Publié le 9 Jan 2012 - 15:47
SÉRIE D'INCENDIES À SALY

Les raisons d'un sinistre récurrent.

 

Quelques jours après l’incendie qui s’est déclaré aux résidences du Port, de la Mangrove et des Orangers, l’émotion, la tristesse et la peur continuent d'étreindre les résidents de Saly. Le spectacle désolant qui s'offre aux regards donne des pincements au cœur. Des murs craquelés, des feuilles asséchées, des arbres fruitiers cramés, tel est le panorama qui s'étale sous les yeux dans ce qui, naguère, constituait les résidences du Port, de la Mangrove et des Orangers.

 

 

 

À l'heure de la reconstruction, des ouvriers, aidés des employés de maison, s’activent à redonner un semblant de vie à ces lieux qui, il y a peu, dégageaient la sérénité et le bonheur de vivre. 170 villas sont ainsi parties en fumée emportant tous les biens. Et pourtant, cela aurait pu être pire, indiquent des résidents qui se sont réjouis que le feu se soit déclaré en plein jour. ''Imaginez que ces incendies se soient produits la nuit, on aurait eu plus de cinquante morts'', relève un résident de la Mangrove, la voix empreinte d’amertume. Face au malheur qui s'est abattu sur les lieux, une certaine solidarité s'est développée entre les sinistrés. D'aucuns s'activent à assister leurs camarades d'infortune.

 

Irresponsabilité des jardiniers et utilisation de la paille

 

Pourquoi Saly est-il exposé aux incendies? Cette question, outre un sentiment d'insécurité qui s'est installé, taraude l'esprit des résidents et les autorités administratives en particulier. Autant les incendies sont un phénomène universel, autant les gens s'interrogent sur leur fréquence dans la zone balnéaire. Aussi, les jardiniers sont-ils mis au banc des accusés. M. Philibert, directeur de l’hôtel Lamantin, ne se formalise pas outre mesure et les tient pour responsables. ''Tout le monde le sait, ce sont les jardiniers qui allument des broussailles et avec le vent chaud, comme on en a souvent, cela met le feu'', a dénoncé le propriétaire du Lamantin. Le commandant Amadou Canar Diop, directeur de la protection civile, se dit convaincu que les incendies sont causés par malveillance d'autres.

 

 

Il a aussi souligné, en revanche, l’utilisation de la paille. ''A Saly, les réceptifs utilisent beaucoup de paille, c’est le premier problème. Il y a aussi un problème de vigilance. Ils font du feu et ne le surveillent pas. En ces périodes de grand vent, le feu se propage très vite'', a t-il affirmé. En effet, après chaque hivernage, comme c'est le cas ces temps-ci, on assiste aux désherbages et les jardiniers, pour finir le boulot très vite, mettent juste du feu. Outre les jardiniers, d’autres acteurs sont aussi pointés du doigt. Il s'agit des touristes qui organisent des barbecues. ''Plusieurs fois, je les ai interpellés, mais à chaque fois, on a fini par en venir aux mains'', a révélé un résident.

 

La paille, un élément ''design''

 

''Aujourd’hui, l’utilisation de la paille est un élément ''design'' au Sénégal. Il n’y a que le Sénégal qui a cette forme de paille comme marque, comme symbole de son tourisme'', a expliqué le préfet du département Alioune Badara Diop. Il a estimé que la paille n’est pas la cause des incendies. ''Il y a des feux qui se déclarent ailleurs où il n’y a pas de paille. On a vu des immeubles en France, aux États-Unis et ailleurs, qui ont pris feu, ce n’est pas seulement la paille qui en est la cause, un feu peut se déclarer n’importe où'', a dit le préfet. ''Nous sommes en train de réfléchir sur le comment infuser la paille. C’est une expérience sur laquelle les gens sont en train de réfléchir pour trouver les matériaux, tout en conservant ce design qui est la marque du Sénégal''. Ce résident abonde dans le même sens que le préfet, ''Les toits de chaume, dit-il, je trouve aberrant que l'on en arrive à demander leur suppression. C’est quand même ce qui fait le charme de l'Afrique, et du Sénégal non? Je peux vous assurer que le tourisme en pâtira, car ce charme n'en sera plus un... Et dommage pour l'économie locale, car on ne reverra plus ces étrangers dans les parages''. Sa compagne est du même avis: ''Si nous quittons nos pays pour venir ici, déclare-t-elle, c’est pour changer de décor, sinon nous pouvons rester dans nos pays respectifs''.

 

Normes sécuritaires défaillantes et dédales labyrinthiques

 

Outre ces questions relatives au manque de vigilance et à l'indiscipline, il y a aussi les défaillances dans les normes de sécurité en matière de construction: ''Les résidences ne sont pas aux normes sécuritaires, elles ne respectent pas les normes de construction. L’isolement n’est pas suffisant, l’accessibilité n’y est pas, s’il y a un feu, ça va cramer, c’est sûr'', a indiqué le commandant Amadou Canar Diop, directeur de la protection civile. Certains responsables ont exigé un audit de sécurité, car dans certaines résidences, il y a un matériel minimal qui n’est pas adapté à la lutte contre les incendies. Plusieurs d'entre elles sont dépourvues de moyens de secours.

 

 

 

Le jour de l’incendie, les sapeurs-pompiers avaient du mal à accéder à l’enceinte des établissements atteints par le feu. Pis, les bouches d’incendies ne fonctionnaient pas. Le commandant de brigade des sapeurs-pompiers, Ibrahima Diatta explique: ''La conception et la desserte nous posent problème. D’abord la desserte. Ce sont les voies d’accès qui nous permettent d'arriver jusqu’à l’établissement. Les établissements doivent être conçus de manière à permettre la facilitation de l’accès''. ''Or, sur un parcours de 600 mètres, toutes les villas sont contiguës, il n'y a que des couloirs pour piétons. De ce fait, l’engin ne peut pas y accéder. Dès que l’incendie se déclare et se dirige vers l’intérieur, le véhicule des pompiers qui arrive ne peut se garer qu’à une distance de 400 mètres. Imaginez s’il faut établir des tuyaux sur 400 mètres, le temps que cela va prendre pour éteindre le feu'', explique-t-il. ''Les promoteurs, pour gagner en espace, créent des allées réduites, des labyrinthes qui rendent difficile l’accès aux résidences'', a regretté M. Seck.

 

Auditer la construction des réceptifs

 

''Les feux, quand on ne les surveille pas, peuvent dégénérer. Et il faut aussi, dès début d’octobre, désherber tout ce qui est aux alentours des réceptifs'', a indiqué le directeur de la protection civile. Un autre volet lui semble très important. ''Il faut auditer ces réceptifs, parce qu’ils ne sont pas dans les normes. Ils n’ont pas de moyens de secours, et ceux qui en disposent n’ont pas de personnels formés. Il y a un cocktail explosif assez important qu’il faudra désamorcer pour sécuriser davantage la station''.

 

 

Ainsi, Falilou Seck, responsable du syndicat du cabinet mobilier à la résidence du port, planche pour une présence effective de l’État dans la construction des résidences. ''Le syndicat n’a pas autorité à demander des comptes au moment des constructions. Le syndicat est là après la livraison de tous les travaux. Je pense qu'avant de délivrer les licences, l’État doit vérifier si toutes les normes sont respectées''.

 

 

Les responsables de la Société d’aménagement de la Petite-Côte (SAPCO) précisent que tout résident qui désire transformer la paille en tuile ou autre peut le faire. Mais, la paille étant plus exotique, certains propriétaires ne veulent pas s’en départir. Le directeur du Lamantin Beach estime qu’il est plus prudent de ''recommander les constructions avec une dalle en béton, avant de poser la paille'', à l'instar de son hôtel, qui a brûlé en janvier 2011.

 

Le dénuement des sapeurs-pompiers de Saly

 

La caserne de Saly n’a que deux engins de type 1er secours, selon la commandant Ibrahima Diatta. S’y ajoute le manque de moyens de secours dans des établissements et des hôtels. ''Ces résidences devraient avoir le minimum en termes de moyens de secours. À savoir des bouches d’incendies, des robinets d’incendies armés et un personnel formé à leur utilisation'', a t-il suggéré. En effet, la caserne de Saly ne dispose que de deux camions citernes d’une capacité de 5000 litres. Ce qui est ''très insuffisant'' d’après le commandant Diatta.

 

Les sociétés d’assurances tardent à payer les impenses

 

Les sociétés d’assurances ont une grande part de responsabilité dans la situation difficile que vivent les résidents durement frappés par les incendies. Car les procédures d’indemnisation sont lentes. Les victimes des catastrophes de janvier passé n'ont pas encore été dédommagées. Alors que la plupart d'entre elles sont d'anciens fonctionnaires venus passer leur retraite au Sénégal.

 

 

Une septuagénaire se demande même comment les victimes vont faire face aux différentes dépenses qui sont à leur charge. N’ayant toujours pas reçu leurs indemnisations, ils doivent reconstruire leur villa. Le directeur de cabinet du ministre du tourisme a même été interpellé lorsqu’il est venu apporter son soutien aux victimes. Il a promis qu’un dossier sera ouvert par l’autorité de la ville pour voir ce qu’il y a lieu de faire afin d’amoindrir la souffrance des résidents de Saly.

 

Khady NDOYE (correspondante, Mbour)

 

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