Publié le 11 Aug 2016 - 05:34
PORTRAIT COLONEL BIRANE WANE, ANCIEN AIDE DE CAMP DE SENGHOR

Le self-made man

 

A Kanel, les anciens le connaissent sous le nom de Birane Abdou Aziz Wane ; les jeunes sous celui de Colonel Wane. Agé aujourd’hui de 78 ans, il peut être offert en exemple aux jeunes du Sénégal en général et ceux du Fouta en particulier. Ces derniers l’ont d’ailleurs honoré, lors des 72h de la commune de Kanel. EnQuête revient ici sur le riche parcours aux multiples enseignements de l’homme qui fut Aide de camp du Président Léopold Sédar Senghor.

 

‘’Tout vient à point à qui sait attendre’’. Cet adage définit bien le parcours bien riche de l’ancien colonel de la gendarmerie nationale Birane Wane. Rien ne lui a été donné sur un plateau d’argent. Il s’est battu et s’est donné les moyens de ses ambitions pour réussir sa carrière militaire et sa vie sociale. Né le 15 septembre 1936 à Tivaouane d’un père commis expéditionnaire résidant dans cette ville sainte, il a fait l’école primaire à Ndioum, puis Kanel, avant de terminer son cycle à Bakel. Après l’entrée en Sixième, il a été orienté au collège technique André Peytavin de Saint-Louis. 

Décrit par son ‘’jumeau’’, l’ingénieur agronome à la retraite Amath Tidiane Wane, comme un brillant élève, le colonel Birane Wane se montre plus modeste. ‘’J’étais moyen à l’école primaire, les meilleurs sont orientés vers le lycée. C’était mon jumeau Amath Tidiane Wane qui était un garçon brillant. C’est pour cela qu’il a été orienté au lycée et moi au collège technique de Saint-Louis.  Et comme je n’étais pas le plus discipliné des élèves, on m’a mis à la porte’’, se souvient-il. Ce témoignage élogieux sur son jumeau démontre une des facettes de l’enfant de Kanel. Comme le reconnaît Amath Tidiane Wane, ‘’Birane n’est pas du tout envieux.’’

Ce qui explique sa promptitude à ne pas tarir d’éloges à l’endroit des autres. D’ailleurs, il trouve que d’autres enfants de Kanel méritent plus que lui qu’on leur rende hommage. ‘’Je suis très lié aux jeunes de Kanel vivant ici ou à ceux qui sont restés là-bas. Quand ils sont venus me voir pour me faire part de leur projet, je leur ai dit que je n’ai aucun mérite qui explique cela. Le seul mérite que j’ai par rapport à vous, c’est d’avoir des cheveux blancs. Il y a le premier maire de Kanel (ndlr : Amath Tidiane Wane) qui a mis tout sur orbite pour que les affaires marchent bien et c’est lui et des gens comme lui qu’ils devraient honorer. Ils m’ont dit : oui ! Mais c’était un oui faux. D’autres l’auraient mérité à ma place’’, estime-t-il modestement.

Mais l’ingénieur agronome à la retraite pense tout le contraire. ‘’Birane a régulièrement été dans toutes les réunions de fin d’année que tenaient les étudiants. Il n’est pas comme moi, parce que moi j’y ai été une fois. Pourtant, j’ai été maire de Kanel. Je les ai logés ces étudiants-là. Je les suivais de près. Ceux qui redoublaient, je ne leur donnais plus de bourses. Mais je n’assistais pas à leurs réunions. Birane était disponible. Il allait les voir. Quand ils avaient des problèmes, il essayait de les régler. Quand il y avait des assemblées générales, il était là. Il prenait la parole, discutait avec eux, leur donnait des conseils, des orientations’’, déclare Amath Tidiane Wane. Il était peut-être à l’aise, parce que, comme le lui reconnaissent ses proches, ‘’il a des talents d’orateurs hors pair’’.

‘’Grand intellectuel’’ et forte tête

Expliquant les raisons de l’attachement des étudiants au Colonel Wane, le diplomate à la retraite Birane Sada Wane confirme les propos de son jeune frère : ‘’Les jeunes de Kanel lui vouent une très forte admiration. Il faut aussi dire qu’il ne rate jamais une occasion de venir en aide aux jeunes du Fouta. Birane Wane est un très grand intellectuel’’, déclare le frère du ‘’grand ancien’’.  Oui, ‘’un très grand intellectuel’’ qui s’est fait au cours des années passées au sein de l’armée. Car, après son renvoi de Peytavin, il a été accepté au collège technique de Thiès. Il n’y a pas fait une année plus heureuse que celles passées à Saint-Louis. Agé de 19 ans alors, Birane Wane décide de ne plus perdre son temps sur les bancs. C’est ainsi qu’après une année sabbatique, il décide d’intégrer l’armée. ‘’Je n’avais ni le Bac, ni le BEPC. J’étais armé par l’envie et le courage en m’engageant dans l’armée’’, affirme-t-il. Mais cela n’a nullement constitué un frein à son épanouissement professionnel.

Audacieux, avec un plan de carrière bien défini, ce polygame et père de six enfants dessine les contours que doit prendre son passage dans l’armée, dès son engagement. Sans hésiter, il passe le concours professionnel pour être admis à l’école de formation des officiers ressortissants des territoires d’Outre-mer (EFORTOM). Il le passe avec brio en sortant major de l’examen au niveau africain. Et à l’école aussi, il était le ‘’grand manitou’’. ‘’Deux ans après, je suis sorti second. Mes fonctions de dirigeant ont fait que je suis sorti second’’, dit-il sur un ton de regret. Mais cela ne va enlever en rien son succès dans sa profession. ‘’Ce qu’en une carrière certaines personnes font, Dieu m’a permis de le faire en 4 ans’’, informe-t-il.

‘’L’affection’’ du Président poète

Affecté à Dakar en 1964, après sa sortie de promotion, le Sous-lieutenant va passer de services en services, avant d’arriver au Palais présidentiel en tant qu’Aide de camp du Président poète Léopold Sédar Senghor. Nous sommes en décembre 1973. Il y restera jusqu’en avril 1978. Pourtant, à l’époque, le Président changeait d’Aide de camp tous les 3 ans. Mais le Colonel Wane, lui, est resté au-delà du temps habituel. ‘’Je ne saurais vous dire pourquoi’’, se décharge-t-il avant même qu’on ne lui pose la question.

Mais ce qui est sûr, c’est qu’il aura marqué son passage auprès du Président qui, d’ailleurs, avait de l’affection pour lui. En témoigne cette anecdote que raconte le Président Diouf dans ses mémoires et que nous relate ici le Colonel : ‘’A l’occasion des visites présidentielles chez Césaire en Martinique, le Président Senghor lui a dit qu’il est avec son Aide de camp et voudrait qu’on prenne une photo ensemble. Déjà que quand ils ont terminé le déjeuner, ils ont été gentils de partager la table avec moi et quand ils ont voulu faire la photo de famille dans le jardin, ils m’ont pris entre eux et cette photo apparaît de temps en temps sur les écrans. J’en étais fier, d’être entre deux monuments littéraires. C’est Senghor qui m’a invité et Césaire n’y a vu aucun inconvénient.’’

Il se rappelle, lors de cette visite, avoir demandé à l’auteur de ‘’Cahier d’un retour au pays natal’’ à quoi il faisait référence dans son œuvre. Car, analyse M. Wane : ‘’le retour au pays natal, c’est l’Afrique. Ce n’est pas la Martinique pour moi. En tant qu’homme, ses origines et son parcours intellectuel, c’est ici’’. Césaire avait alors juste souri et n’avait pas répondu. Ce qui n’a pas été le cas avec Senghor, lors de leurs différents voyages. ‘’A Senghor, j’ai eu en diverses occasions la chance de lui poser des questions et d’échanger avec lui’’. Ce qui lui permet aujourd’hui de pouvoir parler de ce dernier en toute aisance.

‘’Senghor était d’une ponctualité déroutante’’

‘’Senghor, je l’appelais ainsi par affection, était imaginatif et percutant. Il était aussi strict, très compréhensif et très ouvert dans les rapports homme-homme. Senghor n’aimait pas voir les gens souffrir et cela le faisait souffrir de voir quelqu’un être privé de ses droits. Sur le plan de la stature présidentielle, il est un homme exceptionnel, pas dans le sens qu’il est meilleur que les autres, mais plutôt dans sa gestion même de la charge présidentielle. Il a fait montre de beaucoup d’imaginations. C’était un homme courtois. Il n’a jamais élevé la voix devant qui que ce soit, quelle que soit la situation.  Il était d’une ponctualité déroutante. S’il te donne rendez-vous à midi et un quart, il est prêt 1 heure avant. Il noie son attente dans des lectures diverses’’, se rappelle le Colonel Wane.

Cette anecdote explique sans doute l’attachement du Président Senghor à son égard. Un jour, raconte l’ancien Aide de camp, le Sénégal devait accueillir l’avion ‘’Concorde’’ qui faisait à l’époque Paris-Rio et exceptionnellement, cette fois-là, il devait faire Paris-Dakar-Rio.  Et ‘’une heure avant l’arrivée de l’avion, le Président Senghor est sorti de son bureau et m’a dit : commandant, on y va. Je lui ai répondu : où Président ? Il me dit à l’aéroport.

Je lui ai rétorqué : vos collaborateurs, en l’occurrence le Premier ministre, ne sont pas encore passés. Si vous y allez maintenant, vous y serez seul. Je pense que ce n’est pas indiqué. Il m’a dit : vous avez raison et est retourné dans son bureau jusqu’à l’heure prévue’’. Colonel Wane raconte que ce jour-là aussi, certains médias ont voulu profiter de la situation pour faire une publicité de l’avion, en utilisant l’image du Président sénégalais. Mais c’était sans compter avec sa détermination à refuser ‘’partout qu’on fasse de lui un jouet républicain’’. ‘’J’ai mis ma main sur l’objectif de l’une des caméras et j’ai dit à son propriétaire : faites à distance ce que vous devez faire, mais pas de gros plans sur le Président.’’ Ainsi, même s’il est décrit comme quelqu’un de calme, de sérieux et de pondéré, le colonel savait élever la voix quand il le fallait pour protéger ‘’son’’ Président.

‘’Tue-moi d’abord, ensuite tu passeras’’

Cette attitude protectrice avec le Chef de l’Etat, il ne l’adoptait pas qu’exceptionnellement. Il le vivait quotidiennement. ‘’Un jour, je suis allé au bureau du Colonel Wane et, regardant une porte, je lui ai demandé ce qu’il y avait derrière. Il m’a répondu ‘’le Président’’. Je lui ai demandé s’il était seul. Il m’a assuré que oui. Je lui ai alors demandé de me donner son pistolet afin que j’aille tuer le Président. Il m’a dit : ‘’tue-moi d’abord, ensuite tu passeras’’, rapporte Amath Tidiane Wane. Et si ce dernier retient de son jumeau qu’il est un homme de confiance, le Colonel Wane lui retient du Président Senghor sa sagesse. ‘’Il a été sage. Un très grand sage de l’histoire. Senghor est parti au bon moment, en laissant le terrain à de bons cadres. Il a laissé une succession sûre’’, témoigne-t-il.

Par ailleurs, si son compagnonnage avec le Président Senghor lui a permis d’acquérir plus d’expérience dans son métier, il ne lui a pas donné le temps d’accomplir un rêve ou plutôt de réaliser une volonté. Il a commencé à prendre forme après son départ du Palais. Mais avant, il a été adjoint au sous-chef d’État-major chargé des opérations. Ce n’est que plus tard qu’il a été affecté au Prytanée militaire de Saint-Louis, en tant que commandant de l’école. Il y fera un an. Seulement, ce passage, aussi bref soit-il, a marqué le Colonel Wane. ‘’On est commandant du Pytanée militaire un jour et on l’est pour toujours. De la même manière, un enfant de troupe un jour le reste pour toujours. Certains caciques du pouvoir actuel sont des anciens du Prytanée, donc mes élèves à moi. Je ne demanderai pas à les voir, c’est à eux, quel que soit leur niveau, de venir me voir. C’est à eux de me chercher, de venir me trouver’’, affirme-t-il.

D’autant plus qu’ils ont été de ‘’grands amis’’. D’ailleurs, il se rappelle que l’année de son passage au Prytanée, il y avait beaucoup de grèves dans les autres écoles. ‘’Mais au Prytanée, dit-il, ils ont fait un sit-in. Ils ont anticipé l’histoire’’. Ses élèves protestaient contre la qualité de la nourriture. Ils étaient tous assis devant l’une des allées où il passait pour rejoindre sa maison. ‘’Je suis sorti de mon bureau, je suis passé devant eux, je les ai regardés et personne n’a bougé. Une heure après, ils se sont dispersés. Il y avait une entente entre nous. C’est pour cela que j’ai toujours aimé et adopté les enfants de troupe’’, fait-il savoir.

Doctorat à l’université Paris 12 Val de Marne

Après le Prytanée militaire, le Colonel Wane a été affecté à Kaolack en tant qu’officier chargé des opérations à l’état-major général adjoint au comandant de cette zone militaire. Ensuite, il est allé à l’état-major où il a été nommé chef de cabinet. Il y est resté 12 années qui lui ont permis de terminer ses études. Après l’obtention de son BEPC, il lui manquait le bac. Et il tenait à terminer ses études. Car, comme il l’indique : ‘’J’ai ce regret de n’avoir pas réussi dans le scolaire, surtout que ce n’était pas faute d’intelligence.’’ C’est ainsi qu’il passe le concours spécial d’entrée en faculté à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et sort major de l’examen. Il est accepté au département de Lettres où il obtient une Licence. Pour la Maîtrise, il s’inscrit en Sociologie et s’oriente vers l’Anthropologie pour son Master 2.

Toutefois, son directeur de Master 2 ne veut pas qu’il  fasse un Doctorat. Mais c’est sans compter avec la ténacité du Colonel Wane qui, entre-temps, fait un accident. Il est transféré dans un hôpital de Paris pour des soins. Il trouve le temps et la force d’être accepté à l’université Paris 12 Val de Marne. ‘’J’ai fait ce qu’il fallait faire pour être sacré Docteur d’Etat’’, fait-il savoir. Et contre toute attente, comme il le relève lui-même, son sujet de thèse a porté sur l’Islam. ‘’Nous (ndlr les hommes de tenue) sommes réputés être peu commodes en matière religieuse. Moi, j’ai travaillé sur ‘’l’Islam au Sénégal : le poids des confréries ou l’émiettement de l’autorité spirituelle’’.

Cependant, son choix de sujet ne surprend pas son entourage direct. ‘’Moi, je suis devenu vraiment bon musulman entre 1980 et 1981, mais Birane lui prie régulièrement depuis la classe de CM1. Il est vraiment un bon musulman’’, témoigne Amath Tidiane Wane. 

BIGUE BOB

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