Publié le 21 Oct 2015 - 02:59
MOUSSA DIAW, ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCE POLITIQUE A L’UGB

‘’Le duel Wade-Fada risque d’ouvrir un boulevard à Macky Sall’’

 

La crise de leadership qui secoue le Parti démocratique sénégalais (Pds) depuis plus d’une année tournerait à l’avantage du président de la République, Macky Sall. Selon Moussa Diaw, celle-ci risque d’ouvrir un boulevard à Macky Sall dans la perspective des prochaines échéances si les libéraux n’y prennent garde. Dans cet entretien avec EnQuête, l’enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis estime que la situation que traverse le Pds va compliquer davantage son retour aux affaires.

 

Une guerre libéro-libérale s’est récemment déclarée à l’Assemblée nationale pour le contrôle du groupe parlementaire des libéraux et démocrates. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Le spectacle qu’ils ont donné à l’Assemblée nationale ne grandit pas la démocratie sénégalaise. C’est vraiment désolant de voir cette situation de tiraillement entre parlementaires pour la constitution d’un groupe parlementaire. Normalement, la constitution d’un groupe se discute au sein des partis politiques et puis on trouve un consensus pour mettre quelqu’un à la tête du groupe. Cela ne devrait pas poser un tel débat entre parlementaires du même bord. Cela ne grandit pas la démocratie sénégalaise. Maintenant il faut dépasser cela et tourner complètement cette page.

Mais cela dépend du comportement des députés. L’image que les députés donnent à chaque fois ne correspond pas à ce qu’on espère d’un parlementaire et de ce que représente la fonction de parlementaire en termes de représentativité, en termes d’image et d’acteur politique qui doit jouer un rôle pour être très vigilant sur la situation des Sénégalais, et essayer de le résoudre à travers des discussions parlementaires. Mais ce qu’on a vu, c’est de la politique politicienne qui n’a pas du tout sa place à l’Assemblée nationale.

N’y a-t-il pas, selon vous, une transposition du différend politique opposant Abdoulaye Wade à Modou Diagne Fada du Pds à l’hémicycle ? 

C’est possible bien entendu, comme il n’y a pas d’entente. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on sent bien qu’il y a une instrumentalisation politique des uns et des autres. Parce que Modou Diagne Fada était le chef du groupe parlementaire libéral et bien entendu, compte tenu de ses positions politiques, on a voulu lui faire la guerre. Pour cela, on a instrumentalisé les gens au sein du parti et  ceux de l’hémicycle pour essayer de le déstabiliser. Ce genre de pratiques est récurrent au sein du Pds mais également au sein du landerneau politique sénégalais. Ce n’est pas une première. On l’a vu quand Macky Sall était président de l’Assemblée nationale, on a vu ce que cela a donné quand il n’était plus d’accord avec Me Abdoulaye Wade. On a vu comment il a été destitué, comment on a instrumentalisé les gens. On retrouve le même jeu, c'est-à-dire des rivalités politiques au lieu de s’intéresser aux enjeux de la fonction parlementaire. C’est dommage.

Comment appréciez-vous la situation qui prévaut au niveau du Pds ?

Je pense qu’il y a d’abord une rupture au sein du Parti démocratique sénégalais (Pds). Cette rupture est due à des batailles de positionnement au sein du parti, des rivalités entre différents leaders et surtout au secrétaire général national, Abdoulaye Wade qui ne veut pas réorganiser le parti. De ce point de vue, ce parti risque d’aller en lambeaux compte tenu des rivalités entre les différents leaders qui ont une certaine position de pouvoir au sein du parti. Et le problème qui va se poser maintenant, c’est que, compte tenu de cette rivalité, cette opposition frontale entre deux leaders notamment Modou Diagne Fada et Aïda Mbodji, va davantage renforcer les clivages entre les différents mouvements au sein du parti.

Cela va affaiblir profondément le parti. Et l’appel qu’avait lancé Abdoulaye Wade d’une union de toutes les forces d’opposition pour s’opposer au président Macky Sall, en même temps organiser leur revanche pour une autre alternative, risque d’être un non-évènement compte tenu des pratiques politiques qui sont en cours. Cela risque de fragiliser toute cette entreprise. Et la démocratie va accuser un coup dur compte tenu de cette fragilisation de l’opposition. Le résultat, c’est qu’on risque d’ouvrir un boulevard au président de la République, Macky Sall. Cette situation va compliquer davantage le retour de l’opposition au pouvoir pendant longtemps.

Quelle lecture faites-vous de la posture d’Abdoulaye Wade dans tout cela ?

Vous savez, il n’y a pas de démocratie au sein de ces partis. On peut faire la comparaison avec d’autres partis ailleurs. Regardez ce qui se passe au niveau de l’extrême droite en France. On a exactement les mêmes enjeux, la même similitude au niveau des pratiques politiques, c'est-à-dire cette gouvernance d’un parti politique par un seul leader qui prend toutes les décisions, qui n’accepte pas de partager les parcelles de pouvoir au sein du parti.

Le résultat, c’est que finalement, le parti va s’affaiblir. C’est ce qu’on retrouve au Pds où le leader, le président Abdoulaye Wade devait, compte tenu de son âge, tirer des leçons pour demain, accélérer la relève, accroître la position de pouvoir des différents leaders au sein de son parti parce qu’actuellement il y a plusieurs courants. Il faut donc faire en sorte de les fédérer, cristalliser tout cela autour d’un éventuel leader qui émergerait au sein du parti et faire en sorte que le parti puisse se reconstituer et retrouver ses forces. Mais maintenant, je pense que cela risque d’être peine perdue puisque ça va ouvrir la guerre entre les différents éléments de son parti.

Et Abdoulaye Wade ne leur rend pas service même avec les reproches qu’il leur a faits parce qu’ils n’ont pas beaucoup mouillé leurs chemises comme il dit, pour sortir son fils de la prison. Il ne faut pas le faire parce que rien ne les encourage et qu’il faut une contrepartie. Et cette contrepartie n’est pas visible, il n’y a pas un geste politique permettant justement à ces leaders d’avoir la force de s’organiser et de revenir au pouvoir.

Et le comportement de Modou Diagne Fada dans tout cela ?

Modou Diagne Fada est soutenu par une force, il a un courant. Il ne veut pas être humilié puisqu’il y a une stratégie pour l’affaiblir parce qu’on sait qu’il représente une force au niveau du Pds. Une force qui d’ailleurs ne fait pas trop allégeance à Abdoulaye Wade, qui n’est plus contrôlée. Elle ne répond plus aux directives d’Abdoulaye Wade et se positionne de plus en plus. Modou Diagne Fada a une équipe et ne va pas baisser les bras. Il va continuer ce combat parce qu’il sait qu’il y a un gain à capitaliser sur le plan politique. Pour son avenir, c’est important de se positionner de cette façon et d’avoir des principes qui vont guider ses actions politiques. Je trouve cela tout à fait normal par rapport à sa position, à sa trajectoire et par rapport aussi au discours qu’il tient. Il y a une cohérence dans son discours et il y a une logique politique qui le pousse justement à adopter cette posture au sein de son parti et au niveau de l’échiquier parlementaire de l’opposition.

Cette fronde qu’il a initiée a amené son parti à prononcer son exclusion même si cela ne lui a pas été officiellement notifié. Pensez-vous que Fada accepte si facilement d’être exclu du Pds ?

C’est dans la logique de la guerre au sein du parti. Il faut attendre qu’il y ait cette notification officielle pour lui permettre de réagir en saisissant la justice certainement. C’est ce qu’il attend. Il ne va pas se baser sur des rumeurs, sur des propos qui ne sont pas officiels ou qui sont peut-être utilisés pour jouer sur les nerfs. Je pense qu’il est assez fin pour tenir compte de tout cela et attendre cette notification officielle afin de saisir la justice.

Il est dans une dynamique, si jamais son exclusion lui est notifiée, de convoquer un congrès du parti. Ne risquons-nous pas d’assister à une situation similaire à celle d’Aj/Pads sous le règne d’Abdoulaye Wade ?

Je pense que si on l’exclut, il va créer un autre parti et puis il va y avoir des conséquences énormes aussi bien au niveau de son mouvement qu’au niveau du Pds qui va se fissurer davantage, qui ne sera plus représentatif. Et je pense que la logique aurait dû être – et là je pense qu’ils n’ont pas tiré les leçons de leur défaite- une bonne occasion pour reconfigurer le parti, quitte à lui donner un autre nom. Parce qu’en termes de représentation, en termes d’image et de communication politique, cela compte. On a vu en France comment le parti de Nicolas Sarkozy a changé de nom. Ils sont devenus les Républicains parce que les Français avaient retenu l’Ump comme étant un parti qui n’a pas réussi son programme politique. Alors il y a eu une reconversion et un changement stratégique de nom. Le Pds devait penser à cela, changer de nom et puis construire une stratégie qui lui permettrait de revenir. Mais cela doit se faire en fonction des objectifs et en fonction du programme. Tel n’est pas le cas aujourd’hui parce que Wade n’a pas voulu de cela et ça m’étonnerait que cela puisse émerger en l’état actuel de la situation.

Modou Diagne Fada en dehors du Pds, quel peut être son avenir politique ?

Modou Diagne Fada est encore jeune. Il peut encore mobiliser et il y a des gens avec lui. Il va construire une équipe et il va mener le combat politique. Il fera alliance avec d’autres pour se positionner dans l’espace politique sénégalais.

Y-a-t-il des chances pour qu’il s’allie avec Macky Sall dès lors que ses camarades libéraux le soupçonnent d’être de mèche avec le régime ?

Je ne pense pas qu’il soit de connivence avec le régime. Ce sont des allégations qui ne sont pas du tout fondées. On tient quand même de son discours la cohérence qu’il y a, les propos, les positionnements, ses déclarations. Je ne pense pas qu’il puisse avoir une certaine faiblesse pour aller avec qui que ce soit. Je pense qu’il est cohérent avec lui-même, il sait ce qu’il veut et est en train de construire une ligne politique qui va dans le sens d’un positionnement et d’une stratégie de lutte politique qui soit différente de ce que ses adversaires pensent de lui.

Au-delà du Pds, quelles peuvent être les conséquences de cette situation dans le landerneau politique sénégalais ?

Le Pds va être en lambeaux, il va s’affaiblir et l’espoir de revenir au pouvoir va s’éloigner. Il va y avoir une recomposition. Et au niveau de l’opposition, ce sera la faiblesse, la dispersion et la récupération éventuellement parce que ceux qui seront faibles vont tenter la transhumance ; d’autres resteront pour essayer de s’organiser, de s’opposer en constituant un groupe d’opposition solide qui pourrait faire face à la majorité présidentielle.

PAR ASSANE MBAYE

 

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