‘’Idrissa Seck cherche à faire le buzz et à s’attirer les foudres du pouvoir’’

La 122e édition du ‘’Magal’’ de Touba a vécu. Une occasion saisie par les hommes politiques sénégalais pour se ruer en masse vers la ville sainte. Parmi eux, le leader de Rewmi s’est fait distinguer par ses déclarations renversantes qui ont secoué le pouvoir. Pour le politologue Papa Fara Diallo, Idrissa Seck est un habitué des faits, qui cherche à déstabiliser le pouvoir.
Le ‘’Magal’’ de Touba a enregistré la visite de beaucoup de leaders politiques. Quelle est actuellement l’influence de cette confrérie dans la vie politique sénégalaise ?
Depuis la première alternance de 2000, on a senti que le contrat social sénégalais reposait sur une forme de marchandage entre les confréries religieuses et l’Etat du Sénégal. Ce marchandage basé sur les consignes de vote que délivraient les confréries religieuses en faveur des hommes politiques est devenu caduc. La caducité de ce type de contrat social n’enlève en rien le pouvoir symbolique des confréries religieuses. Celles-ci ont gardé le pouvoir de légitimation qu’ils avaient dans le passé. Cette légitimation est recherchée par tout homme politique, que cela soit du pouvoir comme de l’opposition. C’est ce qui explique cette ruée des hommes politiques vers Touba, à chaque ‘’Magal’’. Ils essayent de s’afficher au côté de la confrérie. L’enjeu étant d’être reçu avec les honneurs par les dignitaires de cette confrérie. Le but est de montrer à l’électorat mouride qui est un électorat assez discipliné, même si le ‘’ndigël’’ n’est plus assez opératoire, qu’ils partagent la même ferveur du ‘’Magal’’. En retour, ils espèrent en tirer des retombées politiques en termes de voix et de légitimité.
Parmi ces visites d’hommes politiques, celle d’idrissa Seck a marqué les esprits par la véhémence de ses critiques et par le fait qu’il avait déserté la sphère politique depuis un moment. Pourquoi a-t-il, selon vous, choisi le ‘’Magal’’ pour faire cette réapparition ?
Cette sortie est assez atypique, mais ce n’est pas nouveau. Idrissa Seck est un homme politique qui a perdu beaucoup de légitimité au niveau de l’électorat, depuis les affaires des ‘’chantiers de Thiès’’. Il a l’habitude de jouer sur les discours de victimisation. Le président Wade avait dit : ‘’Idrissa Seck, c’est moi qui t’ai fait, c’est moi qui vais te détruire politiquement.’’ On peut dire que Me Wade a réussi à semer la zizanie dans la tête des Sénégalais sur la constance de l’homme politique Idrissa Seck. Après la présidentielle de 2007, il avait organisé un grand meeting a Thiès pour renouveler son compagnonnage avec Wade. Idrissa Seck avait dit : ‘’Me Wade et moi, c’est comme la pierre et l’œuf.
Moi qui suis l’œuf, si je tombe sur lui je me casse et s’il tombe sur moi aussi, en tant que pierre, je me casse.’’ Aujourd’hui, les Sénégalais ont du mal à s’accrocher à un discours cohérent de la part d’Idrissa Seck. Mais depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, Idrissa Seck a pris un recul dans sa manière d’être présent au-devant de la scène. Néanmoins, il a des lieutenants assez jeunes, très structurés et très cohérents, comme le docteur Abdourahmane Diouf, Déthié Fall, Thierno Bocoum… qui sont très présents dans les médias et font dans la vraie communication politique. Idrissa Seck attend des événements comme le ‘’Magal’’ de Touba pour faire des déclarations fracassantes. Il essaye de montrer aux populations qu’il est toujours présent.
Cette sortie n’a pas laissé de marbre le pouvoir. Peut-on dire qu’Idrissa Seck a eu l’effet escompté ?
Le pouvoir n’a pas encore compris la stratégie de communication d’Idrissa Seck. A chaque fois qu’il fait des déclarations de ce genre, la majorité riposte à la hauteur de la virulence de ses propos. Son objectif était de pousser le pouvoir à verser dans la cacophonie communicationnelle. Les Sénégalais vont en un moment donné se perdre dans cette forme de communication de riposte venant de la Présidence de la République. Même un communiqué n’était pas nécessaire de la part de la majorité pour essayer de remettre Idrissa Seck à sa place.
Les Sénégalais ont compris qu’il est en perte de visibilité et même ses jeunes lieutenants ont une communication beaucoup plus intéressante que la sienne. Il cherche à faire le buzz et à s’attirer les foudres du pouvoir. Défendre Macky Sall et son bilan, ce n’est pas répondre à des attaques lancées par les hommes politiques de l’opposition. Le pouvoir et l’opposition ne doivent pas avoir le même style de communication. La communication gouvernementale doit être axée sur le bilan. Les membres du pouvoir ont intérêt à axer leur communication sur les actions du gouvernement. Ils doivent prendre du recul et laisser Idrissa Seck dans sa quête de légitimité. Sur le terrain politique, par contre, on peut comprendre que Rewmi et l’Apr s’affrontent.
HABIBATOU TRAORE (STAGIAIRE)