Publié le 4 Sep 2014 - 03:08
POST-POINT par MOMAR DIENG

Ecce homo, faux martyr, vrai délinquant

 

Qui l’eût cru ? Qui l’eût même imaginé ? Le Franco-sénégalais Karim Meïssa Wade, petit soldat sans grade de la 25e heure de l’alternance populaire de 2000, arrêté et emprisonné depuis dix-sept mois à Rebeuss pour enrichissement illicite et corruption, qui a l’outrecuidance de narguer les institutions de la République, au cœur même du pouvoir judiciaire, et qui s’en tire à si bon compte ! Il faut être au Sénégal pour vivre ce type de retournement et constater que l’individu en question s’en tire sans dégât. Pour le moment.

Ce qui choque, c’est justement ce travail méthodique de communication (mensonges inclus) consistant à déconstruire dans nos cerveaux la réalité de ce que fut Karim Wade dans un passé récent. Dans une autre vie. Super ministre d’Etat tout puissant exerçant, par connivence paternelle, familiale, clanique, un pouvoir presque suprême jusqu’à l’extrême limite de l’arrogance, cet homme et ceux qui le défendent veulent aujourd’hui nous rendre définitivement amnésiques, nous Sénégalais. Malheureusement, l’idée de ses communicants de le faire s’habiller systématiquement en vêtements traditionnels tout de blanc immaculé nous remémore les actes du requin d’hier emmitouflé dans ses costumes trois-pièces aux rayures de tigre en laine.

Comptes à rendre

Hier, même s’il ne le disait pas, il se voulait notre dieu à tous, le grand messie dont la charge était de jeter les pauvres Sénégalais dans une modernité qu’ils avaient du mal à imaginer en termes d’infrastructures, d’électricité, etc. Il était la pépite inespérée que son prophète de père s’acharnait, avec la perspicacité qu’on lui connaît, à transformer en moteur du développement national faute de trouver un prototype dans le Pds et au sein du peuple. Il était le meilleur de tous !

Ne l’oublions pas : Karim Wade était le Premier des Sénégalais, le plus diplômé, le plus intelligent, le plus beau, le plus digne de confiance, le plus réseauté, le plus imaginatif, le plus débrouillard… Aujourd’hui, avec l’épée de Damoclès judiciaire qui risque de l’envoyer en prison pour quelques petites années, on (re)découvre un homme qui manque suprêmement de courage pour refuser si perfidement d’assumer les conséquences d’une toute-puissance avortée. Devant le tribunal, la pièce de théâtre à ciel couvert et guichets plus ou moins fermés où il tente de se mettre en scène, avec une gestuelle peu spontanée et visiblement répétée à l’entraînement, renvoie aux mystères d’un homme à visage multiple rattrapé par des histoires. Celles de comptes à rendre.

Cinéma

Mais son cinéma, dans le registre des navets célèbres qui meurent sans archives, se comprend aisément : il est porteur d’une cause indéfendable, n’en déplaise à de talentueux avocats dont certains mériteraient le triplement de leurs honoraires. Dans la posture du muet qui est la sienne, son refus de répondre aux questions (dangereuses) du tribunal n’est pas éloigné de la tactique commode et souvent efficace des grands délinquants présumés pris en flagrant délit. Il est diablement valeureux, notre banquier fait prince par son père ! Hier encore, il s’accrochait à « papa » qui lui offrait tout sur un plateau d’or serti de diamants. Aujourd’hui, par un show grotesque et ridicule devant le tribunal, il n’éprouve aucune honte à lier son propre sort à celui du pauvre Bibo Bourgi, après qu’on lui a fait lire (encore) un texte politique. Mais de quoi est-il finalement capable, cet ex tout-puissant grand manitou de la République ?

Mis devant le miroir fidèle des responsabilités écrasantes qu’il exerçait encore avec arrogance il y a moins de trois ans, Karim Wade se débine. Et fait rire quand il se revendique « prisonnier politique », un statut bien trop élevé dont il n’a ni le profil, ni la mentalité, encore moins l’histoire. Le storytelling dont le « papa » a commencé l’écriture publique il y a quelques années serait plus crédible s’il était sous-tendu par un vécu un peu plus acceptable que les contes de fées qui jalonnent sa carrière.

Demande sociale

Son procès, une vraie demande sociale que les Sénégalais n’ont pas pu rejeter en si peu de temps malgré les errements coupables du pouvoir, aura-t-il lieu comme on le souhaite ? Sans doute pas ! En réalité, sur ce qu’ils ont montré en termes de blocages, d’artifices, de capacité de communication, Karim Wade et ses avocats n’ont peut-être jamais eu l’intention de répondre à une seule question du tribunal. La journée d’hier n’aurait été donc que l’ultime étape d’un échafaudage destiné à saboter un processus qu’ils savaient perdu d’avance, non du fait de la seule violation de procédures de droit, mais du fait des actes de gouvernance posés durant une dizaine d’années par l’ex-enfant gâté de la République qui tourbillonnait en jet à travers le monde.

L’une des rares certitudes que l’on peut avoir dans ce dossier, outre la nécessité de juge Karim Wade, est que si le tribunal commettait la suprême erreur d’autoriser l’autre franco-sénégalais Bibo Bourgi à aller se soigner hors du territoire national, il ne remettrait plus les pieds dans ce pays… Et Karim Wade n’en serait que plus à l’aise pour baliser les chemins de l’amnésie collective pour sa propre gloire.

 

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