Lettre ouverte à Monsieur Youssou Ndour, ministre de la Culture et du Tourisme
Monsieur le ministre, cela fait maintenant au moins 6 mois que vous êtes ministre de la culture et du tourisme, une fonction politique qui vous apporte probablement beaucoup moins pour faire prospérer le pays et son image, comme votre notoriété internationale d’artiste aurait permis de l’espérer. Vous êtes-vous rendu compte maintenant que cela n’en valait pas le coup de privilégier le pouvoir politique, où le moindre écart ne vous est pardonné, au détriment de vos incontestables dons d’artiste et de votre génie musical qui vous ont fait ce que vous êtes ?
Sur ce plan de l’art, on ne vous connaît pas d’ennemis et nul ne conteste vos talents, qui vous ont ouvert toutes les frontières du monde et le cœur de l’humanité entière, tout en développant le prestige de votre pays, le Sénégal. Vous rendez-vous compte de l’immense frustration dans laquelle vos millions de fans sont plongés, en attente certainement de revoir revenir le « You » qu’ils aiment, le chanteur, le véritable ministre de la musique sénégalaise, l’ambassadeur du pays noir ?
Bien calé dans votre fauteuil de ministre, ne vous surprenez-vous pas, entre deux dossiers, de vous essayer à des arrangements musicaux en rêvant à des tonalités inédites, en psalmodiant de vieux succès de votre répertoire tout en esquissant des pas de danse à l’insu de votre secrétariat ? certainement qu’il vous arrive de mimer, au fond de votre bureau, quelques pas de danse aux sons inaudibles d’un mbalax de votre création…
Monsieur le ministre, ne vous rendez-vous donc pas compte que vous apportez au Sénégal infiniment plus en restant le chanteur de génie que l’on connaît que le ministre que vous êtes ? La puissance de l’art, le don révolutionnaire du chant surpassent chez vous le pouvoir politique qui ne vous apporte d’ailleurs ni plus de gain d’argent, ni plus de gloire, ni même la liberté de ton et d’action que l’on vous connaissait, mais, au contraire, vous demeurez la cible des politiques politiciennes et des combines de mauvais genres…
Ne vous rendez-vous donc pas compte que votre liberté de création et d’action d’artiste, actuellement en veilleuse, est infiniment plus précieuse que votre condition actuelle de ministre ? Ne vous rendez-vous donc pas compte que le statut de veilleur que vous avez admirablement honoré, qui vous a fait apparaître comme l’un des principaux garants de notre démocratie et des libertés civiques et politiques des Sénégalais, est davantage à préserver pour le combat toujours actuel et à jamais inachevé que cette fonction de ministre qui ne vous apporte rien, à moins qu’elle ne soit encore, pour vous, le prétexte ou un palier pour d’autres ambitions plus grandes de pouvoir ?
Ne vous rendez-vous donc pas compte que le Sénégal actuel a davantage besoin de vous, de veilleurs de votre trempe, que de politiciens ? Redevenez donc la voix forte des sans voix pour un Sénégal plus juste, plus moderne, plus libre… Ce n’est pas que vous ne méritez pas d’être ministre, fonction qui, depuis quelque temps, serait à la portée de n’importe qui, mais je pense que cela dessert davantage vos intérêts et ceux du Sénégal qu’il ne vous profite vraiment.
Monsieur l’Artiste, ne monnayez donc pas votre génie créateur pour d’illusoires rêves de pouvoir. Debout jusqu’au bout, vous l’avez toujours été, ne baissez donc pas le front et ne courbez pas l’échine maintenant que vous avez tenu haut l’étendard de la Liberté. Alors, Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps, après cette griserie de pouvoir politique, de faire disparaître le ministre pour que vive à nouveau l’Artiste ?
IBRAHIMA SOW
Maître de recherche, Directeur du laboratoire de l’imaginaire
IFAN Ch. A. Diop