Publié le 3 Oct 2023 - 00:52

Sadany Sow, journaliste passionnée par la lecture et l'écriture, fait son entrée dans le monde des écrivains, avec son premier livre intitulé "La mâchoire carrée". Dans cet ouvrage, elle aborde la question du mariage en mettant l'accent sur la nécessité d'éliminer l'égoïsme et les violences conjugales. Il est intéressant de voir comment elle explore ces thématiques sans nécessairement se définir comme féministe.

BABACAR SY SEYE

 

Vous avez une relation particulière avec l'écriture. Expliquez-nous cette passion que vous ne cessez de nourrir ?

J'ai eu cet amour grâce à ma mère. Parce que, je me souviens, quand j'étais toute petite, c'est elle qui m'apprenait à lire à 18 h, dans une bonne ambiance. J'avais 7 ans ; je venais d'être inscrite à l'école. Elle m'a donc initiée à la lecture avec amour et patience.

À l’époque, l’environnement au Sénégal était encore favorable pour la concentration. Il n’y avait pas encore d’éléments perturbateurs (TikTok, WhatsApp, YouTube). Je lisais même des interviews dans les magazines pour ensuite reprendre les dialogues avec mes différentes cordes vocales et après je les faisais écouter à mon père et ma mère qui avaient du mal à reconnaître ma voix. C’est d’ailleurs persuadé de mon talent qu’ils m’ont soutenue dans ma carrière de journalisme en m’inscrivant à l’école pour une formation en journalisme-communication. Cet amour grandissait avec l’âge.

Il y a aussi mon oncle Pape Cima Cissé qui m’a offert le bouquin ”Alice et le vison“, un roman policier de Caroline Quine qui m’a transmis cette passion d’écrire. J’aimais le roman parce que c’est mon oncle qui me l’avait offert avec tellement d’amour, mais aussi parce que le livre était bien écrit : un dialogue mesuré, des personnages intrigants, drôles et bienveillants. En lisant, je ressentais le froid que Caroline décrivait aux Adirondack (État de l’Amérique de Nord). Je m’étais familiarisée avec les personnages, je connaissais leurs habitudes, leurs craintes et désirs. Donc, après avoir plus de 20 fois lu ce roman, j’ai décidé de tester ma passion pour l’écriture. Depuis, je ne me suis plus arrêtée.

 

Vous êtes aussi passionnée de cinéma. Et là aussi vous êtes dans l'écriture…

 

Oui, après je suis allée faire le cinéma. J'ai fréquenté Kourtrajmé ou j’ai été formée en tant que scénariste et réalisatrice de films. Bien avant, j’ai été diplômée en critique cinéma au festival Dakarcourt initié par le réalisateur Moly Kane. Sans modestie, je dois vous dire que j’ai une encre qui fuse avec élégance. Ce qui me permet d’ailleurs d’explorer tous les angles d’écriture possibles. Je suis très captivée par la liberté créatrice et la façon dont l’écriture peut être utilisée pour raconter des histoires fascinantes. C’est la raison pour laquelle je suis constamment à la recherche de la formule parfaite. Me voilà donc romancière !

 

Vous venez de publier ''La mâchoire carrée''. Ce livre nous plonge dans un foyer ou le mari égocentrique exerce son pouvoir sur sa femme. Que voulez-vous vous souligner à travers cette histoire ?

Je parle de la violence conjugale et de ses conséquences. Qui en gagne ? Personne. Qui en perd le plus ? C'est l'enfant. Et donc Nestor était enfant quand sa femme se considère comme étant supérieure. C'est elle qui achetait le mouton de Tabaski. Elle se glorifiait de sa situation de ''femme de maison''. Et Nestor assistait aux scènes tous les jours. Considérant que son père était faible, il le détestait. Donc, il s'est dit que dès qu'il sera grand, il n’acceptera jamais qu'une femme prenne le dessus sur lui. C'est comme ça qu'il a développé des troubles égocentriques. Il veut que tout soit rattaché à lui.

Ainsi, à 30 ans, il a épousé une femme extraordinaire. Et il a exercé son pouvoir sur cette femme qui est magnifique. Elle était soumise avant d'en avoir marre.

 

Quel a été le déclic qui vous a poussé à d’aborder un tel sujet ?

J'ai posé un regard sur le mariage sénégalais, après le drame social qui s’est passé au Sénégal : un homme qui s’est donné la mort après avoir tué ses trois enfants, laissant une lettre à sa femme. Ce drame social, qui a effrayé la population sénégalaise, pour moi, méritait d’être profondément traité du point de vue psychologique. Cela m’a motivée à écrire, à me questionner. Quel est le rôle de la posture paternelle ? L’éducation des hommes en Afrique ne rend-elle pas l’homme égocentrique ? Le divorce est-il une fatalité pour la femme ? Ce sont ces questions taboues que je me suis posées dans ”La mâchoire carrée“.

 

Et pourquoi ''La mâchoire carrée” comme titre ?

Certaines personnes, surtout les hommes, qui ont une mâchoire carrée, dégagent souvent un air arrogant à l’image ; j’ai donc voulu métaphoriser mon personnage principal, Nestor, qui est décrit comme étant un homme froid et arrogant avec une mâchoire carrée, est tout le temps contracté par la colère. Et il faut dire que j'adore les titres métaphoriques qui suscitent la curiosité et incitent à la réflexion.

 

Vous êtes connue sur '' wattpad'', alors pourquoi vous n’avez pas opté pour la version électronique pour ce livre ?

C’est en étant consciente que nous sommes à l’air numérique que j’ai depuis six ans publié sur wattpad, (un réseau social où les utilisateurs peuvent éditer). J’ai mis en ligne huit œuvres dont la plus célèbre ”Crédule“, avec 207 mille lecteurs et 26 mille votes. Mais pour ma première édition, j’ai opté pour la version papier. C’est extrêmement apaisant de feuilleter, d’être en contact direct avec les mots que nous touchons pour lire. Je préfère les livres de poche. Je ne me sens pas proche de l'histoire quand je lis des livres sur les plateformes en ligne.  Je te remercie Babacar Sy Sèye de m’avoir pratiquement forcée à envoyer mon manuscrit à la maison d’édition Nuit et Jour. Il y a aussi Samba Mballo, artiste comédien et metteur en scène, qui a pris la relève jusqu’à ce que ça aboutisse.