Publié le 19 Dec 2020 - 15:24
SOIXANTE ANS APRÈS LES INDÉPENDANCES

Quel bilan politique, économique et social pour les pays de l’UEMOA ? Quelles perspectives ?

 

I) Introduction

Il est nécessaire, qu’en faisant  le bilan de soixante ans d’Indépendance de l’Afrique  pour  cerner ses perspectives, de prendre en compte le fait que, les trajectoires pré et post indépendance des pays qui la composent sont différentes selon qu’on est en Zone francophone, Anglophone, Lusophone ou arabe !

En effet, dans les pays francophones les luttes pour  l‘Indépendance se sont déroulées dans le cadre de deux sous-régions, à savoir,  « l’Afrique Occidentale Française » (AOF)  et « l’Afrique Equatoriale Française » (AEF), alors que partout ailleurs, elles se sont déroulé   pays par pays.

Ensuite,  la lutte de libération nationale se déroulait dans un nouveau contexte mondial marqué par une nouvelle guerre, dénommée «  guerre froide », qui opposait le camp des pays capitalistes occidentaux,   dirigé  par les Etats Unis, et le camp des pays socialistes de l’Est Européen, dirigé par l’Union Soviétique.

Ce nouveau contexte  donnait  aux pays colonisés, l’opportunité  de rompre  avec le système mondial de développement du Capitalisme, en optant, avec l’appui du camp socialiste,   pour une « Voie de Développement non Capitaliste ».

D’où la naissance en Afrique, après l’Afrique du Sud, de Partis Communistes, et de mouvements politiques qui ont choisis de rompre avec le système capitaliste en s’orientant vers la «  voie de développement non capitaliste ».

Cela a  créé, dans le mouvement de libération nationale, un clivage entre ceux qui veulent l’Indépendance tout en restant dans  le système capitaliste, et ceux qui veulent l’indépendance et la rupture d’avec ce système.

En outre,  dans la plus part des pays d’Afrique, l’Indépendance a été acquise sans lutte de libération nationale armée, et que certains pays ont connu, dès leur accès à l’Independence, une période plus ou moins longue de déstabilisation par une série de coups d’Etat  et d’assassinats de leaders pro- indépendance, surtout s’ils sont soupçonnés par les puissances occidentales comme des  « menaces communistes ».

Ces assassinats politiques ont notamment frappé l’Afrique de l‘Ouest, notamment au Cameroun avec les  leaders de l’UPC, (l’Union de Populations Camerounaises) par la France, et en Afrique Centrale, notamment avec  l’assassinat de  de Patrice Lumumba par la  Belgique et les Etats Unis.

Alors qu’au Sud du Continent, la lutte de libération nationale revêtait un caractère antiraciste contre le régime d’Apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie, devenue Zimbabwe à l’Indépendance.

Ces  évènements qui ont marqué la lutte de libération nationale et les premières années de l’accès à l’Independence, ont grandement contribué  à un développement  inégal des pays d’Afrique durant ces soixante dernières  années. 

C’est cette différence des trajectoires  qui impose donc  de prendre en compte les spécificités politiques, économiques et sociales, qui ont conditionné les performances des Etats, et les difficultés auxquelles se heurte le parachèvement de l’Indépendance des peuples d’Afrique, et  la construction de son unité continentale.

 Ainsi, l’analyse de la trajectoire des luttes pour l’Indépendance des peuples  dans le cadre de l’AOF, devenue plus tard, l’UEMOA,  pourrait être un cas d’école.

II)         Analyse de la trajectoire des pays de l’AOF

1) l’analyse de la  période de 1946 à 1960.

C’est dans  de l’AOF, comme  cadre géopolitique, que nos peuples, sous le système colonial français, ont conquis peu à peu les Libertés démocratiques,  notamment au Sénégal, avec  la liberté d’organisation de partis politiques,  le droit à l’expression du suffrage universel des citoyens,  l‘Alternance démocratique dans la gestion des Communes de pleine exercice, l’élection de Députés à l’Assemblée nationale Française et de Sénateurs, la participation au gouvernement de l’Etat colonial français, le droit à  la liberté d’organisation syndicale, et les droits syndicaux qui ont permis l’acquisition d’un Code de Travail à la suite de rudes batailles syndicales,  et le droit à la liberté d’expression et de création d’organes de presse.

Ainsi, notre peuple a pu engranger de fortes avancées démocratiques qui furent généralisées  dans toutes les colonies françaises à partir de 1946, suite l’extension de la citoyenneté française à tous les peuples des territoires de l’AOF et de l’AEF.

Cette extension a été une  conséquence directe,  du tollé général d’indignation,  occasionné par le massacre en 1945, au  Camp de Thairoye dans la banlieue de Dakar,  de «  dizaines, voire de centaines de milliers  de Tirailleurs Sénégalais », selon les diverses sources, qui réclamaient leurs « primes »  de retour au pays, après leur participation à la libération de la France du joug  des Nazi Allemands,  lors de la deuxième guerre mondiale 1939 -1945.

Ce sont ces conquêtes démocratiques qui ont contribué à booster la lutte pour l’Indépendance dans cette partie d’Afrique. 

C’est cette spécificité historique qui a fait qu’en AOF, les peuples ont mené le combat anti colonial, au plan politique, dans le cadre de  grands rassemblements comme le «  Rassemblement Démocratique Africain » (RDA) qui était créé e 1946, qui avait une Section dans chacun des territoires de l’AOF, dont «  l’Union Démocratique Sénégalaise » (UDS)  d’où est issu en 1957, le « Parti Africain de l’Indépendance » (PAI, devenu aujourd’hui, «  Parti de l’Indépendance et du Travail » ( PIT/SENEGAL).

A côte du RDA, il y avait aussi le  « Parti du Rassemblement Africain »(PRA) d’où est issue  « l’Union Progressiste  Sénégalaise » (UPS), qui a connu une scission en 1958 à la veille du référendum  sur  la question de l’Indépendance, pour donner naissance au «  PRA/SENEGAL ».

Au plan syndical, il y avait aussi,   un grand rassemblement, comme « l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire » (UGTAN), et, en mileu universitaire, la « Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France » ( FEANF ».

C’est pour briser toute  perspective pan africaine et  non capitaliste  des luttes contre le système colonial  qui porte en lui les germes de la lutte pour l’indépendance au sein de chacune des deux Fédérations, que la France décida de  les « balkaniser » avec la Loi Cadre de 1956, pour donner « l’Autonomie », non pas aux Fédérations, mais à chaque territoire pris individuellement,  en faisant naître un « micro nationalisme » qui a eu raison des  grands ensembles politiques, syndicaux et d’étudiants, qui faisaient la force du mouvement de libération dans cette partie d’Afrique.

C’est ainsi que le référendum d’autodétermination organisé en 1958 par la France,  qui s’est tenu dans chaque territoire pris individuellement, a affaibli le camp  pour l’Indépendance nationale,  qui était réduit au seul peuple de Guinée qui a voté massivement pour recouvrer  sa souveraineté internationale, alors que dans tous les autres territoires, c’est le camp  favorable  au maintien du système colonial français qui l’a emporté.

2) Analyse de la période post indépendance  des années 60-70 :

Deux ans après ce référendum historique, sous la pression du mouvement de libération en Afrique et dans le monde jusqu’aux Nations Unies,  contrairement à la Grande Bretagne qui a transmis le pouvoir à ceux qui réclamaient leur Indépendance, la France consentit à l’ accorder  à ses colonies d’Afrique noire, en transmettant le pouvoir à ceux qui n’en  voulaient pas en 1958, tout en menant, à travers les nouvelles Autorités qu’elle a mises en place, une  politique de répression féroce, et même d’assassinat notamment au Cameroun,  contre ceux qui luttaient  et s’étaient mobilisés pour l’obtenir.

 Les Indépendances dans nos Etats, inauguraient ainsi une ère de recul grave des libertés démocratiques acquises de haute lutte  dans le système colonial Français, avec l’avènement de coups d’Etat à la place de l’Alternance démocratique,  de «  Partis uniques » et les restrictions des droits d’organisation de presse,  de marche, et de grève, pour imposer la perpétuation du système colonial français.

C’est dans ces circonstances historiques que la France est parvenue à  nouer avec les nouvelles Autorités, trois accords historiques de coopération pour continuer sa politique  d‘exploitation de  nos peuples et de nos  ressources naturelles.

  C’est ainsi qu’ont été signés des « Accords monétaires et économiques » faisant de la monnaie qui était en vigueur du temps colonial,  le Fr CFA, la nouvelle monnaie de nos Etats nouvellement indépendants,  des « Accords militaires » permettant à la France de garder ses bases militaires avec l’engagement d’assurer leur défense en cas d’agression extérieure,  et des «Accords culturels » faisant de la Langue française leur Langue officielle, et le maintien de l’Ecole publique et de la politique d’Education française !

Aussi, au plan institutionnel,  la France  a légué  le « régime présidentiel »  de concentration excessive des pouvoirs entre les  mains d’un Président de la République, élu au suffrage universel direct, qui le met d’office sous son contrôle,  et sur qui elle veille comme à la prunelle de ses yeux.

Ce sont ces Accords  de coopération qui constituent la trame du néocolonialisme Français en Afrique.

Ce sont ces spécificités historiques qui ont fait que la lutte pour le parachèvement de l’Indépendance nationale et pour  l’Unité Africaine, durant les 60  et 70 ,  a posé comme préalable dans les agendas politiques,  la reconquête des libertés démocratiques et la lutte pour la démocratisation des Institution de la République, pour mettre fin au régime autocratique de pouvoir personnel que représente le régime présidentiel hérité de la France, afin de baliser la voie à une rupture avec le système capitaliste.

Cependant, les perspectives d’éviter le stade de développement capitalistes de nos pays  qu’offrait le Camp Socialiste, avaient occulté la nécessaire prise en compte,  dans les agendas politiques, de ces nouvelles  exigences de lutte pour la reconquête des libertés démocratiques confisquées par les nouvelles Autorités.

Á suivre

                                       Ibrahima SENE   PIT/SENEGAL

                                           Dakar  le 18 Décembre 2020

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