Entre héritage et réalignements : Les enseignements d’un scrutin à la BAD

Plusieurs facteurs explicatifs émergent de cette déconvenue, à commencer par une lisibilité affaiblie de la diplomatie sénégalaise depuis l’alternance politique de mars 2024. Sur des dossiers aussi structurants que le franc CFA, les questions sécuritaires ou encore la position vis-à-vis de la CEDEAO et de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Sénégal affiche désormais une posture singulière. Cette autonomie revendiquée, qui le distingue à la fois des orthodoxies de la CEDEAO classique et des orientations souverainistes de l’AES, le place dans un entre-deux diplomatique ambigu, qui brouille les alliances régionales habituelles.
Cette situation s’est matérialisée par le soutien de pays traditionnellement proches du Sénégal – comme la Côte d’Ivoire, le Bénin ou encore le Togo – à la candidature mauritanienne. Des ralliements d’autant plus significatifs qu’ils révèlent la perte d’un socle d’appuis historiques au sein de l’UEMOA, sur lequel Dakar pouvait jusqu’ici compter.
Dans ce contexte d’isolement croissant, le Maroc apparaît comme l’un des rares partenaires encore potentiellement alignés. Mais même ce soutien reste difficile à confirmer, tant les équilibres géopolitiques sont devenus instables.
Une diplomatie affaiblie sur la scène internationale
Au niveau international, la situation n’est guère plus favorable. Les relations avec la France, historiquement étroites, ont été sérieusement écornées par plusieurs déclarations publiques virulentes d’officiels sénégalais contre Paris. Or, la France, actionnaire influent à la Bad avec plus de 3,7 % des voix, dispose d’un réseau diplomatique susceptible de peser sur de nombreux votes. L’absence de son soutien, voire sa neutralité, a pu coûter cher à la candidature sénégalaise.
De même, le lien bilatéral avec l’Arabie saoudite, pourtant renforcé par les précédents gouvernements, a connu des tensions sous le régime actuel. Bien que quelques efforts aient été faits pour rétablir la confiance, la relation semble toujours marquée par une méfiance mutuelle. Là aussi, le manque d’alignement sur certaines priorités diplomatiques – notamment autour de la place du Sénégal dans l’Organisation de la coopération islamique ou dans les dynamiques du Golfe – a pu peser négativement.
Enfin, la conjoncture économique nationale n’a pas aidé à crédibiliser la candidature d’un ancien ministre de l’Économie. Dans un contexte où le Sénégal fait face à des difficultés budgétaires majeures, à des arriérés de paiement récurrents et à une image d’administration ‘’faussaire’’ – selon les termes de certains critiques – il devenait difficile, pour certains partenaires, de justifier leur appui à une candidature perçue comme symbolisant une gestion décriée.
En somme, Amadou Hott a peut-être payé pour une double illusion : celle d’un soutien régional solide qui n’existe plus et celle d’une diplomatie internationale encore influente, alors que plusieurs fractures sont apparues depuis le changement de régime.
Sa défaite dépasse donc sa seule personne et ouvre un questionnement plus large sur la redéfinition de la posture diplomatique sénégalaise. À force de chercher une troisième voie, ni avec la CEDEAO orthodoxe ni avec les États dissidents de l’AES, le Sénégal semble avoir perdu des soutiens cruciaux dans l’arène multilatérale.
AMADOU CAMARA GUEYE