Publié le 13 Dec 2019 - 04:03
LOUIS CAMARA, ECRIVAIN

‘’Il faut arrêter de politiser la littérature’’

 

Louis Camara était l’invité de l’un des panels de l’atelier sur le journalisme culturel organisé à Saint-Louis par l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif). En marge de la rencontre, il a partagé une partie de sa carrière d’écrivain avec ‘’EnQuête’’, notamment ses contes sur l’histoire des Yorubas.

 

Comment se porte la littérature à Saint-Louis ?

Elle se porte relativement bien bon an, mal an. Nous avons une petite association d’écrivains et nous avons une production locale intéressante. Il y a aussi un corpus littéraire intéressant. Depuis les années 1920, la littérature existe à Saint-Louis. Je pense à l’auteur des ‘’Trois volontés de Malick’’ publié en 1920 aux éditions La Rose de Paris. On pense souvent à ‘’Karim’’ publié en 1935, en parlant de premier roman saint-louisien, mais c’est un instituteur originaire de Gandiol qui est le premier à avoir écrit et publié un livre. Après ‘’Karim’’, il y a eu la guerre. C’est après cette dernière qu’a été publié ‘’Nini, mulâtresse du Sénégal’’. Cela a coïncidé avec le démarrage de Présence africaine. L’histoire de Saint-Louis est jalonnée par des œuvres littéraires. Pour moi, le roman emblématique de Saint-Louis est ‘’La Plaie’’ de Malick Fall. On a eu un prix du président de la République avec ‘’Signare Anna’’ de Tita Mandelo. Il y a une bonne vingtaine de romans qui ont pour cadre Saint-Louis.

Personnellement, qu’est-ce-qui vous a poussé à écrire ?

Cela est arrivé naturellement. J’ai toujours aimé griffonner. Quand j’étais un peu plus jeune, j’écrivais de petits poèmes comme tout le monde, sans songer forcément à une carrière d’écrivain. J’aimais juste ce mode d’expression. J’aimais bien la langue française qu’on nous a inculquée à l’école, même si ce n’est pas forcément notre langue maternelle. J’aime cette langue et c’est mon medium d’expressions littéraires. Je n’ai jamais publié d’œuvres avant 1996. C’est au cours de cette année que j’ai publié pour mon premier livre. Il est intitulé ‘’Le choix de l’ori’’ et a été couronné Grand Prix du président de la République pour les Lettres. C’était mon coup d’essais.

On vous connait plus comme nouvelliste que romancier. Qu’est-ce qui explique que votre choix soit plus porté vers l’écriture de nouvelles ?

Je suis beaucoup plus conteur que nouvelliste. J’ai écrit trois recueils de contes : ‘’Le choix de Lori’’ (réédition par Amalion, 2015), ‘’L’histoire d’Yéwa ou les pièges de l’amour’’ (éditions Xamal, 1998), ‘’Le tambour d’Orunmila’’ (Neas, 2003). Ce sont trois contes que j’ai puisés dans la mythologie yoruba dont je suis devenu, au fil des ans, un grand connaisseur. Les nouvelles sont venues après et c’est un regard personnel sur la société sénégalaise. Je les publiais dans la presse. Après, je les ai compilés dans un volume que j’ai intitulé ‘’Il pleut sur Saint-Louis’’ (Neas, 2007). C’est un ensemble de onze nouvelles. Je viens d’en faire une sous forme d’épisodes dans le journal ‘’Le témoin’’. Je l’ai intitulé ‘’Car rapide’’. Je pense que c’est pour cette raison que beaucoup de lecteurs me situent plus dans la nouvelle et c’est grâce à la presse et en particulier à mon ami Alassane Seck Guèye (Ndlr : journaliste au ‘’Témoin’’).

Mais vous vous considérez plus comme un conteur ; pourquoi le conte ?

C’est une disposition naturelle. Tout petit, je baignais dans le merveilleux, les contes. Ma mère voulait vraiment que je sois un grand lecteur, donc elle m’achetait des livres de contes. A l’école primaire, j’avais lu les ‘’Mille et une nuits’’ dans une version simplifiée, ‘’Les contes de Ségur’’. Au secondaire, j’ai continué à lire, mais des choses plus complexes comme ‘’L’odyssée’’ d’Homère. Je m’intéressais à la mythologie en général et j’ai adoré celle grecque. Je crois que mon intérêt a été récompensé, parce que j’ai découvert, une fois, sur un rayon de la librairie Sankoré qui appartenait à Pathé Diagne, un livre de mythologie yoruba et j’y ai trouvé mon bonheur. Je n’ai pas tout de suite compris le texte qui y était écrit. C’était originellement en yoruba et on l’a traduit en anglais. C’était sous forme poétique, parce que c’était des poèmes rituels, mais ça a créé un déclic chez moi. J’ai eu envie de transmettre quelque chose et c’est de là que l’idée m’est venue d’écrire un conte. Quand je l’ai fait, j’ai gagné un prix.

Cette première réussie a fait naître en vous ce grand intérêt pour la cosmogonie yoruba, au point d’écrire deux autres livres sur la question…

C’est la chance qui m’a été offerte de connaître cette cosmogonie qui a forgé mon intérêt. Le fait de gagner le prix le plus prestigieux du Sénégal sur le plan littéraire, grâce à la culture yoruba. Donc, naturellement, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à voir, à explorer. J’ai continué mes investigations sur la question. Le fait d’écrire sur une culture qui n’était pas la mienne m’a obligé à faire des recherches pour que le récit ait une cohérence culturelle. C’est ainsi que je me suis davantage intéressé à cette culture.

Nous sommes à l’ère du numérique et on peut avoir tout ce qu’on veut. J’ai commencé à fouiller dans Internet et quand j’avais la possibilité d’acheter des bouquins sur la culture yoruba, je le faisais. On m’en a beaucoup offert aussi, surtout mes amis nigérians. J’ai lu des bouquins de base qui m’ont permis de bien connaître cette culture qui est immense. Avec la traite des Noirs, beaucoup de Yorubas se sont retrouvés dans le Nouveau monde. Il y a une diaspora importante au Brésil et à Cuba où il y a une présence évidente de cette culture. Dans celle brésilienne, on y sent une forte imprégnation. La ville de Bahia est une ville africaine. Les cultes du candomblé (Ndlr : Le candomblé est une des religions afro-brésiliennes, un mélange de catholicisme, de rites indigènes et de croyances africaines) de Bahia sont une résurgence de la culture africaine. Il en est de même à Cuba. Il y a la santeria (Ndlr : religion cubaine dérivée de la religion yoruba) qui est une musique, un culte. La langue yoruba se parle à Cuba. Elle est mélangée à de l’espagnol. Les Cubains d’origine africaine, on les appelle ‘’Lucumi’’ et en yoruba, cela signifie ‘’mon ami’’. On voit bien qu’il y a une parenté évidente entre ces Cubains et les Yorubas. Il y a même des rituels qui sont utilisées à Cuba et qui le sont chez les Yorubas.

N’était-ce pas bizarre, au début, qu’un Sénégalais, originaire de Saint-Louis et qui a passé presque toute sa vie dans sa ville, puisse écrire avec autant d’exactitude sur la culture yoruba ?

Cela peut paraître singulier. Mais moi, je considère que c’est une expérience originale. L’écrivain est quelqu’un qui chercher à sortir de lui-même par l’imagination. Le voyage par l’imaginaire est aussi une forme de voyage. J’ai découvert cette culture par les livres certes, mais j’ai voyagé quand même. Je suis allé au Bénin et au Nigeria où se trouve le berceau du peuple yoruba. J’ai même rendu visite à un roi au Bénin, celui de Kétou, Ala Ketou, que Dieu ait pitié de son âme. Il m’avait reçu dans son palais. Il était très heureux, mais aussi étonné que moi, qui venait de si loin, m’intéressait à leur culture et que j’y consacre tant d’efforts. J’ai pris ensuite la direction du Nigeria. C’était une vraie épopée, parce que c’est un pays assez particulier. Je suis quand même arrivé à Ifé (Ndlr : vieille cité yoruba située au sud-ouest du Nigeria). Dans mes contes, je parle des villes yorubas et en particulier d’Ifé. Ifé est la capitale spirituelle des Yorubas traditionnalistes. J’ai pu visiter sur place. C’était merveilleux, parce que c’était la rencontre de l’imaginaire et du réel. Il y a eu une imprégnation qui s’est faite progressivement. L’écrivain togolais Kangni Alem a fait un article sur mon 3e recueil de contes intitulé ‘’Les tambours d’Orunmila’’ et il l’a titré ‘’Un Yoruba bien particulier’’. Alem est lui-même yoruba. Je fais partie d’eux maintenant.

Revenons au Grand Prix du chef de l’Etat pour les Lettres. Quel impact cela peut avoir sur la carrière d’un écrivain ?

Pour moi, il a essentiellement un intérêt de promotion.  Je pense que l’obtention du prix vous donne de la visibilité. Je pense que si je n’avais ce prix, peut-être que je serais resté anonyme. Ce prix lui a donné de l’éclat et a fait que la presse s’est intéressée à l’ouvrage. Il y a eu des commentaires, des comptes rendus, etc. Il est motivant, pour un auteur, de recevoir ce prix. C’est une très belle récompense. On est reçu par le président de la République ; pour moi, c’était Abdou Diouf. Une très belle cérémonie était organisée à Sorano. Cela restera un moment inoubliable dans ma vie. Dans tous les pays du monde où la littérature existe, ce genre de prix existe. Les prix ont une signification, même si, pour moi, un écrivain n’écrit pas pour gagner des prix. Il ne faut pas être un coureur de prix. Il faut écrire par passion. C’est quand même motivant de savoir qu’on peut être consacré, grâce à notre talent d’écrivain. Les prix ne rendent pas riches les écrivains, mais ils sont biens.

Vous avez été enseignant. Partagez-vous l’avis de ceux qui disent que les élèves ne lisent plus ou disons les Sénégalais ne lisent plus comme avant ?

Oui ! Il y a beaucoup d’éléments qui permettent de comprendre pourquoi il y a une baisse drastique de la lecture et du niveau de maitrise de la langue. Quand on ne lit pas, on ne peut pas prétendre bien écrire. Ce n’est pas possible. Pour être un bon écrivain, il faut d’abord avoir beaucoup lu. Il faut maitriser la forme. Un texte, ce n’est pas que des idées. La lecture est d’un apport inestimable. Elle aide à l’épanouissement intellectuel, à avoir l’information, la connaissance. Le premier élément explicatif de la baisse de lecture est pour moi l’arrivée du numérique. Les jeunes ont accès au virtuel et peuvent voir tout ce qu’ils veulent sur leurs tablettes. Cela fait un gain de temps énorme. Je me dis qu’ils sont jeunes et se disent que lire un livre de 400 pages est prenant, alors qu’on peut avoir une information en 5 minutes sur Internet.

Il y a, en outre, l’intérêt des ouvrages. Il y a l’obstacle de la langue. Les écrivains africains écrivent dans des langues qui ne sont pas forcément celles parlées majoritairement par les populations. Au Sénégal, on parle majoritairement français. Un écrivain ‘’normal’’ écrirait en français. Les ouvrages qui paraissent sont en français. Peut-être que les lecteurs jeunes ou moins jeunes ne s’y retrouvent pas ou ont des réactions de rejet, en se disant que cela ne les concerne pas. Ils peuvent se dire que c’est la culture des Français. Il y a des revendications identitaires. Il y a certains qui veulent qu’on leur parle de cultures plus africaines. Il y a donc des contenus ‘’répulsifs’’, même si, pour moi, une bonne littérature reste une bonne littérature, quel que soit le sujet. Le dernier élément, sans vouloir être méchant ou destructeur, est qu’il y a une quantité de mauvaise littérature, de sous-littérature qui paraît. On publie quand même n’importe quoi dans nos pays africains. Tout le monde peut se lever un beau matin, se faire éditer par je ne sais trop quel canal. Le marché est inondé d’ouvrages qui n’ont aucun intérêt littéraire et qui sont mal écrits sur le plan de la forme. Ils ne présentent aucun intérêt sur le plan stylistique. Sur le plan de la narration, il n’y a pas tous les critères pour faire un bon livre. Cela n’interpelle pas les lecteurs. Il faut que les écrivains songent à se surpasser et proposer de bons ouvrages. Pour moi, il vaut mieux rester un bon lecteur qu’un mauvais écrivain.

La Foire international du livre et de la lecture est un élément de promotion de la lecture. Pensez-vous qu’il est pertinent ?

J’avoue que j’ai quelques problèmes pour répondre à cette question, parce que cela fait longtemps que je n’y ai pas pris part. Avec la distance, il faut vraiment être motivé pour y aller. Je ne jette pas la pierre à la Fildak ; je trouve que c’est très bien. J’ai été à des éditions de cette foire que j’ai trouvées d’un intérêt moyen. Aussi, on a déjà tenté une décentralisation avec le Salon du livre qui doit normalement être itinérant. Il y a eu ici à Saint-Louis, dans ce cadre, des colloques, des rencontres, une exposition des éditeurs qui n’étaient pas tous contents, de ce que j’en ai entendu, parce qu’étant confinés dans un espace où il ne leur a pas été facile de présenter leurs produits. Ils ont déploré l’organisation. Mais quand même, un effort a été fait. Les problèmes sont-ils liés à l’insuffisance des moyens ? Pour organiser une foire, il faut des moyens. Il faut être sérieux.

Ensuite, il faut mobiliser les compétences. Il faut arrêter de politiser la littérature. Je ne vois pas pourquoi on plébiscite un écrivain parce qu’il est ministre de telle République. Qu’on dise qu’il est un grand écrivain parce qu’il a fait trente mauvais romans, alors qu’il y a de jeunes écrivains pétris de talent comme Fatou Diom, Mohamed Mbougar Sarr, etc. On ne les voit pas. Je ne suis pas le seul absent, encore que moi, je suis de l’autre génération. Je suis plus dans l’observation, car je n’aime pas cet espèce de ‘’je t’aime, moi non plus’’ entre les écrivains et les hommes politiques. Je trouve cela dégradant. Un écrivain est un défenseur de la liberté d’expression et de créativité. Il n’a aucune allégeance à faire aux politiques. Au contraire !

BIGUE BOB

 

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