Publié le 17 Aug 2013 - 16:20
MADIÈYE MBODJ, PORTE-PAROLE YOONU ASKAN WI

 ''L’unification doit être un tremplin pour surmonter nos faiblesses''

 

En prélude à la journée de réflexion que son parti organise ce dimanche à Dakar pour élargir sa fusion avec le Mouvement Ferñent, le porte-parole de Yoonu askan wi, Madièye Mbodj, aborde avec EnQuête les obstacles qui plombent l'unification des forces de gauche. Néanmoins, M. Mbodj est d'avis que les partis de gauche sont condamnés à mettre en commun leurs capacités théoriques, idéologiques et organisationnelles pour en faire une véritable force électorale à même de conquérir le pouvoir.

 

Quel est le sens et la portée de la fusion intervenue le 28 juillet dernier entre le parti Yoonu askan wi et le mouvement Ferñent ?

L'idée de l'unification des forces de gauche est un vieux projet. Cela fait plusieurs années que les gens discutent sur les voies et moyens d'unification de la gauche. Pour ne pas remonter très loin, la dernière grande initiative remonte entre 2005-2006 avec le mouvement des assises de la gauche. Mais ce projet a buté sur les élections de 2007. Puis, il y a eu le Comité national préparatoire des Assises nationales de la Conférence nationale de la gauche (CNP/CNG) qui a pris le relais des assises entre 2009 et 2011. Malgré cela, nous nous sommes rendus compte que la dynamique n'avançait pas tellement. C'est pourquoi, nous, Ferñent et Yoonu askan wi, avons développé un certain nombre d'initiatives à la base. Ainsi, nos militants et nos responsables se sont rencontrés et ont travaillé ensemble à Tambacounda, à Louga, à Richard Toll, etc. Et cela nous a permis d'éprouver la qualité des relations entre les deux partis de même que la profondeur de nos convergences politiques et idéologiques. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes dit, Ferñent et Yaw vont montrer aux autres forces de gauche que c'est possible de s'unifier tout en restant ouvert aux autres. C'est un premier pas dans le sens de l'unification des forces de gauche. Aussi, nous voulons que ce soit un déclic pour que l'ensemble des forces de gauche soient interpellées par la nécessité de la fusion. Il ne s'agit pas de fusionner pour fusionner, mais fusionner pour constituer une force politique capable de peser sur les destinées d'un pays.

 

Qu'est-ce qui, selon vous, entrave l'unification de la gauche sénégalaise ?

Nous pensons qu'il y a à la fois des raisons objectives et subjectives. Les raisons subjectives sont souvent liées au problème de leadership, de personnes. Cela est parfaitement normal car nous sommes tous des êtres humains. Néanmoins, nous pensons que ces problèmes doivent absolument être secondaires par rapport aux enjeux de l'heure. Si nous avons tous la conviction que nous voulons servir notre pays, notre continent africain, alors nous devons dépasser le clivage des personnes. Il y a aussi des problèmes historiques liés aux trajectoires et à l'histoire de chaque parti, de chaque organisation, qui ont cristallisé des divergences réelles. Et celles-ci n'ont pas été faciles à surmonter. En résumé, il existe deux sortes de problèmes de fond qui ont entravé la marche de l'unité : l'opportunisme de gauche et l'opportunisme de droite. Souvent, la gauche a été sectaire. Pour un rien, on scissionne et chacun crée son groupe ou sa chapelle. Ou encore, on va s’aligner sur les positions de Moscou, de Pékin au détriment des réalités de notre pays et de notre continent. C'est une tendance au sectarisme. Ce que je peux appeler le sectarisme infantile. En outre, il faut relever les déviations opportunistes de droite, c'est-à-dire des intérêts étroits. Chacun pense qu'il doit privilégier ses propres intérêts au détriment des autres. C'est ce qui est arrivé après l'alternance de 2000. Nous avons été à la base de la création du pôle de gauche qui a porté au pouvoir  Abdoulaye Wade. Mais une fois l'alternance du 19 mars intervenue, chaque force a plus ou moins essayé de faire ses petits calculs, pour voir combien de ministres, de députés ou de directeurs généraux, elle obtiendrait. Évidemment, Abdoulaye Wade, intelligent politique, a su profiter de ces divergences d'intérêts pour fragiliser la gauche. En plus de ces faiblesses, nous pouvons mentionner une connaissance limitée des réalités du pays à savoir l'histoire et la culture du pays. Et cela affaiblit notre ancrage au sein des masses populaires. Et si on a un faible ancrage, très facilement on tombe dans de petites querelles de leadership.

 

Sera-t-il facile d'unifier la gauche au regard des difficultés qu'elle rencontre ?

Je ne crois que cela sera une tache facile au regard des différentes faiblesses que je viens de soulever. C'est pourquoi nous disons qu'il faut prouver le mouvement en marchant. Que ceux qui sont prêts à s'unir, s'unissent sans attendre. On ne peut pas avoir la prétention d'unifier dans un seul parti toutes les forces de gauche. C'est utopique et illusoire. Mais, il est possible que les partis et les organisations qui ont une convergence forte  autour des questions majeures s'unissent pour devenir une force politique. Il faut aussi que la question de l'unification soit articulée à la problématique de la refondation de la gauche. Qu'est-ce que la refondation ? Cela veut dire que nous devons nous interroger sur ce qu'est la politique, comment faire la politique autrement pour que les masses ne se détournent pas de la politique. C'est-à-dire, donner un sens à la politique et repenser nos formes d'organisations et de liaisons avec les masses populaires.

 

La gauche sénégalaise n'a jamais dépassé le cap des 2% toutes élections confondues. Qu'est-ce qui l'explique ?

Je crois que là aussi, plusieurs facteurs expliquent cette situation. La gauche n'a souvent pas eu un projet articulé autour d'une stratégie électorale. Si je prends l'exemple de notre parti qui est issu d'un courant de gauche créé au milieu des années 1970, ''Rénou Rewmi'', quand nous avions mis en place ce mouvement, notre préoccupation n'était pas de nous préparer aux élections. Nous étions dans une dynamique de conquête du pouvoir par la lutte armée. Car, à l'époque, il n'y avait presque pas de liberté. Les gens étaient contraints de lutter dans la clandestinité, les partis étaient interdits. Dès 1960, le Parti Africain de l'Indépendance (PAI) qui a été la première force marxiste de ce pays organisée, a été brutalement agressé et interdit. Ces répressions qui se sont abattues très tôt sur la gauche, ce manque de démocratie a fait que la gauche a été habituée à des formes de luttes clandestines et n'a pas préparé des élections pour les gagner. Mais, c'est l'histoire. C'est un héritage qui est encore là. C'est une faiblesse qu'elle n'a pas pu surmonter car après, il a fallu s'adapter à un nouveau contexte où, au lieu de préparer une lutte armée, il faut préparer une élection. La gauche n'a pas été suffisamment préparée à ce changement de paradigme. Il y a aussi l'insuffisance d'ancrage des masses populaires. La gauche a souvent eu beaucoup d'influence auprès des mouvements syndicaux, d'enseignants, d'étudiants, de travailleurs en général. Mais, elle n'a pas su transformer cette influence en force électorale. C'est pourquoi la gauche doit mettre en commun ses capacités théoriques, idéologiques, organisationnelles en force électorale pour en faire une puissance en vue de conquérir le pouvoir.

 

Pensez vous que l'unification permettra à la gauche d'avoir une place au sein des masses populaires ?

L'unification est un instrument, un moyen. Mais pas le seul. Si on met ensemble nos forces, notre implantation, nos réseaux, nos ressources humaines, logistiques, financières, nous serons plus forts. Mais cela ne suffit pas pour gagner des élections et diriger le pays. Il faut que cette unification soit un tremplin pour que l'ensemble des faiblesses que nous avons traînées jusque-là soient surmontées.

 

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