Publié le 28 Feb 2013 - 09:36

Le code des douanes est bien conforme aux principes généraux de droit.

 

Dans une excellente contribution parue dans la rubrique « libre parole » du quotidien Enquête du 20 février2013, le Colonel des Douanes (ER) Ibrahima DIAGNE, a apposé des arguments pertinents aux vaines tentatives du Secrétaire général de la Cour d’Appel de Dakar et du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de présenter le code des douanes, à l’occasion de la rentrée des cours et tribunaux, comme étant des dispositions qui « violent le droit à un procès équitable » et  « vident les droits fondamentaux des citoyens par une présomption de culpabilité qui s’impose au juge et neutralise les défenses ».

 

Le Colonel DIAGNE fonde surtout ses arguments, d’une part, sur le rôle de protection et régulation que joue la douane sur le plan économique, et d’autre part, sur l’apport de cette administration sur le plan financier en tant que contributrice importante aux recettes de l’Etat. En conséquence, monsieur Diagne demande, à juste titre, de ne pas détruire immédiatement toute l’architecture juridique douanière. Ma contribution qui vise à compléter celle du Colonel Diagne, se place sous l’angle juridique exclusivement. Les critiques formulées à l’encontre du code des douanes portent principalement sur des dispositions qui peuvent être regroupées en deux points :

Premièrement : la présomption de culpabilité du prévenu et le renversement de la charge de la preuve ;

Deuxièmement : les restrictions apportées aux pouvoirs d’appréciation du Parquet et des juges.

 

1) Sur la présomption de culpabilité et le renversement de la charge de la preuve :

 

Pour les pourfendeurs du code des douanes, de telles dispositions violent la constitution, les droits de la défense et le principe de la présomption d’innocence. En vérité, c’est une fausse querelle qui est faite au code des douanes. En effet, le Conseil Constitutionnel, dans une décision rendue le 19 juin 1995 a tranché la question en estimant que ni la Constitution, ni le principe de présomption d’innocence, ni les droits de la défense ne sont violés, si le législateur veut apporter des restrictions à leur exercice, en invoquant d’autres principes de valeur constitutionnelle telle que la sauvegarde de l’intérêt général. Or, il est incontestable que la douane œuvre pour l’intérêt général puisqu’elle est chargée de préserver l’ordre public économique. Par ailleurs, il convient de noter que les institutions internationales, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui connaissent parfaitement la législation sénégalaise, auraient certainement fait des observations si le code des douanes avait violé les principes généraux de droit.

 

2) Sur les restrictions apportées au pouvoir d’appréciation du Parquet et des juges :

 

Ces restrictions concernent essentiellement l’obligation de décerner le mandat de dépôt pour les délits douaniers et les défenses faites aux juges. Le mandat de dépôt obligatoire pour les délits douanier:

L’article mis en cause est l’article 262 du code des douanes. Cet article dispose en substance, qu’à l’égard des prévenus passibles d’une peine d’emprisonnement, le Parquet, en cas de flagrant délit, le Juge d’instruction, lorsqu’une information est ouverte, décernent obligatoirement mandat de dépôt ou mandat d’arrêt. De telles dispositions ne sont pas spécifiques au code des douanes. Elles existent pour des délits autres que douaniers et n'ont pas soulevé de tollé. C’est notamment le cas en matière de détournement de deniers publics où le mandat de dépôt est obligatoire et sa mainlevée soumise à des conditions de remboursement minimales. En matière douanière également, il est possible de prononcer la mainlevée du mandat de dépôt.ci est subordonnée au paiement des droits et taxes dus, ainsi qu’au paiement d’un cautionnement égal au montant des condamnations pécuniaires encourues.

 

Les défenses faites aux juges :

 

Ce sont les articles 265 et 266 du code des douanes qui semblent gêner en ce qu’elles disposent respectivement que le juge « ne peut excuser les contrevenants sur l’intention » et ne peut « donner contre les contraintes aucune défense ou surséance… » . S’agissant de l’article 265, il convient de signaler qu’il énonce un principe qui s’applique à la plupart des infractions, eu égard à la nature de ces infractions. Toutefois, pour certaines infractions, il est admis que l’intention constitue, pour le juge, un élément d’appréciation de la culpabilité du prévenu.

 

Pour ce qui est de l’article 266, la défense faite au juge se comprend aisément parce qu’ici, nous ne sommes plus en matière pénale, mais en matière civile. Ayant opté pour la voie transactionnelle, il s’agit d’anticiper sur une éventuelle mauvaise foi de la part du prévenu qui n’aurait jamais eu l’intention de respecter les engagements qu’il a librement souscrits dans la transaction. Son but, au départ, étant simplement d’échapper aux peines (lourdes) légalement encourues en cas de poursuite devant les juridictions.

 

Voilà succinctement quelques arguments de droit qui battent en brèche les critiques formulées à l’encontre du code des douanes. Mais, comprenons nous bien. Il ne s’agit pour nous de prôner l’immobilisme, encore moins de faire l’apologie du code des douanes. Des modifications substantielles peuvent être apportées à ce code, tout en préservant l’intérêt général. Nous pensons notamment à la prise en compte de l’élément intentionnel pour réduire, voire supprimer les pénalités qui pèsent sur certaines personnes dont la responsabilité est engagée uniquement en raison de l’application du principe de solidarité. Nous pensons également à un allègement des conditions de la mainlevée du mandat de dépôt. Nous pensons enfin à la transaction dont les conditions d’exercice et les modalités d’application pourraient être adoucies.

 

D’autres modifications qui préservent les intérêts de l’Etat peuvent, sans doute, être apportées. Il faudra les examiner cas par cas pour éviter de détruire l’architecture juridique sur lequel repose le droit douanier. D’après les échos qui me parviennent, il semble que l’Administration des douanes s’y attèle depuis des mois. Aussi, ne sert-il à rien d’énoncer des principes de façon abstraite ou de verser dans la violence verbale en utilisant des termes tels que « chantage » pour caractériser le code des douanes. C’est irrespectueux à l’égard du législateur et des agents qui représentent l’Administration des douanes.

En conclusion, à la suite du Colonel Diagne, j’invite les différents partenaires, à mettre entre parenthèse leurs intérêts corporatistes et à avoir, le moment venu, une approche constructive en faisant des propositions concrètes, avec pour seule finalité l’intérêt supérieur du Sénégal. Les pays développés dont certains s’inspirent pour exiger des ruptures brutales baignent dans un environnement économique, social et culturel différent caractérisé notamment par une industrialisation importante, un secteur informel quasiment inexistant, une faible contribution de l’administration des douanes aux recettes de l’Etat, une réorientation des missions de cette administration.

 

 

Abdoulaye Oumar DIENG

Colonel des douanes (ER)

Ex Chef du Bureau des Poursuites

et du Recouvrement de la Douane

 

 

 

 

 

 

 

 

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