Publié le 11 Oct 2021 - 20:52
SITUATION DES REFUGIES

Le HCR ‘’coupable’’ de non-assistance à réfugiés en danger

 

Unis dans la même galère, sans travail, sans assistance, sans protection, expulsés de leur domicile, des réfugiés assiègent le siège du HCR à Dakar (Mermoz), depuis environ deux mois, en pleine saison des pluies, à la quête d’un mieux-être. Accusée de non-assistance à réfugiés en danger, la Représentation du Sénégal est restée aphone à nos sollicitations pour recueillir sa version.

 

La gêne est perceptible sur leurs visages, chaque fois qu’il est question de revenir sur leur passé, dans leurs pays respectifs. Quand ils parviennent à en parler, c’est difficilement, de manière très évasive. La trentaine, Ibrahim Koné ne sait pas grand-chose de son Libéria natal. ‘’Quand je quittais le Libéria, j’avais environ 10 ans’’, se borne-t-il à dire, avant de sauter directement sur sa condition difficile de réfugié.

Relancé, il parvient à laisser éclater sa douleur : ‘’C’était en 1991. Nous nous sommes enfuis, alors qu’on était capturés par les rebelles. Moi, je ne connais pas mes parents. Je ne sais pas où ils sont. Enfant, je vivais chez mon oncle. A mon retour au Libéria, en 1997, mon oncle était déjà tué. En fait, notre ethnie a fait l’objet de massacre, parce qu’accusée d’être des soutiens du Président Doe (Samuel Doe, premier descendant d’autochtone à devenir président de la République du Libéria, suite à un coup d’Etat, avant d’être déchu à son tour et assassiné)’’.

Depuis, l’enfant devenu adulte cherche désespérément une vie meilleure entre la Guinée Bissau, son premier pays d’accueil, la Gambie, un pays qu’il a rejoint au début des années 2000, après l’éclatement de la Guinée Bissau, et le Sénégal depuis 2012. ‘’Entre une vie qui fut’’ au Libéria et la quête d’une autre qui peine à émerger dans ses différents pays d’accueil, Ibrahim se noie dans un chagrin qui n’en finit pas. A presque 40 ans, célibataire, sans enfant, il revient sur sa vie de misère : ‘’Notre situation va de mal en pis. La condition des réfugiés, en Afrique, est extrêmement difficile. Au Sénégal, nous vivons le martyre, depuis notre arrivée ici en 2012, après ce long périple que je viens de vous raconter’’.

Longtemps emmurés dans le silence, Ibrahim et d’autres de ses camarades se sont finalement résolus à ruer dans les brancards. Sans abri, sans protection, à la merci de l’insécurité, ils ont décidé, depuis deux mois, d’assiéger les bureaux de l’UNHCR (Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés), sis dans le quartier résidentiel de Mermoz, pour exiger une clarification de leur situation. Seule institution en laquelle, ils ont toujours nourri des espoirs, le HCR les a abandonnés depuis le début, regrettent-ils à l’unanimité.

La cinquantaine révolue, Mouhamed a l’air d’un vieux de plus de 70 ans. Après avoir fui son pays, la Sierra Léone, en 1996, il a déposé ses baluchons en Gambie, où il va rencontrer sa future épouse, également réfugiée sierra léonaise. En 2012, raconte-t-il, traqué, torturé par le régime de Jammeh, après avoir rejoint un groupe qui luttait pour l’amélioration de la condition des réfugiés, il finit par s’enfuir vers le Sénégal, laissant derrière lui son épouse, ses jumeaux, leur cadette et sa belle-mère de plus de 70 ans. Lesquels ne tarderont pas à le rejoindre sur les terres dites de la teranga (hospitalité).  Pensant enfin pouvoir se libérer de leur condition misérable. Ils n’imaginaient pas un instant le calvaire qui les attendait dans la capitale sénégalaise. Au vu et au su du HCR, qui n’a presque jamais été là, quand ils en avaient le plus besoin.

 Le siège d’UNHCR assiégé, depuis deux mois

Devanture de l’UNHCR, il est presque 13 heures. Dans ce quartier résidentiel de Mermoz, à quelques encablures de l’océan, le décor est hideux. Des abris de fortune érigés ; des cartons étalés le long du grand mur blanc, à l’intérieur même du cordon, marquant le territoire des Nations unies, quelques morceaux de vêtements éparpillés çà et là, on se croirait dans un grand centre pour sans abri. Sur place, ils sont près d’une vingtaine de réfugiés, issus de différents pays, mais unis par la même galère.

Très amère, la belle-mère de Mouhamed, d’un regard hostile, comme si tout dans ce monde la dégoûtait, fixe le visiteur et s’adresse à sa fille dans une langue inconnue. ‘’Elle est juste fatiguée à cause de tout ce que nous endurons. Elle est devenue colérique. Imaginez, on est là depuis 2 mois, en pleine saison des pluies. Quand il pleut, on court trouver refuge dans ce coin (en face du siège de HCR). On reste debout, même si c’est à 3h du matin. La Gendarmerie est venue plusieurs fois pour essayer de nous chasser. Nous leur fîmes savoir que nous sommes des réfugiés et nous sommes sur le territoire des Nations unies. Nous ne sommes pas là de gaieté de cœur. On a été expulsé de nos maisons. On n’a nulle part où aller. Nous avons longtemps trainé dans la rue, avec toute l’insécurité qu’il y a. Maintenant, nous sommes venus ici pour que le HCR se penche sur notre situation’’. 

Pendant ce temps, les responsables du Haut-commissariat traversent à gauche et à droite, avec des regards qui en disent parfois long sur leur dégoût. Mais, ceci n’est rien par rapport à tout ce que la cohorte de réfugiés a enduré, depuis leur arrivée au Sénégal, semble dire Mouhamed, une canne à la main. ‘’Un de mes enfants, confie-t-il, le garçon (19 ans aujourd’hui), a été violé au niveau du supermarché de Point E. Un Monsieur l’a rattrapé et a abusé de lui. C’était en 2014. Il n’avait que 12 ans. On l’a emmené au HCR pour constater les dégâts sur son anus et demander assistance (il donne le nom du responsable). Ils ont constaté et n’ont rien fait, sous le prétexte que nous ne sommes pas reconnus. Nous y sommes retournés pour leur demander s’ils peuvent nous aider à porter plainte, là ils ont dit qu’il vaut mieux ne pas en parler et qu’ils vont nous assister. Ils n’ont jamais rien fait. L’enfant est finalement devenu homosexuel. Et il le paie jusqu’à présent. A chaque fois, les gens le tabassent pour ce qu’il est devenu’’.

Avant cela, deux de ses enfants, obligés de squatter routes et ruelles à la quête de pitance, ont été sauvés de justesse, suite à des accidents de la route. ‘’A chaque fois, accusent-ils, quand on va au HCR solliciter de l’aide, on nous envoie balader pour la seule et simple raison que nous n’avons pas de papiers. Pour le dernier accident qui a eu lieu en 2015, un médecin du HCR était dans la même mosquée. Il a tout vu, mais, n’a rien fait. C’est les pompiers qui sont venus récupérer l’enfant et l’emmener à l’hôpital. On est parti leur demander de l’aide, ils ont refusé. Pour acheter les ordonnances, il fallait courir à gauche et à droite à la recherche de l’aumône’’.

Son voisin Loua Diomande, réfugié de la Côte d’Ivoire, impute la perte de son enfant au HCR. Il témoigne : ‘’C’était en 2014, suite à des complications de la grossesse de mon épouse, j’ai appelé le HCR pour demander de l’aide. Ils ont refusé de m’aider, au motif que nous ne sommes pas reconnus. Finalement, l’enfant est décédé’’.

Sans existence juridique, sans possibilité de travailler, les réfugiés finissent souvent dans la rue, à la merci de tous les dangers. ‘’Nous sommes obligés de mendier pour survivre, parce que sans papiers, on ne peut travailler. Sans travail, on peine même à se nourrir. On n’a aucune existence juridique et c’est de la responsabilité exclusive de HCR’’, dénonce Mouhamed, furax.

L’enfer des prisons gambiennes

En fait, Mouhamed, Diomande et Cie avaient des statuts en bonne et due forme quand ils étaient en Gambie. Mais à cause des conditions de vie difficiles dans ce pays, sans possibilité de travailler, sans accès aux services sociaux de base, ils ont eu à mener quelques initiatives, auprès de la représentation du HCR et des autorités gambiennes, pour changer cette situation. Des initiatives qui n’étaient pas pour plaire à certains dirigeants gambiens. Ibrahim Koné raconte : ‘’En tant que réfugiés, on n’avait aucune facilitation. Par exemple, pour travailler, on est considéré comme migrant étranger et donc soumis à des taxes réservées aux étrangers. De ce fait, les entreprises préfèrent employer des citoyens gambiens, au lieu de supporter ce surcout. Nous demandions à ce que cela change conformément aux lois internationales. Ce qui n’était pas du goût de certains dignitaires du gouvernement de Jammeh et le HCR n’avait rien fait pour nous’’. 

Intimidés, arrêtés, torturés, Ibrahim et les autres réfugiés venus de la Gambie ne doivent leur survie qu’à la volonté divine. Il précise : ‘’Nous avons vécu toutes sortes de tortures. Nous avons été électrocutés ; battus de la tête au tronc, sur le plan psychologique… Pendant deux mois six jours, nous avons été enfermés, sans possibilité de voir le soleil. Pire, alors que nous étions dans un endroit totalement fermé, un jour, on a eu la visite d’un serpent. On a appelé au secours, mais personne n’est venu. On s’est alors armé de notre courage, on s’est battu avec le serpent et on l’a finalement tué. C’était l’enfer dans cette prison gambienne’’.

Puis, un beau jour, la bande à Ibrahim est libérée sans jugement. Mais malgré cela, ils ont continué à subir les mêmes harcèlements. La plupart ont fini par s’enfuir pour rejoindre le Sénégal. Hélas, leur situation ne s’améliore guère. ‘’Notre grand problème au Sénégal, insiste Diomande, c’est la reconnaissance. Alors qu’en Gambie on avait des statuts en bonne et due forme, ici, on peine à en disposer. ‘’Quand nous sommes arrivés ici, renseigne l’Ivoirien, on nous a demandé d’aller auprès de la Commission nationale d’éligibilité pour demander l’asile. Nous sommes allés là-bas et avons déposé nos dossiers, contre des récépissés. A notre retour, on a déposé la demande d’assistance, mais, on nous a dit que, puisque nous ne sommes pas encore reconnus, on ne peut bénéficier de l’assistance. Ce qui est erroné, puisqu’il y a des gens qui étaient dans la même situation (demandeur d’asile) et ont eu droit à un secours’’.

Alors que le HCR estime que leur statut de réfugié est arrivé à expiration, eux contestent et brandissent plusieurs documents. Pour eux, ils ont eu droit à des entretiens dont l’objectif était de les régulariser. ‘’En janvier 2020, on nous a initié une procédure de détermination du statut de réfugié. C’est un papier qui devait nous permettre de montrer que nous sommes sous mandat du HCR. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas de réponse. Aujourd’hui, le nouveau chef de la protection veut même nier cette procédure. Alors que celle qui avait fait l’enquête est là, tous les autres sont là’’. Sur le site de l’UNHR, on peut lire ce qui suit à propos des fameuses DSR réclamées par les réfugiés.

De ce fait, la cohorte de réfugiés est un peu dans l’impasse. Mais ce qui semble le plus les tarauder, c’est le sort des enfants. ‘’Ils ne peuvent même pas aller à l’école. J’ai fait tout mon possible, je les (dirigeants de HCR) ai suppliés de m’aider juste à accompagner l’enfant qui a maintenant 14 ans, pour qu’il sache lire et écrire, mais ils ont refusé. Nous vivons essentiellement de l’aumône et avec la crise, c’est compliqué. On ne peut plus aller demander à l’église ou à la mosquée. On ne peut travailler. Nous sommes expulsés de nos maisons. Nous sommes bloqués dans cette situation. Pas d’assistance, pas de reconnaissance, pas de possibilité d’inscrire nos enfants à l’école. Pas même la possibilité de se soigner correctement quand on est malade’’, lâche Diomande qui en appelle à l’humanité du HCR.

Regard angoissé, débit saccadé, visage très lourd, Haby, elle, pense à la précarité de ses filles, jetées au milieu des loups. Les larmes aux yeux, après une longue litanie, elle finit par balbutier : ‘’Mon problème, ce sont mes enfants. Dans notre culture, l’enfant doit se marier avant d’avoir des rapports. Mais en ce moment, les risques sont énormes pour mes enfants. Regardez ce vieux qui vient de passer (elle désigne un sexagénaire), il fait des avances à ma fille. Cela m’a fait pleurer. Ma hantise, c’est de voir ma fille être enceintée. Dans notre culture, la virginité est essentielle. Moi je suis prête à tout. Je veux travailler, entretenir ma famille, mais je ne peux pas, parce qu’on n’a pas de papier. Nos enfants ne peuvent pas aller à l’école ; ils ne peuvent rien faire. Nous vivons dans une précarité absolue’’.

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LE CAS PATHETIQUE DE M. ET MME DIALLO

Une plainte sur la table du procureur contre le HCR

Malade, laissée à elle-même dans une situation pitoyable, Mme Diallo, aidée par son époux, se demande où se trouve son dossier.

Venus du Congo Brazzaville, Ousmane Diallo et son épouse ne savent plus à quel humanitaire se fier. Depuis 2010, l’état de santé de Mme Diallo ne cesse de se dégrader. En 2014, suite à plusieurs vas-et-viens dans plusieurs hôpitaux, promesse a été faite de lui trouver une évacuation. Depuis, le dossier a fait pschitt ! ‘’A un moment, ils nous ont dit que le dossier a été perdu’’, informe le mari. L’air exténué, Myriam s’étrangle de rage : ‘’J’ai fait 16 médecins ici au Sénégal. Le dernier a dit qu’il est prêt à faire l’opération, mais il faut l’engagement. On a fait appel au HCR, parce qu’on est sous son mandat. Mais, ils avaient dit que ce n’est pas nécessaire ; ils vont nous évacuer à l’étranger. On a fait l’entretien dans ce sens, mais aucune suite’’.

Pour M et Mme Diallo, il n’y a aucun doute. Leur dossier a été ‘’vendu’’. Quand on leur demande des preuves de leurs affirmations, ils insistent : ‘’On est parti faire une interview avec une responsable de HCR au mois d’avril. Quand on lui a donné toutes les informations, elle nous a clairement dit que ce n’est pas votre nom, alors que le dossier est bien le vôtre. Elle était étonnée. Elle a appelé quelqu’un et elle s’est exclamée : why ?... Ça c’était au mois d’avril dernier. Nous demandons que la lumière soit apportée à cette affaire et nous avons porté plainte devant le procureur’’. Selon M. Diallo, il y va de la survie de son épouse. ‘’C’est une question de vie ou de mort. Ce dossier n’a que trop trainé et il est temps de tout clarifier’’, peste-t-il.

Après la première tentative ratée de 2014, en effet, une autre a été enclenchée en 2019, grâce à une bonne samaritaine. Quand le HCR les a ramenés de Bissau, explique Ousmane, ils logeaient au centre de réfugiés de Rebeuss. ‘’En mars 2019, précise-t-il, on est venu nous expulser, parce que le HCR ne payait plus. On n’avait nulle part où aller. On s’est alors rendu au bureau des Almadies. Ils ont fait venir les gendarmes pour nous chasser. On a été déféré au parquet, avant d’être libéré vers 19heures. On est encore retourné aux Almadies, où nous passions la nuit. Un jour, une femme, blanche, qui travaillait à l’ambassade des Etats-Unis, constatant la torture, nous a posé des questions sur notre situation, avant de s’engager à nous aider à rejoindre le Canada pour les besoins du traitement. Elle avait pris le dossier en main, avait parlé à HCR, à l’ambassade du Canada, avait tout fait… Mais les choses sont toujours en l’état. Et sans aucune explication claire’’.

Après avoir vainement cherché des solutions, convaincu que leur dossier est vendu, ils ont fini par saisir le Procureur pour que justice soit faite.

L’organisation onusienne se bunkérise !

Par tous les moyens, EnQuête a essayé d’entrer en contact avec le bureau HCR sans succès. Il a fallu se déplacer jusqu’au bureau de Mermoz pour avoir la version de la représentation, mais aucun responsable n’a daigné nous recevoir. Toutefois, sur les procédures de DSR (détermination de statut de réclamées) réclamées par certains, on peut lire sur le site de l’UNHCR ce qui suit. ‘’La détermination du statut de réfugié (DSR) est la procédure légale ou administrative par laquelle les gouvernements ou le HCR déterminent si une personne sollicitant une protection internationale est réfugiée au regard du droit international, régional ou national. Cette détermination constitue souvent un processus capital permettant d’aider les réfugiés à concrétiser leurs droits en vertu du droit international’’.

Selon le portail, ‘’la responsabilité première de la DSR incombe aux États ; toutefois, le HCR peut engager des procédures de DSR, conformément à son mandat, lorsqu’un État n’est pas partie à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et/ou n’a pas instauré de procédure nationale, équitable et efficace en matière d’asile’’. Sur le cas des demandes d’asile souvent rejetées au Sénégal, l’on informe, par ailleurs, que l’un des principaux motifs concerne les réfugiés issus de deuxièmes mouvements, c’est-à-dire qui ont eu un statut dans un autre pays.

Il résulte de certains documents officiels parcourus que la population de réfugiés sous mandat de HCR au Sénégal était estimée à plus de 18 000, selon un profilage datant de 2017, dont Près de 13 000 établis en milieu rural. Le pays s’était aussi engagé à se doter d’une stratégie nationale de protection et de recherche de solutions durables en faveur des réfugiés. Laquelle devait s’articuler autour des axes suivants : la protection juridique des réfugiés et demandeurs d’asile, l’accès des réfugiés et demandeurs d’asile aux services socio-éducatifs, ainsi qu’aux établissements financiers.

Mor AMAR

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