1997. A sa création, « Safinatoul Aman » du nom d’un Khassaïde de Cheikh Ahmadou Bamba, signifiant littéralement « navire de la Sécurité », avait comme objectif principal de réunir, dans un cadre d’action et d’expression, l’ensemble des petits-fils de Cheikhoul Khadim. Entre-temps, sa mission a évolué. Il est devenu une association légalement constituée pour avoir obtenu son récépissé depuis 2004.

 

Organisation sociale et structurelle du « dahira »  

 La création « Safinatoul Aman » avait pour objectif final la conscientisation des talibés, notamment ceux vivant à Touba, sur la sacralité de la ville sainte de Touba, la sensibilisation de ces derniers sur le règlement intérieur basé sur la « charia » en vigueur sur toute l’étendue du territoire communal de Touba, conformément aux directives et aux vœux du khalife et enfin, l’invite au respect des enseignements du Cheikh. Et le principe veut que le plus âgé des petits-fils soit le président d’honneur du « Dahira ». Ainsi depuis sa création, ils ont été nombreux à occuper ce poste.

Il s’agit de Cheikh Aliou Mbacké, de Modou Bousso Dieng, d’El Hadji Mouhamadou Lamine Bara Mbacké Falilou. L’actuel Khalife général des mourides, Cheikh Sidy Mactar Mbacké, est l’actuel président d’honneur du « Dahira ».  Le Dahira est placé sous le contrôle et la coordination générale de Serigne Mohamadou Abdourahmane Lô, plus connu sous le nom de Serigne Modou Lô Ngabou, secondé dans sa tâche par un superviseur général qu’il a choisi lui-même. Le « Dahira » ne répond et n’est responsable exclusivement que devant le khalife général, l’autorité suprême.

Si à sa création le rôle exclusif dévolu au Dahira Safinatoul Aman » était la conscientisation et la sensibilisation de la masse sur les pratiques obscènes et indécentes à l’intérieur du périmètre sacré de la ville sainte, mais aussi et surtout la veille au respect scrupuleux des « interdits et des recommandations du khalife», aujourd’hui la répression lui est pratiquement dévolue. C’est une véritable Police Privée, avec tout ce que cela renferme dans la pratique et dans l’exercice de sa fonction. Il faut dire que le Dahira tient pleinement cette fonction, du temps du khalifat d’El Hadji Bara Falilou. Dorénavant la ville sainte de Touba dispose d’une police particulière chargée du contrôle et de la répression des pratiques obscènes et indécentes, sur toute l’étendue du territoire communal de la ville de Touba.

Dispositif humain et matériel du « dahira »

La police privée est pourvue de 300 à 400 éléments, répartis entre trois unités. Une unité chargée uniquement du Renseignement, une autre chargée de la Prévention (Moralisation, Sensibilisation et Conscientisation des personnes, notamment étrangères), enfin une dernière unité, et non des moindres, en charge de la Répression. Cette dernière unité est la plus visible sur le terrain. Elle est reconnaissable par l’uniforme de couleur bleue foncé, assorti d’insignes et de médaillons, dont le grade est fonction de la responsabilité de l’agent au sein du groupe, par l’accoutrement, à l’image de la « GIGN ou de la BIP » et enfin par le matériel (teasers, matraques, lampes etc.), dont disposent les agents.

Le recrutement des éléments composant les différentes unités, selon le coordonnateur général Serigne Modou Lo Ngabou, est basé exclusivement sur le bénévolat et le volontariat. A l’en croire, la recrue est d’abord soumise à une enquête de moralité, avant tout enrôlement ou engagement au sein du groupe. Ensuite, elle est imprégnée du règlement intérieur du « Dahira », puis affectée dans une des unités, selon ses capacités.

En plus du dispositif humain, « Safinatoul Aman » dispose également d’une logistique impressionnante composée essentiellement de matériel roulant. Les moyens de fonctionnement (carburant, crédits téléphoniques) proviennent exclusivement, soit du khalife, soit du coordonnateur général, qui a déclaré en revanche que tout moyen matériel ou financier ne provenant pas du khalife ou dont la provenance est douteuse ne saurait être accepté par le « Dahira ». « Tout moyen financier ou matériel doit être licite ou considéré comme tel pour profiter à « Safinatoul Aman, du moins, tant que je préside aux destinées du « Dahira », a révélé Serigne Modou Lo Ngabou.

Interrogé sur l’exercice de leur fonction sur le terrain, le coordonnateur général de « Safinatoul Aman » a soutenu que le règlement intérieur du « Dahira » interdit à tout agent d’user de la violence. « Leur arsenal d’armes ne sert qu’à la dissuasion. Ils n’ont le droit de frapper ou de violenter personne », a-t-il expliqué. Et mieux, a-t-il précisé, ils sont astreints de collaborer strictement avec la Police ou la Gendarmerie, chargées des poursuites judiciaires.

D’ailleurs, a poursuivi Serigne Modou Lo Ngabou, le règlement intérieur du « Dahira est déposé au niveau des commissariats de police et des brigades de gendarmerie pour leur permettre de s’en imprégner au cas où, dit-il, les agents transgressent ce règlement dans l’exercice de leur fonction. En terme clair, tout agent du « Dahira Safinatoul Aman » qui commet des manquements dans l’exercice de ses fonctions, sauf en cas de légitime défense, est passible de sanctions ou exposé à des poursuites judiciaires.

Quelques actions de « Safinatoul Aman »

Conformément au rôle qui lui est dévolu, qui est de veiller sur les interdits de Touba, c’est-à-dire de réprimer les pratiques obscènes et indécentes dans Touba, la police privée a eu à réaliser des actions d’envergure sur le terrain, à la suite de renseignements précis de personnes anonymes, telles que le démantèlement et la fermeture de maisons closes dans la cité religieuse, la traque des personnes en violation flagrante de la sacralité de la ville sainte de Touba, notamment les filles dont l’habillement est indécent, les fumeurs de cigarettes, les détenteurs et usagers de drogue, les prostituées, les promoteurs de spectacles comme les « sabars », les « tann béér » et autres spectacles de divertissement, culturels ou sportifs (football, lutte, etc.).

Depuis huit ans, « Safinatoul Aman » organise, à chaque veille de magal, en collaboration avec les forces de l’ordre, les sapeurs-pompiers et le service d’hygiène, des opérations de destruction et d’incinération des habits et des produits et objets prohibés, saisis lors des opérations de sécurisation sur le terrain. En effet, le coordonnateur général est tenu de présenter un rapport annuel au khalife général qui doit lui renouveler sa confiance, avant d’entamer une nouvelle année.

Par exemple, il ressort du rapport 2013-2014, rendu public lors de la 8e séance de destruction des produits et objets prohibés, que 1 360 ballons, 34 tam-tams, 1 599 « body », 1 221 pantalons de femmes, 2 737 paires de chaussures, 2 247 tasses de bière, 1 540 canettes de bière, 618 pipes, 364 briquets, 320 cornets de « tabac noir », 58 cornets de chanvre indien (le reste de la quantité étant remis aux forces de l’ordre), 521 paquets de cigarettes, un carnet de santé appartenant à une prostituée, un nombre important de casquettes entre autres, ont fait l’objet de saisie, lors des opérations de sécurisation des éléments du « Dahira Safinatoul Aman », compte non tenu des personnes interpellées pour divers délits, remises à la police ou à la gendarmerie.

Il faut souligner, cependant, que les actions et les agissements menés par les éléments de « Safinatoul Aman » sur le terrain ne portent pas tout le temps l’adhésion des populations. « Safinatoul Aman » est souvent désapprouvé par les populations qui assimilent les interventions de ses éléments, parfois zélés et sans état d’âme, à des exactions ou des agressions ou même à des « razzias ». Serigne Modou Lo Ngabou, le coordonnateur général, n’a de cesse de recevoir des plaintes, complaintes, griefs et autres récriminations des gens victimes des exactions de ses éléments sur le terrain. 

Abdou Fatah Gaye (TOUBA)

 

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