Lettre à Karim Wade
Je n'ai pas attendu que le sol se dérobe sous tes pieds et que la vindicte populaire se mobilise contre toi alors que Dame Justice se rapproche imparablement de ce qui te reste encore de liberté pour hurler avec les loups, nombreux, dont certains t'étaient très proches, te vénéraient même, ont été enrichis par l'influence que tu exerçais. Il y a déjà plus de trois ans, sous le titre 'Karim Wade : la face d'un pouvoir injuste', je publiais ici même un texte pour souligner combien les faveurs que ton père te faisaient étaient aux antipodes des normes républicaines. C'était à un moment ou tu étais au summum de ce qui te semblait sans doute être une puissance irrésistible quand seuls les chants des larbins te parvenaient aux oreilles. Tu étais devenu autiste.
Cynique et manœuvrier, toi, le petit banquier inconnu à Londres, te croyais soudain sorti de la cuisse de Jupiter. Aux gens qui venaient voir ton père de Président de la République d'alors, tu imposais ta présence, en entrant sans te faire annoncer dans les salles d'audience ou il recevait ses hôtes. Comme pour leur dire : ''rien ne se décide ici sans mon accord'. Toi, qui n'avais jamais été au front du combat démocratique, en particulier pendant les périodes chaudes, qui n'avais jamais osé te faire remarquer quand ton père, simple opposant pestiféré, rencontrait les rares interlocuteurs venus lui rendre visite, toi, le discret, devenais du jour au lendemain omniprésent, omnipotent, pour tout dire encombrant. Tout l'espace du vrai pouvoir te revenait.
Au départ, il ne devait pas en être ainsi : ta vie, nous avait-on dit, serait consacrée à tes activités hors du pays. Etait-ce une comédie ? Aux premières heures de l'alternance démocratique de l'an 2000, ta longiligne silhouette et tes yeux froids étaient rarement visibles dans les allées du pouvoir que venait de conquérir ton père. Mais vite, très vite, tout changea. J'en eus le pressentiment lorsqu'au début de l'an 2002, voyageant sur le même vol de Londres à Paris, tu vins m'annoncer triomphalement que tu allais créer un 'fonds d'investissements'.
Tout alla très vite. La même année, quelques mois plus tard, rencontrant ton père à Davos avec des partenaires hollandais venus proposer au Sénégal la construction d'une raffinerie, quelle ne fut ma surprise de l'entendre, après s'être félicité à haute voix du projet, me souffler, d'une voix impuissante : 'il faut en parler à Karim sinon je ne peux rien faire'.
A partir de ce moment, je compris que quelque chose de grave se tramait. Il est vrai que je n'avais aucune raison d'être optimiste concernant le magistère de ton père. Puisque peu avant l'alternance de l'an 2000, l'ayant vu se transformer en apprenti, en pleine nuit, pour pousser sa voiture, simulant une panne, afin de mieux négocier avec des interlocuteurs venus chez lui, j'avais deviné l'autre part de l'ombre chez lui. Que je ne tardais pas à découvrir en toi.
Au fil des années, transformant le Sénégal en propriété privée, multipliant les détours pour privatiser les ressources nationales, traire le pays jusqu'à ne plus laisser de sources possibles de développement, tout en souriant et rejetant les accusations contre ta personne, tu étais devenu l'épicentre du pillage de la nation. Plus les années passaient, plus ton cynisme devenait encore plus intense. Il est vrai que tu étais aidé dans ta besogne par de nombreux compatriotes dont la profession exigeait qu'ils fussent plus regardants sur les méfaits qu'ils t'aidaient à faire. Parmi eux, tous les membres de ton cabinet. Ceux de ton innommable Génération désormais défunte. Ou encore des cadres de l'Administration et du secteur privé, dans tous les domaines - notaires, avocats, comptables, etc.
Au sommet de la pyramide, se trouvait ton père. Celui qui s'était fait élire en désespoir de cause par les Sénégalais qui avaient fini par s'imaginer qu'ils ne leur montreraient pas sa face hideuse, celle du diable qu'ils lui avaient longtemps collée, mais la démocratique, avait fini par leur prouver que leur premier sentiment était la bonne. Outrés par les limites du régime en place, qui se montre incapable de réaliser ses promesses tout en traînant des casseroles financières aussi tintantes que celles de nombreux autres dirigeants du pays de ces dernières années, certains Sénégalais, sous l'effet de la médiatisation de tes convocations par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei), ont certes commencé à éprouver un léger sentiment de sympathie à ton égard. Mais la vaste majorité de Sénégalais, découvrant l'ampleur des détournements de deniers dont tu t'es rendu coupable, n'en finissent désormais de se poser la seule question qui vaille : comment te faire payer ? Par la prison et par la récupération des deniers et biens de la nation !!!
Tu te sais pris. Et te voila soudain jouant les humbles. Ou encore devenant d'un seul coup un grand mouride qui s'en va à chaque occasion pleurnicher auprès du Khalife des Mourides au risque de le mouiller si jamais il consent à te couvrir. D'ailleurs, la communauté mouride doit dire clairement que ces déplacements pour se jouer de la justice doivent cesser. En clair, Karim, tu as semé le vent. Il te faut être prêt à récolter la tempête. Parce que les faits qui te sont imputés sont tellement graves, et je suis le premier à avoir l'intime conviction de leur bien fondé, que seule une punition à leur hauteur doit t'être infligée.
Le seul bémol que je voudrais y apporter est que cette sanction ne doit pas seulement s'abattre sur ta personne. Tous ceux qui ont participé au plus grand pillage jamais fait sur un pays africain post-indépendance doivent passer à la caisse et devant les barreaux : des pilleurs du Fesman à ceux qui ont transformé les sociétés nationales en caisses privées, ou encore les nombreux prédateurs qui ont surgi comme champignons en hivernage du fait du climat de complaisance voire d'encouragement à la prédation crée par ton père.
La sanction ferme est vertueuse. Sans elle, l'Allemagne actuelle n'aurait jamais pu surmonter les démons du nazisme qu'Hitler lui avait inculqués. Il a fallu que les puissances victorieuses de la deuxième guerre mondiale organisent à Nuremberg un procès sans appel pour montrer l'exemple et mettre sur leurs gardes les futurs nazillons. De la même manière, la bande de voleurs nés sous le Wadisme au pouvoir doit payer parce que les choses sont claires, les fautes commises évidentes. Sans doute, ce n'est pas la première fois qu'il y a des détournements de deniers au Sénégal. Mais en plus de la prescription pénale et de ce que Wade était arrivé au pouvoir pour opérer une rupture (Macky-Sall, est-ce que vous êtes laaaaaaaa ?), la réalité est que, malgré le visage de l'homme gentil et souriant, mouride et populiste que tu cultives, rien, absolument rien, ne doit faire oublier l'essentiel : tu as contribué plus que quiconque d'autre à casser le fragile équilibre de la nation sénégalaise en la dépouillant massivement de ses maigres ressources. Après toi, la liste pourra être ouverte, qui s'étend des attributaires de licences d'exploration pétrolière sans contrepartie pour la nation en passant par le bradage du Méridien Président, des milliards de Taiwan ou encore de la fameuse maison du Sénégal a New York financée par les contribuables sans leur avis ni aval..
Le Nuremberg Sénégalais doit être impitoyable pour servir de repère et de leçon sur la voie de la reconstruction éthique et juste de la démocratie et du développement national !
*Adama GAYE
Journaliste et consultant Sénégalais.