Publié le 19 Jun 2018 - 03:01
PRODUITS RESTANTS SUITE A UNE MALADIE

Les médicaments encombrants

 

A la suite d’une maladie, nombreux sont les patients qui se retrouvent avec un tas de médicaments dont ils ne savent pas que faire. En l’absence d’un système de récupération, chacun y va de sa solution. ‘’EnQuête’’ a recueilli l’avis des pharmaciens et du ministère de la Santé sur la possibilité ou non d’une solution alternative.

 

Roger Gomis sort de sa chambre avec trois sachets de médicaments. Certains ont déjà été utilisés, mais il en reste encore. D’autres, par contre, n’ont jamais été touchés. Roger n’a plus besoin de ces tablettes, mais il ne sait pas quoi en faire. ‘’Je les garde juste parce que je ne peux pas les jeter. Ces médicaments ne m’ont pas été prescrits en même temps. Le grand problème qui se pose, c’est où les mettre, quand on ne les utilise plus’’, s’interroge Roger Gomis. Cette question, ce quadragénaire n’est pas le seul à se la poser. Ils sont nombreux, les Sénégalais qui sont confrontés au même problème. En fait, quand un malade va à l’hôpital, on lui prescrit des ordonnances avec plusieurs tablettes de comprimés. Dès que le patient se sent mieux, il arrête de prendre les médicaments. Le constat fait est que moins de la moitié, parfois même moins du tiers des médicaments sont consommés. Il en reste donc beaucoup entre les mains des familles. ''On devrait avoir une direction de réception des médicaments non utilisés. Parce que nous ignorons totalement quoi faire de ce qui reste’’, se plaint M. Gomis. Pour lui, c’est le système de santé qui doit être réorganisé.

Assane Dia est ouvrier. Il déplore cette prescription importante d’ordonnances de la part des médecins. ‘’Ce qui m’écœure dans tout cela est que, parfois, tu commences un médicament et on te demande de l’arrêter pour te donner un autre. Ils ne savent pas comment les gens se débrouillent pour avoir ces sous. En plus, il n’y a pas possibilité de revendre pour récupérer son argent’’, fulmine-t-il. Ce jeune homme se rappelle encore du temps où son papa a été interné pendant trois mois à l’hôpital. Presque chaque jour, il y avait une nouvelle ordonnance. ‘’Quand le vieux utilisait les médicaments, pendant deux à jours, on lui disait d’arrêter sans nous servir d’explications. Nous nous sommes retrouvés avec un tas de médicaments qui n’ont servi à rien du tout’’, peste-t-il. Sa maman a été obligée de jeter une partie à la poubelle. ‘’On ne pouvait pas continuer à les garder. Il devrait y avoir une possibilité de revendre. Parce qu’il y a des boites qu’il n’a même pas touchées. C’est vraiment dommage’’, se désole-t-il.

Le 1er janvier 2018, Oumar Hann a accompagné sa femme, sur le point d’accoucher, dans un hôpital de la place. Sur les lieux, après quelques heures de travail, une femme est sortie de la salle d’accouchement, un bout de papier en main. C’était une ordonnance. Elle la lui a remise avant de lui préciser : ‘’Nous sommes obligés de faire une césarienne à ta femme. Son temps de travail a trop duré.’’ Sans poser de question, le mari s’est rendu à la pharmacie. Juste à sa sortie de l’officine, son téléphone a sonné. Au bout du fil, la voix d’une femme lui annonçant que sa femme vient de mettre au monde un garçon. Sur le champ, il a rouvert la porte de la pharmacie pour rendre tout l’arsenal acheté. Mais c’était impossible. Le pharmacien a refusé de reprendre les médicaments et le kit. ‘’Je viens juste de sortir. Vous avez même entendu quand mon téléphone a sonné. Pourquoi vous refusez de reprendre les médicaments ? C’est injuste’’, a-t-il lancé au pharmacien.

De retour à l’hôpital, il n’a même pas parlé aux sages-femmes. ''Je pense que c’est de l’incompétence. Parce que la décision de faire une césarienne ne se prend pas sur un coup de tête. J’ai demandé à rencontrer le médecin-chef de la maternité. C’est le lendemain matin que je lui ai parlé. J’avais décidé de porter plainte, mais il m’a présenté des excuses, de même que les sages-femmes de garde’’, confie M. Hann. Une fois chez lui, il affirme avoir mis au feu tout ce qu’il a acheté. ‘’J’ai tout brûlé. Je ne vais pas garder tous ces médicaments et le kit de césarienne. C’est inutile’’, peste-t-il. Aujourd’hui encore, ce père de famille a du mal à avaler la pilule.

‘’Ma maison n’est pas une pharmacie’’

Oumar Hann n’est pas le seul dans cette situation. Très posée, Amanda Zalé explique avec amertume son histoire. On est en 2006. Tôt le matin, alors qu’elle vient de prendre sa douche, elle est prise d’un malaise et s’écroule sur le sol. Son mari est déjà parti au travail. Sa fille Anna, qui attend sa maman pour prendre ensemble le petit-déjeuner, ne la voit pas venir. Les minutes passent, elle n’apparait toujours pas. Elle l’interpelle : ‘’Maman, je vais être en retard. Descend’’, s’écrit-elle. Mais elle ne reçoit pas de réponse. Elle emprunte alors les escaliers pour aller s’enquérir de la situation. Dans la chambre, elle la trouve à terre. Elle se met à crier au secours et appelle son père. Les voisins arrivent en premier et la conduisent à l’hôpital. ‘’J’ai passé un mois à l’hôpital. Quand je suis sortie, il y avait beaucoup de médicaments que je n’ai pas touchés. J’ai demandé à ma petite sœur de les rendre à la pharmacie où on les avait achetés avec ordonnances et reçus à l’appui. Mais ils ont catégoriquement refusé’’, raconte Mme Zalé. A ce lot de médicaments, s’est ajouté un autre destiné à ses enfants. ‘’Je ne savais pas quoi faire de tout cela. Ma maison n’est pas une pharmacie. Avec l’aide des enfants, on a tout brûlé’’, explique-t-elle. Amanda déplore le fait qu’il n’y ait pas de système de récupération des médicaments. ‘’Je peux comprendre qu’on refuse les médicaments déjà utilisés. Mais les boîtes qu’on n’a pas ouvertes, je ne vois aucune raison de les rejeter’’, fustige-t-elle.

Embouchant la même trompette, Sandra Toupane tape sur le système de régulation des médicaments. ‘’L’absence de structure de récupération peut contribuer à alimenter le réseau des médicaments de la rue. Chaque jour, l’on se demande d’où proviennent les médicaments contrefaits et comment les vendeurs parviennent-ils à les avoir. On n’a pas besoin de chercher loin. Ils sont responsables de tout’’, fulmine-t-elle. A l’en croire, le ministère de la Santé n’assume pas toute sa responsabilité dans ce domaine. ‘’Il y a trop de laxisme dans ce pays. Chacun fait ce qu’il veut. Il n’y a aucun contrôle. Beaucoup de vendeurs ramassent les médicaments jetés pour les revendre. Il n’y pas de laboratoires qui fabriquent des médicaments contrefaits. Le jour où ils trouveront un système de récupération, il n’y aura plus de médicaments de la rue’’, peste Sandra.

Un avis que ne partage pas son mari Benoît Manga. Pour lui, c’est une bonne idée de chercher un système de récupération. Mais la vente de médicaments contrefaits n’a rien à voir avec. ‘’Les médicaments de la rue, c’est autre chose. C’est un trafic qu’il faut combattre. Toutefois, la Direction de la pharmacie et du médicament et la Pharmacie nationale d’approvisionnement doivent trouver des solutions à cette situation’’, admet-il. Ce dernier préfère enfouir les médicaments que de les brûler. ‘’La solution n’est pas de jeter les médicaments à la poubelle, encore moins de les brûler. Il faut creuser un trou, mettre tout dedans et fermer. Ainsi, ça sera hors de portée des enfants et autres individus’’, conseille M. Manga.

‘’Il m’arrive d’offrir mes cachets à d’autres femmes’’

En l’absence d’une solution institutionnelle, tous les moyens sont bons, du côté de la population, pour se débarrasser de ces médicaments ‘’maison’’. Aïcha Diallo travaille dans une société de la place. Cette mère de deux enfants a son propre système. Elle a une petite commode où elle garde les médicaments. Non pas pour les jeter ou les brûler plus tard, mais pour aider les gens, en cas de besoin, même si elle se dit consciente qu’il ne faut jamais faire de l’automédication. Les fers d’acide chlorique et autres médicaments pour femme enceinte, elle les offre à des amies ou connaissances qui sont en état de grossesse. ‘‘D’habitude, les médecins prescrivent les mêmes médicaments pour femme enceinte. Quand une amie me dit qu’elle cherche tel cachet, alors que je l’ai gardé à la maison, je le lui donne. Il y a trop de dépenses à faire pour une femme enceinte et beaucoup n’ont pas les moyens. Mieux vaut qu’on s’entraide’’, se défend-elle. Cette interlocutrice dit regarder toujours la date de péremption. ‘’Je ne donne pas les médicaments à n’importe qui. Et même avant de les offrir, je prends toutes les précautions nécessaires. C’est quelque chose de très sensible, parce qu’il y va de la santé de ces personnes’’, raconte-t-elle.

Elle n’est pas la seule à procéder de la sorte. Daba Diaw est même surnommée ‘’pharmacienne ambulante’’ par certains et ‘’docteur’’ par d’autres. Elle garde tout le temps des cachets, sirops, médicaments, entre autres, chez elle. A la maison, elle a trois commodes remplies. ‘’Même la nuit, les gens me réveillent pour demander du médicament. C’est un énorme plaisir d’aider les gens. Je ne donne jamais de produits avariés, puisque je contrôle toujours la date de péremption. Il ne sert à rien de jeter les médicaments parce qu’au même moment, un patient à côté en a besoin’’, se justifie Mme Diaw. La dame précise aussi qu’elle offre juste des cachets qui servent à calmer la douleur et des médicaments pour baisser la fièvre. ‘’Chaque fois que j’offre un médicament, je conseille au patient de voir un médecin le lendemain. Je ne suis pas médecin. Je le fais juste pour calmer la douleur en attendant que la personne aille à l’hôpital. D’habitude, ce sont les médicaments pour maux de tête, des sirops de toux pour bébé et de rhume que j’offre’’. Daba Diaw, à l’image des autres, pense qu’il faut impérativement un système permettant de récupérer les médicaments, ‘’même avec un prix forfaitaire’’. ‘’Il ne s’agit pas de rembourser les gens, mais de donner quelque chose en retour. Certains pourront le faire gratuitement. C’est mieux que de jeter ou de brûler’’, suggère-t-elle.

De son point de vue, jeter est encore plus grave. Car les médicaments peuvent se retrouver entre les mains des enfants de la rue. ‘’Un mendiant souffrant de migraine et qui ramasse une boite de médicaments ne cherche pas à comprendre. Il va tout avaler, parce qu’en ce moment, il ne cherche qu’une chose : se soigner. Jeter n’est pas la solution’’, pense-t-elle.

L’argument des pharmaciens

Le président de l’Ordre des pharmaciens soutient qu’il se pose un problème de sécurité et de sûreté du médicament, une fois qu’il a fait l'objet d'une manipulation par une tierce personne. Docteur Amath Niang affirme qu’à partir de ce moment, plus personne ne pourra garantir sa traçabilité et les conditions de sa conservation. ‘’La gestion du médicament est complexe et nous expose à des critères qui répondent à son intégrité. Certes, les produits non utilisés après usage suscitent beaucoup de réactions quant à leur impact économique et environnemental, mais on ne peut, en aucune façon, nous obliger à aller au-delà des conditions qui déterminent la qualité des médicaments. En Afrique, il se pose le fléau des médicaments de la rue, contrefaits conduisant les populations à des comportements qui, en réalité, ne corroborent pas avec la rigueur d'une bonne circulation de médicaments à même de répondre aux besoins de santé’’, précise Dr Niang. Toutefois, il reconnait qu’il va falloir penser à des stratégies, en relation avec les laboratoires de fabrication et les organes de régulation, pour la mise en œuvre de solutions alternatives.

VIVIANE DIATTA

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