Publié le 22 Oct 2020 - 22:37

Les partisans de Dalein ont manifesté devant leur ambassade à Dakar

 

Sur la VDN, les ressortissants guinéens ont déversé leur colère sur leur représentation diplomatique, après que la commission électorale a désigné Alpha Condé vainqueur des quatre premières circonscriptions dont les résultats ont été publiés.  

 

La crise qui s’annonce en Guinée se prolonge déjà au Sénégal. Hier, les infortunés qui ont pris la voie de dégagement nord (VDN) pour vaquer à leurs occupations ont été surpris par une manifestation de ressortissants guinéens. Leur cible était l’ambassade de Guinée localisée sur cette route, pour contester les premiers résultats de la Présidentielle guinéenne dévoilés hier. La conséquence a été de gros embouteillages et des affrontements avec les forces de l’ordre venues libérer les emprises bloquées.

Les manifestants, dont beaucoup scandaient ‘’Cellou Président !’’, en référence à Cellou Dalein Diallo, opposant guinéen qui s’est autoproclamé vainqueur du scrutin présidentiel de dimanche dernier, dénonçaient une tentative de confiscation du résultat des urnes par le pouvoir du président sortant, Alpha Condé. Mais ils ont fait face aux éléments du commissariat central qui, à coups de grenades lacrymogènes, les ont dispersés. Il n’empêche, les Guinéens étaient déterminés à en découdre avec leur ambassadeur à Dakar.

Ce n’est qu’avec l’intervention, dans la soirée, des éléments de la Brigade d’intervention polyvalente (Bip) que ce dernier a pu être exfiltré pour être placé hors de danger, face à la furie des manifestants qui ont pris d’assaut les lieux.

Au même moment, de violents heurts éclataient entre policiers et émeutiers, en Guinée. Dans beaucoup de quartiers dont Wanidara, en haute banlieue de Conakry, ou encore le long de la route Le Prince qui traverse des zones réputées favorables à l’opposition, des dizaines et des dizaines de jeunes ont envahi les routes avec des barricades en feu, jets de pierres, face-à-face avec les forces de l'ordre.

Selon le gouvernement, neuf morts sont à déplorer dans le pays, depuis lundi, dont six par balles et un policier lynché à mort, ainsi que de nombreux blessés et des dégâts matériels. Un communiqué du ministre de la Sécurité et de la Protection civile explique que, suite aux nombreux incidents et affrontements, ‘’quatre corps de victimes d’armes à feu ont été déposés dans les morgues de l’hôpital Donka et d’Ignace Deen, un mort par arme blanche et deux autres par arme à feu calibre 12 ont été également enregistrés à Kissidougou. Un policier a été lynché à mort à Bambéto et un autre poignardé à la Cimenterie. Plusieurs autres ont été blessés. Ces agents, dépourvus d’arme létale, faisaient partie du dispositif mis en place pour enlever les barricades sur la route Le Prince et maintenir l’ordre’’.

Le ministère de la Sécurité et de la Protection civile a aussi condamné une ‘’stratégie du chaos orchestrée pour remettre en cause le scrutin du 18 octobre dernier dont l’ensemble des observateurs et la communauté internationale ont salué l’organisation et la sécurisation’’.

L’opposant Cellou Dalein Diallo parle, lui, d’un bilan plus lourd, avec 16 décès dont une dizaine hier. Dans la soirée, le leader de l’UFDG a aussi alerté sur un dispositif policier autour de sa maison considérablement renforcé. ‘’Dix pick-up des FDS viennent de stationner devant le bâtiment abritant mes bureaux à Hamdallaye. Des agents ont débarqué, ont défoncé le portail et forcé les portes d’accès aux bureaux. Aux dernières nouvelles, ils sont en train de tout détruire, à l’intérieur du bâtiment. Nul ne peut agir de la sorte, si ce n’est sur instruction d’Alpha Condé. Cette descente musclée des forces de défense et de sécurité dans nos locaux, avait-elle pour objectif de détruire les preuves de la fraude massive organisée pour permettre le passage en force du 3e mandat ?’’, criait-il sur les réseaux sociaux.

L. Diouf

RESULTATS DE LA PRESIDENTIELLE EN GUINEE

La guerre des chiffres est lancée

Les tendances qui donnaient vainqueur le candidat opposant Cellou Dalein Diallo, n’ont pas été confirmées par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui a publié les premiers résultats de 4 circonscriptions où Alpha Condé est largement gagnant. Du côté de l’UFDG, l’on affiche les chiffres qui prouveraient la victoire de Diallo. 

Matoto, Matam, Kaloum et Boffa. Quatre premières localités pour lesquelles la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a donné, mardi soir, les résultats de l’élection présidentielle de ce dimanche. Des lieux où le président sortant est donné vainqueur avec une bonne longueur d’avance sur son opposant Cellou Dalein Diallo.

A Boffa, il est à 56,69 % ; 51,87 % à Kaloum, dans le centre-ville de Conakry, pour ne citer que ceux-là.

Bien qu’il reste encore 34 circonscriptions dont les résultats n’ont pas encore été publiés par la Ceni, la contestation a commencé dans le camp de l’UFDG. Eux qui n’ont pas attendu le décompte officiel pour annoncer la victoire de leur candidat au premier tour, ont désormais fourni leurs chiffres et leur mode de comptage. Dans un document accessible à la presse, l’équipe de Cellou Dalein Diallo affirme avoir mis en place un système de remontée rapide des résultats des urnes pour chaque bureau de vote. Deux fournisseurs différents envoient les résultats, de même qu’une copie des procès-verbaux, à un centre d’appel qui recueille, suit et traite les données, de même que les incidents et anomalies sur le terrain avant, pendant et après le vote. ‘’Ceci présente des preuves matérielles de nos affirmations et évite également la triche et la modification des résultats, sur ordre de monsieur Alpha Condé’’, lit-on dans le document.

De ce comptage, ils déduisent que Cellou Dalein Diallo, sur plus de 12 000 PV collectés dans ce système, arrive en tête des suffrages exprimés avec 53,84 % devant le président sortant qui a obtenu 39,4 % des votes.

Toutefois, précise-t-on, dans le document, ‘’nous sommes conscients que certains des résultats ont été modifiés, lorsqu'ils ont été transportés au centre de centralisation et qu'il existe des preuves vidéo de cette pratique partout sur les réseaux sociaux. Leur résultat est contestable et la validité des résultats, si le gouvernement et ses agents l'ont changé au plus haut niveau devant les tribunaux’’.  

Serein pour le moment, le candidat sortant n’entre pas dans cette guerre des chiffres. Dans une déclaration rendue public hier, le président de la République a appelé ‘’au calme’’, en attendant l'issue du processus électoral en cours. ‘’Bien sûr qu'il y aura un vainqueur, mais ce n'est pas pour autant que la démocratie sera menacée ou que la paix sociale devienne impossible. Si la victoire me revient, je reste ouvert au dialogue et disponible à travailler avec tous les Guinéens’’, a-t-il ajouté.

En appelant au sens des responsabilités et au patriotisme de tout un chacun, Alpha Condé rappelle que ‘’la Guinée est au-dessus de tout le monde. Protégeons-la !’’. Quant à la commission électorale, elle continue de centraliser les PV dans l’intérieur du pays et promet de publier d’autres résultats ces prochains jours. ‘’La Ceni poursuivra la proclamation des résultats provisoires partiels au fur et à mesure de leur réception’’, soutien son président Kabinet Cissé.

MAMADOU YAYA BALDE, JOURNALISTE POLITIQUE GUINEEN

‘’On se dirige vers le chaos’’

L’essayiste et journaliste Mamadou Yaya Baldé sonne l’alarme et demande des interventions en Guinée, avant que la situation ne dégénère pour de bon.  

Comment est-on arrivé à ce qui s’est passé aujourd’hui devant l’ambassade de Guinée au Sénégal ?

Des manifestations spontanées se sont tenues là-bas, eu égard à ce qui se passe au pays. Des mécontentements ont été accumulés par la communauté guinéenne au Sénégal qui, d’abord, n’a pas pu voter lors de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020. C’est la conséquence du recensement des électeurs présents ici qui a été saboté par les autorités guinéennes. Ces citoyens se sont partagé des messages dans des groupes WhatsApp pour se donner rendez-vous devant l’ambassade et exprimer leur ras-le-bol par rapport à ce qui se passe dans leur pays et les résultats fantaisistes qui ont été publiés mardi par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Elle a proclamé vainqueur le président sortant, Alpha Condé, dans quatre circonscriptions où les procès-verbaux remontés par le candidat de l’opposition, selon son équipe, montreraient la victoire de Cellou Dalein Diallo dans ces lieux. C’est ce qui irrite les Guinéens présents au Sénégal et la diaspora guinéenne qui, globalement n’a pas voté.    

Comprenez-vous la position prise par Cellou Dalein Diallo en s’auto-déclarant vainqueur ?

Il ne s’est pas autoproclamé vainqueur. Il a revendiqué sa victoire. La nuance est importante à signaler. Je rappelle que c’est le même procédé qu’Alpha Condé avait utilisé en 2010 (lors de la Présidentielle ayant abouti à son arrivée au pouvoir). Il avait déclaré sur RFI, sur un ton menaçant : ‘’J’ai gagné trois régions sur quatre. Qui peut dire que je n’ai pas gagné ?’’ Après cela, la commission électorale a confirmé ce qu’il disait. Donc, je ne vois rien d’illégal dans la déclaration de Cellou Dalein Diallo.

Dans les démocraties comme celle du Sénégal, c’est le jour même de la fermeture des bureaux de vote, à 21 h, que l’on dégage les premières tendances. Et pour cette élection en Guinée, les premières lourdes tendances plaçaient Cellou Dalein Diallo en tête. Il a déclaré aujourd’hui avoir gagné avec 53 %. Je pense que nous allons vers des lendemains tumultueux et incertains dans notre pays.

Peut-on avoir confiance à la Ceni et à la Cour constitutionnelle que les partisans de Dalein accusent déjà d’être impartiales ? 

C’est tout le problème en Guinée. Il y a une rupture de confiance entre les citoyens et les institutions de leur pays. La Ceni a élaboré un programme d’une manière unilatérale, sans consensus. Ils ont confectionné un fichier électoral taillé sur mesure. Tout a été fait pour que le président Condé gagne au premier tour. C’est un fichier corrompu.

Je rappelle qu’à Kankan, région d’où le président Alpha Condé est originaire, il y a plus d’électeurs qu’à Conakry qui est pourtant la capitale de la Guinée. Dans la diaspora qui est favorable à l’opposition, le recensement a été saboté et il n’y a pas eu de vote normal. La candidature de Cellou Dalein Diallo est venue bouleverser les choses.

Aujourd’hui, la situation est devenue très complexe en Guinée. Et si l’on n’y prend pas garde, l’on se dirige vers le chaos.

Justement, la Guinée risque-t-elle de tomber dans une crise postélectorale ?

Les institutions sous-régionales, africaines et internationales doivent réagir. La journée d’aujourd’hui (hier, NDLR) a été tendue. On parle de six morts à Conakry dont deux gendarmes (à confirmer). La situation est suffisamment grave pour qu’il y ait une intervention de la communauté internationale et la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) en premier lieu. Je ne parle pas de la CEDEAO moins utile d’Alassane Ouattara, Faure Gnassimbé et d’Alpha Condé, mais de l’axe Dakar – Abuja - Niamey qui doit s’exprimer pour éviter un bain de sang en Guinée.

Quel rôle doit jouer le Sénégal dans cette affaire ?

La position du Sénégal peut être assez délicate, c’est vrai. Mais à travers sa diplomatie, il peut agir. D’autant plus qu’il y a une forte communauté guinéenne ici. C’est tout l’intérêt d’être très regardant sur la situation en Guinée. Lors des manifestations d’aujourd’hui (hier, NDLR), j’ai vu beaucoup de Guinéens déterminés à en finir avec le régime d’Alpha Condé. Si le Sénégal ne prend pas les dispositions nécessaires, il ne pourra pas faire face à ces jeunes, femmes et vieux décidés à rééditer cette sortie, si nécessaire.


DECLARATION DU CANDIDAT DE L’UFDG

‘’Maintenant, il s’agit pour nous tous de lutter pour défendre notre victoire’’

C’est dans ses habits de nouveau président que Cellou Dalein Diallo a lancé, hier, un appel sur les réseaux sociaux aux Guinéens. ‘’Je tiens d’abord à vous remercier pour la confiance que vous avez bien voulu porter en ma personne, en m’élisant dès le premier tour président de la République de Guinée. Beaucoup ont voté pour moi, parce qu’ils sont militants de l’UFCG ; d’autres parce qu’ils sont membres de l’Alliance nationale pour la démocratie (Anad). Mais beaucoup d’autres qui veulent l’alternance et sont contre le troisième mandat’’, a-t-il précisé d’emblée.

‘’Maintenant, il s’agit pour nous tous de lutter pour défendre notre victoire’’, a jouté le président de l’UFDG. Car ‘’elle est menacée par Alpha Condé qui n’a pas eu d’électeurs, mais qui a une armée de fraudeurs. Ils ont transformé les suffrages que vous avez exprimés en notre faveur, en faveur d’Alpha Condé. Nous ne devons pas l’accepter’’.

L’opposant affirme que sa formation politique, en association avec les autres partis qui sont membres de la coalition Anad, vient de publier les vrais résultats de l’élection du 18 octobre 2020, et ‘’elles montrent que votre candidat a été élu avec 53 % des suffrages exprimés dans les urnes’’.

Cellou Dalein Diallo a aussi exalté ses partisans qui se ‘’battent déjà de façon héroïque à Conakry et à l’intérieur du pays. Malgré la répression sauvage, les arrestations arbitraires, les intimidations, le combat sera inévitablement victorieux’’.

 Toutefois, il déplore la perte de beaucoup de compatriotes dans des heurts qui ont eu lieu dans les zones qui lui sont favorables. Tout en appelant les forces de l’ordre à la retenue.  Il promet vérité, justice et pardon, une fois installé au palais.

Lamine Diouf  

 

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