Publié le 26 Aug 2017 - 20:17
TEL QUEL

Souleymane Téliko Mister rebelle, l’indépendant !

 

Côté professionnel, on le prendrait pour le nouveau Kéba Mbaye de la justice. Indépendant, compétent, intègre, tout y est. Sur le plan humain, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, diraient les catholiques. Souleymane Téliko, le tout nouveau président de l’Union des magistrats sénégalais, aurait été présenté en homme parfait, si un autre son de cloche n’avait pas apporté un bémol et proposé un moral presque à l’opposé de la version ambiante.

 

À travers sa personne, les magistrats ont voulu surtout exprimer leur volonté de s’affranchir du joug de la tutelle et du pouvoir politique en général. C’est du moins une vision largement partagée de l’élection de Souleymane Téliko à la tête de l’Union des magistrats sénégalais (UMS). Dans son profil dressé par  ‘’EnQuête’’ (ainsi que ceux de ses challengers) à la veille de l’assemblée générale, des juges confiaient que le ministère de tutelle ne voulait surtout pas entendre de lui comme président de  cet organe. ‘’La chancellerie a vraiment peur, depuis qu’elle a appris cette candidature’’, confiait l’un d’eux. Si ce Halpular bon teint a présenté sa candidature à la tête de cette instance, ce n’est pas parce qu’il s’est senti devoir présider aux destinées de ses pairs, c’est plutôt certains parmi eux qui sont allés le chercher pour le convaincre de son utilité dans le top management.

Selon les témoignages, l’argument a été simple. ‘’Le combat que tu mènes en solo pour l’indépendance de la justice est bon, mais le faire dans le cadre de l’UMS aurait été mieux’’, lui a-t-on dit en substance.

En fait, l’homme est connu pour être jaloux de son indépendance. Le compromis n’est pas son jeu favori. La compromission, impensable ! Dans son entendement, la seule lumière qui doit guider ses décisions est constituée du droit et de son intime conviction. Une attitude que n’apprécient guère les politiques qui, en dépit de toutes les bonnes intentions et des positions de principe, préfèrent avoir la justice à leur ordre.  

Du coup, le banlieusard a rarement cohabité paisiblement avec les tenants de l’Exécutif. De la façade atlantique au sud du pays, en passant par le Nord, il a fait presque tout le Sénégal, ses affectations n’étant pas toujours le fruit d’une promotion. Bien au contraire, il est souvent sanctionné pour avoir refusé de se soumettre à la ‘’dictée’’. Entre 2003 et 2004, à l’image d’un Raphael Nadal avec sa raquette, le ministère de la Justice le fait passer, comme une balle de tennis, d’un point de chute à un autre.

À titre illustratif, raconte un juge, Téliko a été affecté, en 2003, à Kolda comme président du tribunal régional. Il n’y est resté que 8 petits mois avant de faire l’objet d’une réaffectation punitive à Dakar comme substitut général. Alors que, d’habitude, ses collègues restent dans ce genre de poste pendant 4 ans au moins. Pire encore, il ne séjournera au parquet que pendant 6 lunes. ‘’La plume est serve et la parole libre’’, disent les magistrats. Cette maxime, le ‘’rebelle’’ n’a aucune peine à se l’appliquer. Ainsi, au cours d’une audience, se rappelle un magistrat, il n’a pas hésité à prendre le contrepied de son chef de service. D’après cet interlocuteur, la loi le permet. Et pourtant, à la suite de ce procès, la sentence n’a pas tardé à tomber. Le ‘’prévenu’’ indocile écope d’une peine de mutation immédiate à la Cour d’appel de Kaolack en qualité de conseiller. Une ‘’réclusion’’ corrective qui n’aura pas les effets escomptés, au vu de ce qu’il est devenu.

‘’Au tribunal, c’est lui qui dirigeait la prière’’

Né le 26 février 1967, le jeune Téliko, selon un membre de sa famille, a vécu pendant 13 ans à Mermoz où il a vu le jour. Il va mener  une vie sans histoire. Après le cycle élémentaire, le petit écolier de Baobab II rejoint la banlieue, précisément Guédiawaye. Il fréquente le CEM Jacques Foster puis le lycée Lamine Guèye. Comme tout jeune Sénégalais, il a joué au football. Il a même pris part aux  ‘’navètanes’’ ‘(championnat populaire) dans l’équipe Guedj-Gui de Pyrotechnie. Mais cette évasion juvénile n’a pas eu d’impact négatif sur ses études.  Au contraire, l’adolescent se révèle être un brillant élève. ‘’Il était toujours premier ou deuxième’’, raconte fièrement un parent. ‘’Excellent dans toutes les matières’’, il a été, dit-on, à l’origine d’une altercation entre son prof de Maths et celui de français, chacun voulant qu’il soit orienté dans sa série. Finalement, c’est l’administration qui a tranché.

En 1986, il décroche le Baccalauréat et s’ouvre les portes de l’université de Dakar, en particulier la faculté de Droit. Contrairement aux étudiants qui se vantent d’avoir ‘’étalé la natte’’,  lui a cherché à réussir aussi vite que possible. Studieux et sérieux, il n’a pas eu le temps de trainer. Il lui a fallu juste 4 ans pour avoir sa Maitrise (1991) et le DEA l’année suivante.

De quoi rendre fier un de ses parents. ‘’Il a toujours passé ses examens à la première session. Il avait hâte de trouver un boulot décent pour gagner correctement sa vie’’. La profession de juge n’est donc pas la réalisation d’un rêve d’enfant. C’est juste que quand on a une Maitrise en droit, à l’époque, les choix étaient limités. C’était soit le barreau, soit la magistrature. Il opte pour la dernière. En 1992, il est reçu au concours d’entrée à la prestigieuse Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Et comme pour rendre hommage à son esprit libre, sa promotion (1993-1995) a pour parrain le Pr Cheikh Anta Diop, brillant scientifique connu pour ses travaux qui sonnaient comme une antithèse de la version occidentale de l’histoire que le Blanc s’échinait à graver dans la mémoire du Nègre.

Réputé être pieux (unanimité dans les témoignages), l’homme se fait appeler ‘’Oustaz’’ par bon nombre de ses collègues. Bien que dépourvu de barbe, il est de la communauté ibadou qu’il a intégrée durant son séjour universitaire. Gamin, il a fréquenté l’école coranique. Même s’il a rejoint l’école des Blancs, il n’a jamais rompu avec le dernier Livre révélé.  ‘’Parallèlement aux études françaises, il continuait à apprendre le Coran’’. Aujourd’hui encore, le magistrat ne cesse d’approfondir ses connaissances du Livre Saint. D’après une confidence, il a des amis ‘’oustaz’’ à Guédiawaye avec qui il s’exerce dans la traduction des versets les jeudis et les samedis. ‘’Il a mémorisé le Coran. Au tribunal, c’est lui qui dirigeait la prière. C’est quelqu’un de bien, un bon musulman’’, témoigne Abdou Aziz Seck, l’ancien président de l’UMS qui a été son voisin et camarade de promo. Ce dernier voit aussi en lui un magistrat compétent. Cette conviction religieuse s’est aussi traduite sur sa vie matrimoniale. Monsieur le Juge a trois femmes et des enfants dont l’ainé a eu le BFEM l’année passée. ‘’C’est un intellectuel particulier, sourit un interlocuteur. De par ses manières de faire, on dirait même qu’il n’est pas un intellectuel. En fait, il n’a pas été acculturé par l’école française’’.

Oustaz amoureux du football

Sorti de l’ENAM en 1995, l’homme à la silhouette filiforme a eu comme premier poste d’affectation le tribunal régional hors classe de Dakar. En 2000, il devient juge d’instruction au deuxième cabinet. Après la période tumultueuse entre 2003 et 2004, il retrouve une certaine stabilité. En effet, jusqu’en 2008, il va rester à Kaolack. Entretemps, en 2006, il devient le secrétaire général de la Cour d’appel de Kaolack. En 2008, il retourne à Dakar où il devient le directeur adjoint des affaires, avocat du sceau.  De 2010 à 2013, il est secrétaire général de la Cour d’appel de Dakar. En 2013, le président Macky Sall accède à la demande de l’Union africaine de juger l’ancien président tchadien Hussein Habré.

Les Chambres africaines extraordinaires (CAE) sont créées, financées en grande partie par Idriss Déby, l’ennemi juré de Habré. Téliko est nommé juge d’instruction au CAE. À l’issu de ce procès considéré par certains comme commandité, Habré est condamné à la perpétuité. S’agit-il là d’une tache noire sur ce blanc tableau ? Que nenni, répond un proche. ‘’Nous avons discuté de la question. Ce qu’il dit, c’est que juger Déby et Habré, c’est l’idéal. Mais  puisque les CAE ne peuvent pas être parfaites au début, jugeons Habré, et après, on aura le temps de le faire pour Déby. Il assume parfaitement sa position’’.

Peint comme quelqu’un de courtois, de disponible et surtout de posé avec un gestuel limité, l’ancien n°10 est un grand amoureux du tapis vert. Une connaissance soutient même que c’est un footballeur manqué. Mais l’absence de caméras et de supporters ne l’ont guère éloigné des terrains, car Téliko court derrière le cuir tous les dimanches. Et lorsqu’il s’agit du football européen, il support l’équipe d’Allemagne et le grand Fc Barcelone. Originaire de la Guinée où vit son papa, il s’y rendait régulièrement jusqu’en 2011. Mais il est surtout ‘’très proche de sa maman’’ qui est d’ailleurs sa confidente et son marabout.

Depuis 1995, l’année marquant le début de sa vie professionnelle, l’homme aux ‘’trois galons’’ est le principal soutien de sa famille, confie-t-on. Ses frères ne faisant que lui venir en appoint.

Promesse non tenue

En 2015-2016, s’engage une réforme de la justice. Les magistrats ne sont pas d’accord sur certains points. Téliko, lui, trempe sa plume dans ses convictions pour clouer au pilori son ministre de tutelle Sidiki Kaba et, au-delà, le pouvoir politique qui, a ses yeux, cherche à instaurer le ‘’larbinisme’’ et le ‘’carriérisme’’ dans la magistrature. Il dénonce la fragilisation des magistrats. Cette posture ‘’irrévérencieuse’’ lui a valu le courroux du garde des sceaux qui décide de le canaliser. Un tour devant le conseil de discipline. D’après un interlocuteur, Téliko avait préparé sa défense. Il avait même déjà pris un huissier. Mais finalement, la confrontation n’a pas eu lieu, grâce à une médiation. Un épisode qui vient renforcer sa notoriété.

Cependant, cette réputation d’indépendance et d’intégrité ne fait pas l’unanimité. Un magistrat voit en lui tout le contraire de cet ange qui a été décrit dans un beau rôle jusque-là. D’après cet interlocuteur, son collègue n’a pas toujours été comme ça. De ses explications, il ressort que l’attitude actuelle du nouveau président de l’UMS  est le résultat d’une déception. En clair, il s’agit, selon notre interlocuteur, d’une promesse qui n’a pas été respectée. ‘’Teliko a été surpris de se retrouver à Thiès. Et là il a commencé à ruer dans les brancards. Il a profité des tensions entre la tutelle et certains magistrats pour produire des articles à gauche et à droite, et la majorité est tombée dans son piège.

Mais pendant les deux ou trois ans qu’il a passés à la cour d’appel, personne ne le connaissait, personne ne l’entendait’’, s’offusque-t-il. Plus que jamais affirmatif, ce détracteur du nouveau président de l’UMS soutient que tous ces qualificatifs qu’on lui (Téliko) colle ne sont que de ‘’faux attributs’’. Il promet même que l’opinion sera bientôt édifiée et saura si le magistrat Souleymane  Téliko est le rebelle que l’on décrit tant. Sûr de son jugement,  notre interlocuteur de poursuivre : ‘’Il y a d’autres juges qui ont été comme ça. Mais après, quand on leur donne des postes avec des avantages et autres, ils rentrent dans les rangs. S’ils (les magistrats) voulaient d’un guerrier, ils allaient prendre Dansokho (Koliba). C’est le seul qui tenait tête à Wade lors des réunions’’, fulmine-t-il. Aussi, à l’en croire, même les membres du bureau de l’Union des magistrats sénégalais cherchent tout simplement à s’approcher de la hiérarchie pour avoir des prébendes. ‘’C’est juste une sorte d’ascenseur’’, peste-t-il.

Souleymane Teliko, ange ou démon ?  Jugement mis en délibéré… Mais il est évident que le verdict final sera sans appel.  

BABACAR WILLANE

 

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